Économie

Entretien avec le PDG de Biopharm, Abdelouahed Kerrar

Le ministre de l’Industrie pharmaceutique, Lotfi Benbahmed, a inauguré, samedi dernier, une nouvelle usine de production d’anticancéreux en Algérie. C’est la première unité du genre du laboratoire « Propham », filiale du groupe pharmaceutique privé Biopharm.

Dans cet entretien, le PDG de Biopharm, le Dr Abdelouahed Kerrar, revient sur cet investissement, sur les ambitions de son entreprise à l’export et les enjeux de l’industrie pharmaceutique algérienne.

Votre nouvelle usine de production vient d’entrer en service. Sur quoi porte cet investissement ?

Nous sommes très contents d’avoir mis en œuvre ce projet qui a été fait dans des conditions difficiles, notamment en raison de la pandémie de covid-19.

Nous avons commencé avec un peu de retard. Mais nous avons pu développer et enregistrer des produits d’oncologie sous forme sèche. Nous allons commencer à fabriquer les formes injectables en février 2023.

Nous sommes très contents car c’est un pas supplémentaire pour le pays et pour l’entreprise. Il s’agit d’une nouvelle technologie que nous ne maîtrisions pas auparavant.

La technologie en question nécessite un travail en atmosphère confiné, dans des conditions de confinement assez rigoureuses. Il s’agit de produits cytotoxiques, il faut donc aussi protéger les collaborateurs.

Pour nous, c’est une avancée majeure.

Nous sommes certains que si les produits sont fabriqués localement, il y aura une meilleure disponibilité. De plus, ce sont des produits qui coûtaient très chers à l’Algérie.

Comment le personnel a-t-il été formé à cette nouvelle technologie ?

Nous avons recruté un étranger. La technique est de mettre des jeunes algériens autour de cette personne ressource.

En moins d’une année, les Algériens ont commencé à formuler et ont appris. C’est cela le transfert technologique. Le vrai investissement est que nos jeunes maîtrisent la technologie et sachent reproduire le développement de ces produits.

Maintenant, ils commencent à développer seuls. C’est ça le vrai trésor, l’investissement dans le savoir-faire que nous faisons avec nos jeunes.

Des tensions sur les médicaments anticancéreux persistent en Algérie. Comment résoudre ce problème ? Votre objectif est-il de garantir un meilleur approvisionnement du marché local ?

Tout à fait. Nous avons aussi demandé aux autorités que les formes orales des anticancéreux, qui ne nécessitent pas d’hospitalisation, se retrouvent en officines.

Plus les produits sont en officines, moins ils sont en rupture. Nous le voyons notamment avec deux molécules, le létrozole et l’anastrozole, qui sont depuis toujours en officines.

Il est important que le produit en forme orale, qui est pris en ambulatoire, puisse se retrouver en officines. Dans tous les cas, le malade est pris en charge, que ce soit au niveau des hôpitaux, ou à travers la prise en charge de la sécurité sociale.

L’un des objectifs du Gouvernement est de produire en Algérie plus de 70 % des besoins nationaux en médicaments. Cet objectif est-il réalisable ? 

Nous sommes actuellement à 70 %. L’objectif a été atteint. Il faut maintenant écrire une nouvelle page et donner un nouveau souffle à l’industrie pharmaceutique algérienne qui doit s’articuler autour de deux objectifs.

Le premier est d’aller vers la production de produits que nous ne fabriquons pas encore, notamment les produits cytotoxiques et les hormones, pour lesquelles le taux de couverture par la production locale n’est pas encore important.

Mais avec tous les projets qui sont en cours, nous pensons que d’ici la fin 2023, nous pourrons atteindre très facilement les 80 %. Maintenant, il faut se tourner vers l’avenir et les produits de biotechnologie, et cela via la diversification de notre production.

Le deuxième objectif autour duquel doit s’articuler cette nouvelle phase est l’exportation qui n’est plus une alternative mais une nécessité.

Avec le nombre important d’unités de fabrication dont nous disposons aujourd’hui, il est clair que le marché algérien va être très rapidement étroit à tous les laboratoires installés en Algérie.

La seule voie pour leur pérennité et leur développement est d’aller vers l’exportation. C’est quelque chose qui est réellement à notre portée. Nous avons un tissu industriel et le savoir-faire qui le permettent.

Le troisième objectif à moyen terme autour duquel doit s’articuler cette nouvelle phase est d’avoir plus d’intégration. Tous les pays qui sont champions dans une filière donnée arrivent à être concurrentiels parce qu’ils font de l’intégration. Nous pensons aujourd’hui que nous pouvons aller vers la fabrication de matières premières pour certains produits.

Aucun pays n’a la vocation de fabriquer tout ce qu’il consomme. Mais nous pensons que c’est un secteur qui est stratégique, tout comme l’agriculture ou l’énergie.

La santé est stratégique. Pour preuve, la dernière pandémie de covid-19 a mis à nu l’égoïsme des pays. L’intégration va nous permettre d’être concurrentiels à l’export et d’être couverts en cas d’urgence ou de problème sanitaire majeur.

