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Exclusif. Les dirigeants de Djezzy nous disent tout

Exclusif. Les dirigeants de Djezzy nous disent tout

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Vincenzo Nesci, président exécutif de Djezzy (à gauche), et son directeur général, Matthieu Galvani (à droite).

Vincenzo Nesci, président exécutif de Djezzy, et son directeur général, Matthieu Galvani, parlent, dans cet entretien exclusif accordé à TSA, des activités de l’opérateur de téléphonie mobile, de ses projets, de ses visions et de ses investissements. Ils analysent la situation actuelle du marché des télécoms en Algérie et ses perspectives. Ils reviennent également sur la période de blocage qu’a connue Djezzy avant sa reprise à 51% par le Fonds national d’investissement (FNI) en 2015.

Quels sont les résultats réalisés par Djezzy durant l’année 2017 ?

Matthieu Galvani : les résultats financiers de l’activité de Djezzy pour 2017 sont très bons, solides dans un marché concurrentiel. Un marché qui a connu la résurgence de difficultés économiques passagères au milieu de l’année écoulée, qui ont perturbé les plans de tous les grands acteurs de l’économie du pays. Nous avons eu une bonne première partie de l’année avec une croissance forte jusqu’au mois d’août. Après, il y a eu une stabilisation de cette croissance puis une légère décroissance au cours de la deuxième partie de l’année, compte tenu du changement du contexte économique.

Beaucoup d’augmentations de prix ont été constatées au niveau du panier de dépenses moyen du foyer familial. Il y a eu des contractions budgétaires assez fortes opérées dans les budgets de dépenses des ménages qui ont impacté tous les secteurs de production et des activités économiques du pays. Mécaniquement, il y a eu des hausses importées de prix. Pendant cette période, nous n’avons pas changé nos prix.

Vous avez donc maintenu les mêmes prix…

Matthieu Galvani : en part relative, nous avons baissé les tarifs. En même temps, nous avons absorbé les augmentations de taxes de la Loi de finances 2017. Nous n’avons pas répercuté ces hausses sur nos prix de vente (data et voix). Nous avons fait de nouvelles offres au cours de l’année où les prix de la data et de la voix ont baissé.

Qu’en est-il des nouvelles taxes pour 2018 ?

Matthieu Galvani : nous n’avons pas répercuté ces taxes sur les prix. Nous ne l’avons pas fait l’année dernière, ne le ferons pas cette année. Ce n’est pas possible de le faire en fait, pour être transparent. Au-delà d’une volonté économique de l’acteur de le faire ou pas, ce n’est pas possible aujourd’hui. Nous ne sommes pas dans un système où l’on peut augmenter les prix de la voix ou de la data. Si vous regardez les dernières offres qu’on a faites, on est plutôt sur une forte diminution des prix.

L’axe majeur de 2017 était la 4G. Nous sommes présents déjà dans 28 wilayas. Nous avons respecté notre cahier de charges de licence et nous avons même dépassé nos obligations de couverture. Nous sommes à 25% de couverture de la population, c’est-à-dire plus de dix millions d’Algériens. Et en même temps, nous avons augmenté notre couverture de la 3G avec 75% de la population.

Quand vous parlez de bons résultats, c’est-à-dire ?

Matthieu Galvani : notre chiffre d’affaires est de plus de 100 milliards de dinars avec un résultat d’exploitation qui avoisine les 50%. C’est-à-dire que nous avons un excellent équilibre. En même temps, nous avons investi 15 milliards de dinars en 2017. Nous sommes dans une économie qui se contracte. Notre chiffre d’affaires se contracte également d’une manière mécanique. Mais, on investit davantage. On croit en le potentiel de l’économie algérienne parce que les investissements faits en 2017 vont se répercuter d’une manière positive en 2018 et 2019. Sur la même période (2017), on a recruté plus de 400 personnes.

Vincenzo Nesci : c’est très simple. La réalité est qu’entre le 1er janvier 2017 et le 1er janvier 2018, le nombre de nos employés est passé de 2.800 à 3.205. Soit 405 personnes de plus.

