Économie

ENTRETIEN. Hassen Khelifati : « Nous sommes au début d’une situation inédite »

La crise du coronavirus a-t-elle un impact direct sur les entreprises ?

Hassen Khelifati, PDG d’Alliance assurances : Le monde de l’entreprise est en interaction avec son environnement et nous subissons directement les effets de cette situation exceptionnelle.

Depuis l’éclatement de cette crise en Chine au mois de décembre, le monde entier est en mode alerte pour suivre l’évolution de la situation.

Il est important de dire que la place de la Chine dans l’économie mondiale est très importante, au vu de son utilité en tant qu’atelier du monde qui fournit des quantités importantes d’intrants, de produits technologiques et même d’intrants pharmaceutiques.

Donc tout problème qui touche la Chine directement, il touchera le monde entier.

L’apparition de ce virus a entraîné d’abord un ralentissement de la croissance chinoise avec toutes les mesures prises par les autorités de ce et pays et d’autres pays pour contenir la propagation du virus, puis une baisse de la demande sur le pétrole au niveau mondial et la persistance de cette situation a entrainé un nouveau choc pétrolier mondial qui a impacté directement l’Algérie dont l’économie est dépendante totale de l’exportation des hydrocarbures.

Aujourd’hui, la propagation du virus est à nos portes et l’Europe en est devenue le foyer central.

Au-delà des inquiétudes sur l’accélération de la propagation et l’insuffisance de nos infrastructures, les entreprises seront impactées directement et commencent déjà à ressentir le coup très durement. Déjà que les entreprises n’arrivent pas à se relever des conséquences de la crise économique qui dure depuis 2014 et qui s’est aggravée en 2019.

Il y a d’abord un problème de ralentissement de la croissance dû aux effets de la persistance de la crise économique avec peu de reformes depuis des années déjà, et la crise politique qu’a traversé notre pays depuis le 22 février 2019.

Cette crise de coronavirus va aggraver la situation des entreprises et surtout, si elle vient à durer dans le temps, les entreprises manufacturières et autres vont tomber dans une pénurie d’intrants, cela a déjà commencé avec la Chine et maintenant ce sera au tour de l’Europe qui est en train de se confiner complètement.

La chute grave des prix de pétrole va encore fragiliser notre économie et nos entreprises.

Si la pandémie se corse chez nos principaux partenaires européens et asiatiques, nos entreprises seront très impactées et les effets seront néfastes sur tous les plans, notamment en termes de chômage et de croissance, surtout qu’aujourd’hui les finances publiques ne pourront pas faire face à autant de défis.

Avez-vous, au niveau d’Alliance Assurance, pris déjà des mesures ?

Depuis déjà un mois, nous avons commencé à nous préparer à cette situation exceptionnelle. Nos structures HSE se sont mises en mode état d’alerte et on prépare les procédures et le nécessaire en termes matériel, gel, masques, thermomètres, gants, javel, alcool, etc.

Nous avons pris plusieurs décisions pour cette phase 1 et nous avons mis en place des plans d’évolution vers les phases 2, voir phase 3 de confinement général, ce que nous ne souhaitons pas pour notre cher pays.

En interne, nous avons responsabilisé les managers de structures pour veiller au respect des mesures, nous avons ordonné la réduction au maximum de la circulation dans les couloirs inter-services et privilégié les échanges à distance, reporté tous les séminaires, formations, les déplacements en régions et en agences. Les agences ont été instruites de limiter les déplacements et de travailler à distance, nous avons mis aussi une adresse mail à la disposition des assurés, en cas de besoin.

Nous avons activé les réunions à distance et par les moyens technologiques quand la connexion est stable et suffisante.

Nous avons aussi adapté nos procédures et décidé de multiplier les tournés de nettoyage et de désinfection de tous les supports susceptibles d’être des vecteurs de transmission.

Aussi, nous avons mis en place des moyens de mesure de température et décidé de refuser l’accès à nos locaux à toute personne qui présente une température élevée ou des symptômes. Cela concerne nos employés ainsi que les personnes étrangères à la société.

Nous avons également demandé de reporter tous les rendez-vous et prévenu tous nos partenaires pour annuler leurs déplacements dans nos locaux centraux ou régionaux.

Nous ouvrons aussi la période des congés annuel plutôt que d’habitude pour ceux qui le souhaitent et certains employés des régions suspectées ont été libérés et devrons rester confinés chez eux jusqu’à nouvel ordre, sans effet sur leurs salaires. Nous étudions en outre le réaménagement du temps de travail pour certaines catégories du personnel.