Quelles sont les ambitions de Biopharm à l’export ? 

Nous nous sommes principalement occupés de la couverture du marché interne, mais nous exportons aussi. Nous avons trois unités de fabrication.

Le mois dernier nous avons commencé à fabriquer des bandelettes glycémiques, en full process. Nous nous sommes lancés aussi dans l’oncologie. La première usine est à Oued Smar. Pour ce qui est de l’oncologie injectable, cela va commencer en 2023, dans une nouvelle usine à Oued Smar aussi.

Une autre usine verra le jour fin 2023, à Bouira. Durant cette phase, nous nous sommes occupés de couvrir le marché interne, qui est assez important, et de renforcer nos positions en interne, mais nous avons enregistré nos produits  dans plusieurs pays, notamment au Mali, au Niger et en Mauritanie.

Nous sommes actuellement en train d’enregistrer nos produits en Irak et à Oman. Nous avons l’ambition de pénétrer les marchés européens. Je n’en dirai pas plus, mais nous pensons réellement pouvoir entrer sur les marchés européens, probablement d’ici 2025.

Avez-vous bénéficié d’une aide des autorités publiques ? 

En Algérie, nous avons pris l’habitude de mettre le doigt sur ce qui ne marche pas et d’oublier de mettre en valeur ce qui marche.

L’autorité publique a beaucoup aidé la filière pharmaceutique en interdisant dès 2018 l’importation des produits fabriqués localement, ce qu’elle n’a pas fait pour d’autres filières.

C’est une très grande aide. C’est un levier très important, bien plus important que des ressources budgétaires ou financières. C’est une grande aide et nous souhaitons que cela continue.

Par ailleurs, en ce qui concerne l’exportation, nous sommes en concurrence avec plusieurs autres laboratoires pour exporter.

Nous avons exposé les contraintes que nous avons et qui nous empêchent d’être concurrentiels par rapport à certains pays, et par rapport à d’autres concurrents  dans des pays cibles.

Nous pensons qu’il y a une réelle volonté de lever ces contraintes, parce que le potentiel humain, industriel et  géographique est là. On peut l’exploiter de la meilleure des manières. L’Algérie a toutes ses chances de devenir un bon pays exportateur de médicaments.

Comment Biopharm a réussi à se développer ces dernières années ?

Le secret c’est le travail. À Biopharm, nous aimons le travail bien fait. Nous prônons l’excellence. Nous essayons de mettre en place tous les outils de la bonne gouvernance. Nous sommes cotés en bourse. Notre gestion est transparente. Nous publions nos comptes détaillés deux fois par an.

Nous avons un Code de l’éthique. Nous sommes comme des sociétés internationales. Nous avons un conseil d’administration et un comité d’audit. Le conseil d’administration a décidé d’épouser la politique tracée par les pouvoirs publics dès 2018, notamment via des investissements importants, à hauteur de 15 milliards de dinars.

Dans ces 15 milliards, au moins 60 % ont déjà été investis. Les 40 % restants vont l’être dans les deux prochaines années.

Un autre secret est la ressource humaine. Nous dépensons beaucoup dans la formation interne. Nous essayons d’avoir la meilleure ressource humaine, et essayons de bien nous en occuper et de la motiver.

Nous croyons réellement que le développement ne peut venir que de la matière grise, et donc de l’université. Nous avons été parmi les premiers à avoir des accords avec plusieurs universités.

Nous avons plusieurs projets très performants avec plusieurs universités. Ce ne sont pas des projets qui tombent dans l’oubli. Ils se traduisent par des produits, un chiffre d’affaires, etc..

C’est extrêmement important d’intensifier les relations avec les universités et d’allouer un budget à la recherche et développement (R&D).

Toutes les entreprises, à partir d’une certaine taille, doivent avoir leur propre département recherche et développement. C’est le moteur de développement de toute entreprise. Je suis frappé de voir comment nous avons évolué à travers les années.

Nous sommes passés d’un pays dont la seule préoccupation était les volumes d’importation à un pays qui s’intéresse à  la recherche et développement, à la matière première et aux méthodes analytiques.

Nous sommes passés d’un pays importateur à un pays fabricant, qui fait de la recherche. Nos jeunes maîtrisent de plus en plus les techniques. C’est une chose qui nous enthousiasme. Nous avons eu la chance, en vingt ans, de vivre et d’assister à cette mutation.

Qu’en est-il de l’avenir de l’industrie pharmaceutique en Algérie ?

Je regarde l’avenir avec beaucoup de confiance et de sérénité. Main dans la main, les acteurs du secteur doivent y travailler. L’industrie pharmaceutique n’est pas l’affaire du ministère de l’Industrie pharmaceutique uniquement.

Pour se développer, il doit y avoir un travail pluri-ministériel qui doit se faire, et qui comprend la santé, la sécurité sociale, les finances, notamment pour l’exportation.

 Il y a énormément de travail à faire pour réussir. Un seul ministère, à lui tout seul, ne peut pas tout faire. C’est la conjugaison des efforts de tous qui conduira l’Algérie à conquérir des marchés extérieurs et à renforcer ses productions internes.

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