Matthieu Galvani : si on prend que le chiffre d’affaires de l’opérateur, on ne voit pas tout le reste. Si les prix baissent et que les taxes augmentent. Que se passe-t-il ? Le chiffre d’affaires de la société diminue. Ce n’est pas lié à la bonne santé ou non de l’entreprise. La bonne santé de l’entreprise se voit sur les niveaux du compte de résultats inférieurs. Nous avons massivement investi avec 15 milliards de dinars, nous sommes passés de 100 à 150 boutiques, nous avons investi dans toutes les régions du pays, pas uniquement dans les grandes villes. Nous avons créé de l’emploi dans ces régions et nous avons également créé de nouveaux métiers en interne en reclassant 200 salariés. Cela coûte de l’argent, c’est de l’investissement. Notre réseau a été étendu aussi bien pour l’infrastructure télécoms que pour le commercial. Nous avons développé notre capital humain aussi.

Avec tout cela, nous avons toujours presque 50% de résultat brut d’exploitation (Ebitda) et une solide santé financière au niveau du compte du résultat entreprise. Ces ratios sont supérieurs à ceux du concurrent privé. En 2017, nous avons investi deux fois plus que le concurrent privé.

Allez-vous maintenir le même rythme d’investissement ?

Matthieu Galvani : oui. Avec 15 milliards de dinars sur douze mois.

Quels seront vos principaux investissements ?

Matthieu Galvani : c’est surtout sur le réseau, car c’est cela qui fait fonctionner tout. En 2017, nous avons constaté une énorme croissance de la consommation data internet avec plus de 35%. Donc, il faut qu’on continue à rajouter de la capacité pour faire passer cette demande qui augmente, vendre de plus en plus. Nous générons de plus en plus de trafic sur la bande passante internet. Nous devons également étendre la couverture 3G et 4G, densifier les zones qui existent déjà comme les centres urbains ou les nouveaux centres urbains.

Avez-vous des zones ciblées ?

Matthieu Galvani : nous avons une couverture nationale mais nous avons une politique régionale. Ce n’est pas un secret, mais nous regardons l’Algérie sous l’angle de sept agglomérations ou régions, c’est ce que nous appelons les grandes Business Units.

Lesquelles ?

Matthieu Galvani : Alger-Centre, grand Alger, Oran, Tlemcen, Constantine, le grand Sud et Sétif. Deux régions à l’Est, deux régions à l’Ouest et deux régions au Centre.

Le grand Sud, c’est-à-dire ?

Vincenzo Nesci : le Sud algérien dans le sens vaste.

Toute la région du Nord n’égale pas le grand Sud…

Matthieu Galvani : la densification de la population est différente. Nous couvrons des régions du littoral et celles des Hauts-Plateaux. Nous regroupons nos régions en posant cette question : est-ce que ça fait du sens au niveau urbain, administratif et géographique en suivant les infrastructures du pays ? Il y a des sous-régions à l’intérieur de ces régions. Donc, quelque part, on regroupe 48 wilayas sur sept régions et à l’intérieur, on refait le découpage. La région d’Alger-est, par exemple, découpée en 60 sous-régions. Vous voyez donc, le degré de précision avec lequel on regarde. Nous avons des départements géomarketing qui s’intéressent à ce qui se passe dans ces régions. Nous essayons à partir de là d’orienter nos investissements et d’améliorer nos services.

Vous avez parlé de 35% de croissance de la demande sur Internet. Où cette demande est-elle concentrée ? Dans les zones urbaines ? Au Nord ?

Matthieu Galvani : il n’y a pas de région particulière. C’est plutôt en fonction des concentrations urbaines. Vous savez que 50% de la population algérienne a moins de 30 ans. La croissance est générée soit par cette population, soit par les entreprises. Ces moins de 30 ans sont au sein de cellules familiales ou de centres universitaires, etc. Nous nous intéressons énormément aux centres universitaires. En fonction d’un centre urbain ou de l’autre, la demande est là, cela suit la densité de la population. Les jeunes ou les entreprises sont éparpillés, pas dans telle ou telle région. Mais, à l’intérieur des régions, il y a des zones où la croissance est plus forte dans l’une par rapport à l’autre.

Vous avez déclaré que 1,6 million d’heures sont vues sur YouTube sur votre réseau par jour. Comment pouvez-vous accompagner tout ce flux ?

