Le projet de Loi de finances 2020 propose la suppression de la règle 49/51% pour les secteurs « non-stratégiques. » Cette mesure va-t-elle améliorer l’attractivité de l’Algérie ?
Smail Lalmas expert en économie : il faut savoir que l’intérêt porté aux investissements étrangers, notamment pour les pays en développement, est généralement justifié par de nombreuses attentes, à savoir leur impact sur la croissance, les apports en ressources financières, la hausse de la productivité, l’accès aux marchés extérieurs, sans oublier les transferts de savoir-faire ou de technologies.
Pour cela, la concurrence entre pays est très forte. Les pays rivalisent afin de proposer l’environnement juridique, les politiques économiques et les conditions de production les plus attractifs.
Malheureusement en Algérie, et malgré l’annonce de l’annulation pure et simple pour les secteurs non stratégiques de la règle 49/51% applicable aux investissements étrangers, de nombreux obstacles à l’investissement subsistent et sont de nature à décourager les investisseurs étrangers. Le déficit d’image et de communication dont souffre l’Algérie à l’étranger est un frein majeur pour l’attrait des IDE, nous pouvons en citer d’autres comme par exemple le phénomène de la corruption, la bureaucratie, la défaillance du système bancaire, l’informel, le chevauchement des attributions d’organismes en matière d’investissement. En plus, l’Algérie est souvent mal classée dans les classements des institutions internationales pour le climat des affaires.
Le ministre des Finances a annoncé un éventuel recours, de manière sélective, au financement extérieur pour financer des projets économiques structurels et rentables. Est-ce que c’est une bonne mesure ?
Le projet de loi de finances 2020 indique clairement que l’Algérie a l’intention de lever la restriction relative à l’endettement extérieur. Ce projet précise que l’Algérie s’endettera auprès des institutions régionales et internationales dont elle est membre dans le but de financer des projets stratégiques.
Mais la question à se poser est de quels projets stratégiques s’agit-il ? Est-ce qu’il s’agit de projets comme ceux que nous avons connus durant les 20 dernières années, avec plus de 1000 milliards de dollars engagés, sans retour sur l’investissement ? Il serait ridicule de parler d’endettement avec un gouvernement en manque de légitimité, sans programme économique ni compétences à la hauteur des défis qui nous attendent.
Sinon, je dirai que l’endettement d’un pays n’est pas dangereux tant qu’il reste sous contrôle. Beaucoup de pays développés ont atteint un niveau record d’endettement comme c’est le cas de la France, le Japon, les USA pour ne citer que ceux-là.
A noter qu’une dette publique maîtrisée peut être bénéfique, si elle est bien exploitée, créant ainsi des richesses pour le pays. Par ailleurs, cela devient problématique, voire dangereux quand la dette échappe au contrôle de l’Etat et que les créanciers n’ont plus confiance, cela arrive très souvent quand la santé économique du pays fait défaut avec une baisse sensible des recettes fiscales. Dans ce cas de figure, les économistes parlent d’un effet de boule de neige, qui se transforme alors en avalanche.
Au passage, je rappelle que des membres de l’actuel gouvernement avaient applaudi le recours à la planche à billets, dont ils critiquent aujourd’hui les conséquences. Penser que ces mêmes personnes vont pouvoir sauver la situation chaotique dont ils sont responsables ? J’ai vraiment du mal à le croire.
Le projet de loi de finances pour 2020 prévoit également des mesures autorisant les citoyens à importer des véhicules touristiques d’occasion équipés d’un moteur à essence, de moins de trois ans, à leurs propres frais. Cette mesure est-elle judicieuse ?
L’annonce à travers le projet de loi de finance 2020, de la possibilité donnée aux citoyens d’importer des véhicules d’occasion, est un aveu d’échec du gouvernement algérien de sa fameuse industrie de montage automobile, qui n’est à vrai dire rien d’autre que de l’importation déguisée. Cette décision est dictée par la facture faramineuse d’importation des kits de plusieurs marques de véhicules et de la baisse significative des réserves de change.
Le développement de l’industrie automobile visait à réduire les importations de véhicules et donc avoir un impact sur la facture, sur la balance commerciale, mais, finalement, les résultats n’ont pas été à la hauteur, et le prix du véhicule « Made in Algérie », est plus cher de 30% au moins par rapport aux véhicules montés dans d’autres pays, donc hors de portée, et ce, malgré toutes les facilitations et exonérations accordées aux opérateurs.
Le recours à l’importation des véhicules d’occasion reste une piste pour le gouvernement afin de répondre aux besoins du citoyen, surtout avec sa récente décision de réduire l’importation de kits de montage qui va à son tour faire baisser sensiblement l’offre sur le marché.
Il faut savoir au passage que seuls les véhicules à motorisation essence sont concernés par la disposition. Les Algériens ne pourront donc pas importer des véhicules à motorisation diesel, alors que ces mêmes véhicules sont montés en Algérie, ce qui est un paradoxe.
Par ailleurs, il est clair que la décision d’importer des véhicules de moins de trois ans est une option qui encouragerait le marché parallèle de la devise et, du coup, entraînera une perte importante de la valeur du dinar. Elle causerait aussi des pertes d’emplois au niveau des usines de montage suite au recul éventuel de la production, mais face à l’impuissance du gouvernement d’assurer une offre correcte en termes de qualité/prix pour le citoyen, c’est une option qui reste convenable pour casser le diktat et le monopole des différentes marques.
Est-ce que le gouvernement Bedoui a le droit de prendre de telles décisions ?
Le gouvernement provisoire est normalement chargé de gérer les affaires courantes et non de prendre ce genre de décisions. Mais tout le monde a remarqué que depuis quelque temps, ce gouvernement s’aventure à prendre des mesures importantes dont les retombées seront perceptibles à court et moyen terme.
Des observateurs se plaisent à dire que ce projet de loi de finance est fait sur mesures pour les étrangers. Qu’en pensez-vous ?
Effectivement, le projet de loi de finances 2020 a été élaboré sur la base d’une levée d’un certains nombre de restrictions qui avantagerait la partie étrangère notamment avec l’annulation de la règle 49/51% applicable aux investissements étrangers en Algérie, qui donnerait ainsi la possibilité aux investisseurs étrangers de détenir 100% du capital de la société avec la possibilité donc de transférer ses 100% de dividendes en devise.
Le recours au financement extérieur ou à l’endettement va permettre aux établissements financiers étrangers aussi de profiter de la situation ou la conjoncture défavorable pour négocier des prêts à des conditions avantageuses, chose qu’on aurait pu faire quand on disposait d’une manne financière importante.
La possibilité d’importer des véhicules de moins de 3 ans profitera aussi aux étrangers, puisque cela permettra de renouveler le parc véhicules notamment européen, et va sensiblement booster les ventes des voitures neuves.
Donc c’est un projet de loi de finances qui va sensiblement plaire à nos partenaires étrangers au détriment des intérêts nationaux, cela en attendant de connaître les contours de la prochaine loi relative aux hydrocarbures afin de s’assurer si réellement les secteurs stratégiques seront vraiment épargnés par la suppression de cette règle 51/49.