Nous avons constitué une cellule de crise composée des principaux managers pour non seulement suivre à côté du HSE la mise en place, le respect et l’application des consignes d’hygiène, mais aussi adopter notre démarche au fur et à mesure de l’évolution de la situation et des annonces des autorités publiques. Nous sommes très attentifs.

Nous avons la responsabilité d’assurer la continuité de l’activité de l’entreprise et de son réseau et nous veillons p être prêts à tout moment à prendre nos responsabilités.

Nous avons encouragé et communiqué largement sur l’adoption des barrières sociales et la responsabilité de chacun. Pour vaincre la propagation du coronavirus, nous avons mis chacun devant ses responsabilités sociales et personnelles.

Comme l’a si bien dit le ministre chinois de la Santé, « se comporter avec autrui comme si vous aviez la certitude qu’il était atteint du virus mais aussi, comme si vous étiez vous-même porteur du virus ». C’est à ce prix que nous allons peut-être empêcher ou du moins ralentir la propagation du virus.

Nous voulons agir en toute responsabilité, avec anticipation et adaptation à la situation sans tomber dans la paranoïa et la panique.

L’entreprise algérienne est-elle outillée pour s’adapter à ce genre de situation ?

Sur ce point, certaines entreprises disposent de moyens et de logiciels qui peuvent leur permettre de s’adapter et de maintenir une organisation même à minima.

Le télétravail n’est pas encore dans notre culture de travail mais il commence à se vulgariser.

Notre point noir actuellement, c’est l’infrastructure internet qui n’est pas du tout à la hauteur d’une économie moderne et numérique, le débit est faible, les offres ne sont pas adaptées et les entreprises ont beaucoup de difficultés à exploiter ce réseau.

Seules les grandes entreprises pétrolières et bancaires peuvent supporter un coût d’infrastructures internet y compris satellitaires. Même pour le secteur des assurances notamment le réseau commercial, le coût d’acquisition et d’exploitation de l’internet est un facteur de compétitivité important. Il est temps de libéraliser ce secteur et donner plus de perspectives aux entreprises pour se développer et numériser à outrance notre économie.

Maintenir un monopole quasi administratif sans efficacité économique ne rend service ni à l’Algérie ni à ses entreprises ni à notre développement économique.

Dans le programme du président de la République ainsi que celui du gouvernement, une attention particulière est donnée à la numérisation et aux start-ups, mais sans une évolution du débit, de l’offre internet fixe et de l’infrastructure, les résultats escomptés seront difficilement atteignable.

L’internet mobile peut être en soutien mais ne peut être la solution miracle.

Ne faut-il pas des décisions des pouvoirs publics pour amortir l’impact de la situation sur les entreprises ?

Nous suivons ce qui se passe ailleurs sur la réactivité des autorités publiques en soutien à leur tissu d’entreprises et d’artisans car maintenant, cela touche y compris la TPE et les artisans.

Nous sommes au début d’une situation inédite et nos autorités essayent d’y faire face avec beaucoup de courage. Notre système sanitaire et notre personnel médical, à qui je rends hommage et exprime ma reconnaissance, font de leur mieux pour gérer une situation des plus complexes.

À mon avis, la situation sanitaire du pays est la plus grande priorité et nos autorités font face à une pression terrible afin de ne pas perdre le contrôle de la situation et sensibiliser la population sur les risques.

Des mesures fiscales, parafiscales et mêmes bancaires peuvent être prises par le gouvernement pour aider les entreprises pour rester debout et ne pas abdiquer.

Nous comprenons que la situation financière du pays ainsi que les finances publiques ne sont pas aujourd’hui au mieux.

Les entreprises algériennes ont subi les contrecoups de la crise depuis 2014 et qui se sont accentués depuis début 2019.

Nous devons dialoguer et nous concerter pour trouver les voies et moyens pour passer ce cap très délicat. Nous devons nous comprendre et nous entraider, gouvernants et entreprises, pour trouver le juste équilibre et aider notre pays d’abord même au prix de certains sacrifices. Les mesures et décisions ne sont pas obligatoirement à caractère financier, ce sont toutes les décisions qui peuvent libéraliser les initiatives, lever les entraves bureaucratiques, débloquer les projets en instance depuis des années, lever les entraves et créer une dynamique vertueuse qui redonnera l’espoir.

Avec la bonne volonté et la mobilisation de tout un chacun, nous dépasserons cette crise et nous pourrons remettre notre pays sur le chemin de la construction et rendre l’espoir d’un avenir meilleur à notre valeureux peuple.

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