Matthieu Galvani : c’est pour cette raison que nous investissons 15 milliards de dinars par an dans la capacité du réseau, aux fins de pouvoir augmenter les tuyaux pour que le flux internet passe. Notre capacité actuelle permet le passage de 1,6 million d’heures YouTube par jour. Si vous mesurez cette capacité par rapport à d’autres réseaux, nous sommes les meilleurs. Garantir l’accès, c’est facile. On peut avoir un site, couvrir une zone, mais derrière, il y a un débit faible. C’est comme si on prenait une douche au goutte à goutte ou une douche à gros arrosage. On passe plus de temps sous une grosse pommeau de douche à bon débit que sous une douche à faible débit.

Nous avons la même vision des choses. Nous voulons garantir un gros débit. Pour y arriver, il est nécessaire d’engager des investissements, au moins pour arriver à 10 ou à 15 Méga garantis pour l’utilisateur sur place, en permanence et à l’heure de pointe. Et l’heure de pointe, c’est la fin de la journée et le soir.

Pendant cinq ans, Djezzy a connu un blocage. Est-ce que l’entreprise, qui investit et qui se redéploie aujourd’hui a-t-elle pu surmonter ce blocage ?

Vincenzo Nesci : il y a eu cinq ans de blocage, c’est vrai. Ce blocage s’est terminé fin janvier 2015, il y a trois ans donc. Durant ces trois ans, nous avons fourni des efforts d’investissements qui nous ont permis d’avoir un réseau 3G de très haute qualité. Souvenez-vous qu’à cause du blocage, nous avions lancé le réseau 3G plus tard que les autres et avec une couverture qui n’était pas à la hauteur des attentes de nos clients. C’est de cette manière que beaucoup de clients nous ont quittés pour aller chez les concurrents qui, entre temps, avaient bien préparé le lancement de la 3G. À l’époque, nous ne pouvions pas le faire. Pour récupérer ce retard, nous avons anticipé sur la 4G. Durant 3 ans, nous avons donc lancé le réseau 3G et assuré un lancement en force de la 4G. Nous avons surtout démontré que Djezzy était de retour.

Aujourd’hui, on peut bien le dire : Djezzy est de retour et est en train de reprendre son rôle de leader. Et au niveau de la qualité, nous sommes le leader.

Comment avez-vous justement géré les problèmes durant cette période d’incertitude ?

Vincenzo Nesci : cinq ans de blocage ont créé tout un tas de problèmes comme l’obsolescence du réseau et des plateformes. Cela a surtout sapé le moral des collègues. J’ai fait partie de l’équipe de négociation et j’étais convaincu qu’on allait réussir l’accord avec le gouvernement. Mais les collègues étaient sceptiques et avaient peur de l’échec des négociations. « Allons-nous tous nous retrouver au chômage ? », m’interrogeaient les collègues. Les gens ne décidaient pas, étaient dans cette attente qui est néfaste pour toute entreprise. Cela a donc changé la façon de travailler et de penser.

Et que s’est-il passé après l’accord avec le FNI, Fonds national d’investissement ?

Vincenzo Nesci : après l’accord avec le FNI, nous avons cherché à retrouver le fil de la discussion avec nos collègues et à les motiver de nouveau. Je crois que nous avons réussi mais certains ne voulaient plus continuer l’expérience avec nous. Ils avaient d’autres ambitions. À cause de cela, nous avons établi des offres de départ volontaire.

Il y a eu beaucoup de départs ?

Vincenzo Nesci : je dois préciser qu’il n’y a eu jamais de licenciement chez nous. Dans la première offre de départ volontaire, de 250 à 270 salariés ont quitté l’entreprise. La deuxième offre a concerné 700 personnes, la troisième, plus récente, a touché environs 200. Cela fait plus de 1.000 personnes qui sont parties. Mais, en même temps, beaucoup sont arrivés avec des profils différents. Nous n’avions plus besoin d’un certain type d’ingénieurs, mais d’analystes data et de formateurs dans le digital. Nous avions besoin d’analystes de données pour personnaliser les besoins de nos clients et étudier leurs profils pour pouvoir adapter nos offres. C’est ce que nous recherchons maintenant. Nous avons recruté des jeunes brillants diplômés de l’université de Bab Ezzouar (USTHB) qui non seulement assurent les tâches que je viens d’évoquer, mais qui nous ont permis de réaliser toute une série de développement sur nos plateformes et sur nos offres à l’intérieur de Djezzy sans besoin de consultants extérieurs ou étrangers. Nous avons économisé des devises. Et, nous sommes en train de mettre en place une nouvelle manière de travailler. Cela nous fait plaisir de vous accueillir dans ce nouveau bâtiment qui n’est pas encore inauguré officiellement.

