Économie

Exclusif. Issad Rebrab à cœur ouvert

Faire le portrait d’Issad Rebrab est un exercice des plus difficiles. Comment présenter un homme qui n’est plus à présenter, sans tomber dans la répétition de ce que, en Algérie et même au-delà, on ne connaît que trop bien ?

Le capitaine d’industrie le plus emblématique du pays est forcément le plus médiatisé. Mais autant la communication du groupe qu’il a fondé, Cevital, est active, autant l’homme est discret sur sa personnalité, sa vie privée, ses pensées.

Tout le monde connaît les succès de Cevital et de son patron, ses produits, ses chiffres d’affaires, son patrimoine, ses heures de gloires et ses moments difficiles. Très peu sans doute connaissent la philosophie de vie de celui qui est derrière tout cela et qui vient de passer le flambeau.

A 78 ans, Issad Rebrab a décidé de prendre sa retraite et de passer le flambeau à son fils Malik. Et de dévoiler quelques secrets de son parcours atypique, des chemins escarpés de la Kabylie, du Djurdjura, qu’il a dû arpenter pieds nus pour aller à l’école, à ceux de l’universalité. Quelques facettes aussi de sa personnalité qui ne laisse jamais indifférent. Enfin, les précieuses clés de sa réussite.

Derrière l’investisseur se cache en fait un homme profondément croyant et un grand humaniste. « Toutes les religions vous disent : faites du bien à votre prochain, ne faites jamais de mal. Ceux qui sont bénis de Dieu sont ceux qu’il oriente vers le bien », proclame-t-il.

Deux heures de discussion avec Issad Rebrab, c’est un chapelet de maximes et de sentences, certaines de lui, d’autres empruntées. Tout est dit avec philosophie. « Non, la retraite ce n’est pas la fin. La seule vraie fin dans ce bas monde, c’est la mort », dit-il.

« La magie de voir grand »

Après un demi-siècle de labeur, son retrait des affaires et de la gestion du groupe est pourtant effectif. Il a été acté ce mercredi 22 juin. « Je serai disponible si on me sollicite pour un conseil, sinon je vais me déconnecter complètement de la gestion du groupe Cevital », annonce-t-il.

Pour la première fois depuis un demi-siècle, le groupe Cevital qui a grandi sous son aile, qu’il a défendu année après année des soubresauts, et Dieu sait qu’ils sont nombreux, devra fonctionner sans lui.

Le moment est assurément fort, crucial. Mais il le vit comme une étape qui devait de toute façon arriver, sans inquiétude.  « Je ne suis pas inquiet. Je n’ai aucun souci pour la relève. Au contraire, aujourd’hui nous avons plus de moyens pour former », assure Issad Rebrab.

« Cevital va continuer à progresser, à investir, à créer de la richesse, à exporter. Ce sont les orientations que j’ai données. Nous avons des projets qui viennent de démarrer, d’autres en construction et d’autres seront lancés l’année prochaine », ajoute-t-il.

Pour cela, il compte sur son fils Malik, le nouveau patron, qui sera épaulé par des talents que recèle le Groupe. « Tous Algériens », tient à préciser Issad Rebrab.

« Les grands talents, il faut les chercher, mais en cherchant bien, on les trouve », ajoute-t-il.

Son critère le plus important, c’est l’intégrité. Mais Issad Rebrab préfère le dire dans une formule typiquement algérienne : « Un fils de bonne famille reste toujours un fils de bonne famille. ».

« Car en réalité, explique-t-il, il ne peut y avoir de richesse que l’homme. Quand vous avez du personnel de qualité, vous ne pouvez avoir que du succès. » C’est une des clés de sa réussite, mais pas la seule. « La magie de voir grand ». Cette formule, il la répète de nombreuses fois en deux heures, tout en reconnaissant qu’elle n’est pas de lui.

« L’ennemi, c’est la peur et l’ignorance »

L’ascension d’Issad Rebrab n’est pas fulgurante comme on peut l’entendre çà et là. L’homme a vraiment commencé « petit », après une enfance difficile à Taguemount Azouz, près de Beni Douala à Tizi-Ouzou, sous le colonialisme, qui plus est dans une famille modeste.

Participation dans une petite entreprise de fabrication métallique, création de Profilor au début des années 1970, Métal Sider 20 ans plus tard, puis Cevital et ses différentes filiales à partir de 1998. Pendant tout ce parcours qui « n’a jamais été un long fleuve tranquille », la « magie de voir grand » a toujours fonctionné.

Pour Issad Rebrab, tout est question de mental. La condition première pour réussir, c’est d’être optimiste.

C’est le conseil qu’il donne aux jeunes. « Vous ne pouvez pas réussir si vous ne croyez pas que vous allez réussir. L’ennemi, c’est la peur et l’ignorance », dit-il. Il a prouvé que la réussite est possible en Algérie. Le pays peut-il aussi réussir « collectivement » ?

La condition est la même, lâche-t-il sans hésiter. « Il faut que les gens pensent positif collectivement. Tous, sans exception, peuvent façonner leur destin par leur esprit. La politique n’a rien à voir. Le plus important c’est d’orienter la pensée des gens vers le bien. Si tous les Algériens sont optimistes, le reste sera facile. En Algérie, les opportunités sont infinies », détaille-t-il.

De fil en aiguille, Issad Rebrab livre une autre clé du succès de son groupe: « J’ai toujours, toujours, toujours réinvesti. Notre ADN c’est l’investissement permanent. Depuis 1971, nous réalisons des résultats, la plus grande partie, nous la versons au budget de l’État, le reste est systématiquement réinvesti. Nous ne distribuons même pas 1% de nos résultats. ».

Mais ce n’est pas tout. Le groupe privé s’est aussi mis à la diversification. En plus de l’agroalimentaire, son cœur de métier, Cevital compte des filiales dans l’électroménager, le verre plat, la logistique, et autres activités.

Pendant 55 ans, Issad Rebrab a travaillé et investi jusqu’à bâtir le plus grand groupe privé algérien, l’un des plus importants en Afrique.

Sa plus grande fierté ? « Avoir créé autant d’emplois. »

Et voici sa réponse à la question inévitable pour tout nouveau retraité : « J’ai beaucoup voyagé, mais maintenant que je suis libre, peut-être que je ferai le tour du monde ». Décidément, « la magie de voir grand » suit Issad Rebrab même dans sa retraite.

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