Matthieu Galvani : ici tout le monde travaille dans l’open space. Ni le chairman ni le directeur général n’ont de bureaux.

Vincenzo Nesci : nous sommes tous dans l’open space.

Avez-vous évalué les pertes du blocage de cinq ans ?

Vincenzo Nesci : c’est du passé ! Évidemment, nous étions au top, leader du marché. On nous a réduit nos parts de marché. Mais je pense que regarder dans le rétroviseur aujourd’hui ne sert à rien. Il est préférable de parler de ce que nous faisons actuellement pour évoluer. Nous n’allons pas réécrire l’Histoire.

Matthieu Galvani : Djezzy est une société qui essaie de se réinventer. On recrée un nouveau Djezzy. Ce n’est plus l’ancien modèle avec la voix et la mobilité. Là, on est dans l’accès au digital, au numérique, à l’Internet, etc. C’est une entreprise complètement différente. Une nouvelle entreprise avec de nouvelles femmes et de nouveaux hommes qui nous ont rejoints. Nous avons investi dans nos systèmes d’information pour que nous soyons indépendants dans l’innovation.

Avant, Djezzy devait attendre qu’un grand fournisseur international d’infrastructure Telecom innove pour qu’on achète son innovation et qu’on l’importe. Nous avons fait le pari de moderniser notre système d’information. Nous avons mis à la poubelle tout ce que nous avions avant en réinvestissant dans un nouveau modèle complètement digital et modulaire qui nous permet de faire tout ce qu’on veut.

Vincenzo Nesci: nous faisons cela avec un des leaders mondiaux et européens qui est Ericsson.

Matthieu Galvani : aujourd’hui, 2.500 ingénieurs d’Ericsson travaillent pour mettre en place ce nouveau système d’information. Un nouveau système modulaire que nous exploitons avec nos ingénieurs qui sont de Bab Ezzouar ou d’autres universités. Nous pouvons innover et développer nos systèmes nous-mêmes. Nous avons à peu près 1.000 ingénieurs.

La nouvelle entreprise a gardé la même identité visuelle et la même appellation commerciale. Pourquoi ?

Matthieu Galvani : Djezzy est une marque forte qui est appréciée par les Algériens. C’est une contraction entre Djazair (Algérie) et Djaz’a (récompense). Nous avons toujours été rouge et toujours été Djezzy. Hamoud Boualem a toujours été jaune et noir. C’est culturel. Un point de référence, une marque.

Le plus important est que, ce qui se passe à l’intérieur de Djezzy va se voir à l’extérieur. Nous avons changé en termes de rythme de vente, regagné des parts de marché sur plusieurs segments. Nous avons une forte croissance de la data. Nous avons déployé des infrastructures internet 3G et 4G pour faire face à cette demande. De plus, nous sommes reconnus pour être le meilleur réseau aujourd’hui parce que nous avons investi plus que les autres.

Comment ?

Matthieu Galvani : nous avons la meilleure couverture, le meilleur débit et le meilleur accès. Nous encourageons tous les consommateurs et les membres de la presse à télécharger l’application OpenSignal et mesurer partout l’efficacité des trois réseaux en même temps.

Vous pouvez, grâce à cette application, savoir où se trouve la 3G ou la 4G et évaluer le débit. Avec le monde digital, la performance des réseaux est publique. Cela ne sert à rien de crier à tue-tête que « nous avons la plus grande couverture parce que nous couvrons 48 wilayas ». On peut couvrir 48 wilayas avec 48 sites. Cela ne nous intéresse pas. Nous couvrons déjà dix millions d’Algériens. L’OpenSignal est là pour calculer. C’est celui qui investit le plus qui réalise les meilleurs scores. Ce n’est pas compliqué. Nos trois actionnaires FNI (51%), Veon et Cevital (49%) croient en le potentiel de l’économie du pays et qui projettent d’investir 100 milliards de dinars sur les 5 prochaines années. Il n’y a pas un autre opérateur qui est capable de vous donner son chiffre d’investissement pour les 5 prochaines années.

Comment évaluez-vous le marché algérien des télécoms ?

Matthieu Galvani : c’est un marché en pleine transformation. Tout comme le prix du baril est en train de transformer les économies. L’économie numérique émerge et la manière avec laquelle fonctionnent les marchés financiers va changer.

Dans les télécoms, nous sommes dans le même cas. Nous avons lancé la mobilité puisque nous pouvons appeler de n’importe où avec un téléphone. Aujourd’hui, avec mon téléphone je peux regarder un film de n’importe où, je peux voir d’autres personnes, consulter, partager, poster des photos… Et bientôt, je vais pouvoir payer ici ou ailleurs. C’est cela la transformation. Nous ne pouvons pas faire cela avec la même société de la mobilité. Nous ne sommes plus dans le même métier.

Il est évident que l’Algérie va sur ce chemin-là. Tous les pays qui viennent derrière ou qui sont déjà sur ce chemin ont créé énormément de valeurs pour l’économie. Pourquoi l’Algérie n’en créerait pas ? En plus, l’Algérie bénéficie d’une infrastructure de l’industrie hydrocarbure qui est toujours là malgré les fluctuations du marché pétrolier. Malgré les turbulences, l’économie algérienne n’est pas en crise. Elle est en phase de changement. Comme dans toutes les économies en transition, il y a toujours des opportunités et des mouvements d’essoufflements avec des métiers qui s’arrêtent et d’autres qui se créent.

Beaucoup d’entreprises se plaignent d’entraves bureaucratiques ou d’accès au foncier quand elles engagent des investissements en Algérie. Qu’en est-il pour vous ?

Matthieu Galvani : nous avons les mêmes contraintes que tout le monde, mais cela ne nous empêche pas d’investir des montants considérables.

Vincenzo Nesci : n’oubliez pas que nous sommes une société algérienne. Nous ne sommes pas une société étrangère qui décide de venir s’installer ici. Nous sommes en Algérie depuis dix-huit ans. Nous sommes venus au moment où personne ne venait. Aujourd’hui, nous sommes une entreprise publique économique avec un actionnaire public et un groupe international mais nous avons des racines algériennes.

En matière d’investissement, nous sommes traités comme une société algérienne. Je peux vous dire que nous sommes fiers de cela. Ce building (siège de Djezzy à Alger) sera reproduit dans les autres sites de l’entreprise. Il a été réalisé avec un architecte algérien, une entreprise algérienne, le mobilier est de fabrication algérienne. Nous voulions importer des luminaires d’Europe. Il y a eu le blocage d’importation. La société algérienne, qui fabriquait les meubles, a décidé de lancer la ligne de production de luminaire. Donc, c’est la réalité de l’Algérie d’aujourd’hui et de demain.

Matthieu Galvani : nous avons 3.200 salariés. Si vous regardez toutes les activités et les entreprises qui tournent autour de Djezzy, il y a 10.000 postes d’emploi indirects. Il faut protéger tout cela.

Vincenzo Nesci : en plus de tous les emplois de notre réseau commercial.

Matthieu Galvani : nous distribuons nos produits dans 90.000 points de vente à travers le pays. On peut y trouver la recharge Flexy ou la carte Sim. Des commissions sont prises à chaque vente de ces produits. Ces points sont également des lieux de destination parce que les gens y viennent recharger et c’est là que d’autres produits sont vendus comme l’agroalimentaire, les cosmétiques ou le tabac. Ce large tissu économique autour de notre activité génère jusqu’à 200.000 emplois.

Vincenzo Nesci : il faut dire que 100.000 foyers vivent de Djezzy.

Matthieu Galvani : quelle est la vision de la société pour le futur de l’Algérie, pas pour maintenant, avec la maximisation des résultats ? Qu’est-ce que cette société fait réellement aujourd’hui pour demain ? Elle investit en Algérie. Les autres sociétés, même celles en partenariat avec des multinationales, réduisent leurs investissements. Djezzy ne le fait pas parce qu’elle est une société algérienne avec des actionnaires algériens et un groupe international.

Continuez-vous à croire au marché algérien ?

Vincenzo Nesci : le groupe international a voulu, à tout prix, arriver à l’accord avec le gouvernement algérien (en 2015) car il croit à l’Algérie.

Matthieu Galvani : ça serait une folie de ne pas croire au marché algérien.

Vous avez augmenté le nombre de boutiques pour arriver à 150 à fin 2017. Allez-vous poursuivre l’ouverture de nouvelles boutiques ?

Vincenzo Nesci : oui, nous allons continuer.

Matthieu Galvani : nous voulons dépasser la barre des 200 boutiques vers la fin de l’année. Nous avons donc ouvert 50 nouvelles boutiques et refait une dizaine d’autres. Nous devons remettre à niveau nos anciennes boutiques. En Algérie et dans toute la région, les opérateurs ferment les boutiques.

Vincenzo Nesci : visitez les boutiques que nous avons réalisées. Elles sont habillées avec des produits et du mobilier algériens.

Le data est-il une priorité pour vous ?

Matthieu Galvani : le smartphone ! Un utilisateur sur deux est toujours sur un téléphone ancien modèle pour la voix. Il y en aura toujours. Les prix des smartphones sont en train de diminuer. Nous proposons des packs sur douze mois, subventionnés à hauteur de 50% le terminal; et donc à ramener le prix d’un terminal à 4 à 5000 dinars. Cela dit, les smartphones ont toujours été chers.

Vous parlez souvent du « meilleur prix ». Comment le définissez-vous ?

Matthieu Galvani : le meilleur prix, c’est le moins cher pour un produit qu’on peut utiliser. C’est aussi simple que cela. Pas de gratuit ou quasi gratuit pour rien. Cela ne nous intéresse pas et ça n’intéresse pas le marché. Ce qui intéresse le marché, c’est regarder et poster sur YouTube, poster sur Facebook, écouter de la musique, regarder des films sur streaming, donc, brasser beaucoup de contenus. Pour cela, il faut augmenter la capacité. Je ne vais pas m’arrêter de regarder un film au milieu parce que j’ai un problème de prix ou de débit.

Vincenzo Nesci : meilleur prix pour un produit très bon niveau. C’est-à-dire pour une vitesse d’accès qui est la meilleure.

Les utilisateurs algériens se plaignent souvent de la mauvaise qualité de la 3G ou 4G…

Matthieu Galvani : nous sommes en moyenne sur une qualité qui est au meilleur du top des standards internationaux. Je vous invite à mesurer à l’heure de pointe dans une des zones les plus denses. Les membres de la presse qui ont utilisé OpenSignal ont constaté qu’on est toujours au-dessus de 8 Méga. Vous ne l’avez pas en ADSL. Vous n’avez même pas 1 Méga en ADSL. Si vous avez cet accès permanent pour 10000 dinars, plus la voix illimitée, donc…

Qu’en est-il de la 5G ?

Matthieu Galvani : il faut d’abord finir l’investissement sur la 4G. Il faut que la 4G se stabilise. La 5G va venir, c’est sûr. Cela dit, les terminaux 5G n’existent pas encore. Nous avons un peu de temps devant nous, mais un jour ou l’autre, on va y arriver. C’est pour cela qu’on doit se préparer à faire toutes les révolutions digitales en interne avec nos systèmes d’information. Nous pourrons après accueillir la 5G, sans problème.

Vincenzo Nesci: nous avons à faire de l’Internet avec des objets connectés à la 4G. Nous n’avons pas besoin, pour l’instant, de la 5G.

L’offre Hayla a eu de l’écho auprès de vos clients. Allez-vous continuer avec cette offre ?

Matthieu Galvani : c’est une édition limitée. Nous n’allons pas la vendre ad vitam aeternam. Elle va s’arrêter une fois que les stocks de la carte Sim ne seront plus disponibles.

Combien revendiquez-vous d’abonnés actuellement ?

Vincenzo Nesci : un peu plus de 15 millions.

Voulez-vous avoir plus d’abonnés ?

Matthieu Galvani : si nous voulons, nous pourrions avoir 40 millions d’abonnés et avoir des abonnés fictifs, ce n’est pas cela qui nous intéresse. Nous ne regardons pas le nombre de clients. Ce que nous regardons, c’est l’usage. Nous avons des clients qui utilisent plusieurs cartes SIM, que ce soit chez nous ou chez les concurrents. Nous voulons capturer les usages voix, contenus et data internet sur le marché. Si cela veut dire qu’on passe à 16 ou 17 millions d’abonnés, c’est très bien. Si nous serons à 14 millions d’abonnés, ce n’est pas cela qui importe, pas le nombre des clients ou de cartes SIM. Ce qui importe, c’est l’usage.

Derrière les points de connexion, nous avons parfois plusieurs utilisateurs. Aujourd’hui, nous vendons un modem 4G de 10 Go pour 10.000 dinars pour trois mois. Derrière, on peut avoir dix connexions simultanées. Ce modem peut être utilisé par une petite entreprise ou une famille. Nous vendons ce modem à un client, mais en réalité nous avons dix derrière. Nous ne sommes pas en train de dire que nous avons 10000 modems, donc nous avons 10.000 clients. Nous continuons à dire que nous avons vendu 10000 modems, donc nous comptons 1.000 clients alors que nous en avons beaucoup plus.

Ce qui nous intéresse davantage est de voir combien de smartphones sont connectés sur notre réseau, savoir le niveau du confort qu’ils ont, et avoir le bon service et le bon prix. Nous sommes d’abord intéressés par la satisfaction du client, pas par le nombre de clients que nous avons.

La nouvelle loi sur les télécommunications a été adoptée par l’APN. Comment Djezzy va-t-il s’adapter à cette loi ?

Vincenzo Nesci : nous attendons que le Sénat (Conseil de la nation) adopte cette loi. Il y a des choses innovantes dans ce texte comme les opérateurs virtuels. Donc, ça sera une nouvelle approche que le marché va juger. Il y a malheureusement un renforcement de certaines exclusivités et de certains monopoles d’Algérie Télécom. Cela ne nous plaît pas beaucoup. Nous l’avons dit à la commission parlementaire qui nous a invités à nous exprimer sur la loi. Nous sommes dans une logique de libéralisation de l’économie, ce n’est pas en renforçant les monopoles de l’État qu’on va aller de l’avant. Mais, nous sommes légalitaires, nous allons respecter la loi. Mais, je pense que ce n’est pas des considérations liées à la sécurité de l’État qui doivent être utilisées pour justifier ces prises de positions.

Aujourd’hui, dans notre métier, dans les télécoms, le contrôle et la visibilité sur les abonnés et sur les communications sont totales. L’accès au câble sous-marin est total. Ce n’est pas cela qui doit être l’argument.

Vous plaidez souvent, en parlant de votre rapport à la société, pour « plus de générosité et de proximité ». Comment ? Avez-vous des projets ?

Matthieu Galvani : Il y a un phénomène qu’on appelle la communauté de passion chez les jeunes. Les Algériens sont 42 millions. Il y a donc 42 millions d’entraîneurs et de footballeurs. Le football est une communauté de passion. La musique et l’art culinaire le sont aussi. Dans la musique et l’art culinaire, nous retrouvons les spécificités régionales de l’Algérie. À Djezzy, nous prenons nos racines dans ces communautés de passion. Pour le football, nous voulons aider la société et la jeunesse, parce que nous sommes une entreprise citoyenne. Nous voulons voir comment pouvons-nous investir dans la proximité au niveau régional avec certaines communautés pour les aider par exemple pour refaire un terrain de sport au niveau local. Manière de se rapprocher de ces communautés. C’est de la générosité indirecte. Il y a aussi le e-sport qui est en train de connaître un essor fort à travers le monde et en Algérie également. Des équipes de foot se forment en ligne avec un Mercato, des transferts de joueurs et des joueurs officiels qui sont tous virtuels.

Il y a aussi les joueurs réels puisque vous êtes en partenariat avec Riyad Mahrez, la star de Leicester City…

Nous avons, c’est vrai, un contrat d’image et de sponsoring avec Riyad Mahrez qui est un peu atypique à avoir avec une star comme lui. C’est une expérience humaine qu’on a eue ensemble. Lorsqu’on connait Riyad, sa générosité, sa gentillesse et sa passion pour son pays, ça frappe tout de suite. Il est humble. C’est un homme performant et qui s’intéresse à la performance collective. Il a envie, d’investir de son temps avec nous et de voir comment animer ces communautés de passion parce que c’est cela aussi le futur de la jeunesse et ça correspond aux valeurs de notre entreprise et au rôle qu’on doit jouer. Un rôle quelque peu « aspirationnel » par rapport à ce que la jeunesse attend des grandes entreprises industrielles en Algérie.

Nous investissons dans les modèles d’inspiration. Nous investissons dans la musique aussi. Durant le Ramadan dernier, nous avons contribué à faire émerger des artistes sur le Web de toutes les régions d’Algérie. Des artistes, très connus dans le monde digital, qui ont fait ensemble un single qui a eu un grand succès. Ils sont des références. Nous pouvons jouer le rôle de start-up ou de propulseur de ces artistes.

Il en est de même de l’art culinaire. Ce n’est pas uniquement la générosité au niveau des promotions des prix mais voir comment on peut se rapprocher. Il faut qu’on se rapproche des régions qui sont plus isolées et des jeunes qui sont dans ces régions. Avec la 3G ou la 4G dans ces régions, on n’est plus isolés. On a accès à autant de connaissances, d’informations et de consommations que quelqu’un qui est à Boston, à Francfort ou à Moscou. Il est important de participer à la protection de ces jeunes qui sont présents sur Internet.

Vous êtes sûrement au courant du phénomène de la baleine bleue (jeux qui a poussé des adolescents au suicide). Nous jouons notre rôle de citoyen par rapport à cela. Nous avons également un programme de développement d’incubateurs et de start-up qui sera appliqué en 2018.

Lorsque le numérique sera voté, que toutes les réformes ont été menées et que les autorités auront pris les mesures pour mettre en place un bon fonctionnement du numérique, du e-payement et du e-banking, vous allez voir comment les start-up vont émerger, exploser.

Avez-vous dégagé un montant pour ces opérations ?

Matthieu Galvani : nous avons un montant mais qui est confidentiel.

Vincenzo Nesci : cela fait partie de notre stratégie.

Matthieu Galvani : ce que nous faisons depuis 2017/2018 est que nous disons ce que nous faisons et nous faisons ce que nous disons. Nous sommes transparents sur nos investissements en termes de sponsoring et en termes de citoyenneté. Nous serons toujours présents dans le caritatif sans le dire. Sur ce point, nous resterons discrets. Nous allons investir dans les communautés de passion surtout le foot des gens, des jeunes, des régions et des quartiers.

Existe-t-il des aspects qui vous intéressent dans la culture, mise à part la musique ?

Matthieu Galvani : nous sommes assez investis dans l’art culinaire. Énormément de gens se sont révélés dans cet art, c’est pour cela que nous avons accompagné l’émission de télévision Master Chef qui a eu un grand succès. Sur le Web, des influenceurs ont des émissions d’art culinaire local qui sont suivies par beaucoup d’Algériens. Il y a, par exemple, la romancière Ahlem Mosteghanemi qui est suivie par 12 millions de followers dans la littérature. Il y a aussi ceux qui en sont à 4 ou 5 millions. Nous avons un membre de l’équipe digitale de Djezzy qui a deux millions de followers. Il était déjà actif sur le Web. Il a quitté Djezzy. Nous lui avons dit : « On te donne trois mois avant de revenir ici ». Il est revenu avant trois mois ! Il nous a dit qu’il voulait voir ailleurs. « Pourquoi es-tu revenu ? ». « C’est bon, j’ai vu », a-t-il répondu.

Nous avons donc des jeunes comme ceux-là qui travaillent à la modernisation du digital et qui ont leur vie digitale à côté. Dans la région, nous avons des gens, qui ont 2.000 à 3.000 followers, ce n’est pas beaucoup, mais qui ont une communauté autour d’eux, autour des recettes de cuisine, de la musique, de la poésie, de l’écriture, etc. On s’intéresse à tout cela. Nous les avons catégorisés en trois grands thèmes : football, cuisine et musique. Nous allons essayer de prendre racine là-dedans. Mettre de la pub chez eux, ça ne sert à rien du tout. Le plus important est de s’engager avec eux en leur disant : qu’est-ce qu’on peut faire ? Qu’est-ce que vous aimeriez qu’on fasse ?

Vos spécialistes sont allés au Bangladesh pour contribuer au déploiement de la 4G dans ce pays. Allez-vous multiplier cette expérience ailleurs ?

Au Bangladesh, l’opérateur, qui fait partie de la famille Veon, donc de la famille Djezzy, a eu l’autorisation d’utiliser la fréquence pour faire de la 4G. Il avait un calendrier serré et avait cherché un support et un savoir-faire pour pouvoir lancer le réseau. Comme Djezzy a ce savoir-faire et de l’expérience, nous avons constitué et envoyé une équipe d’ingénieurs au Bangladesh. Elle a installé le réseau le jour-même de l’obtention de l’autorisation 4G. C’était une expérience formidable autant pour le Bangladesh que pour les ingénieurs algériens.

Des Géorgiens sont venus chez nous pour nous aider à moderniser certaines choses. Nous avons envoyé des ingénieurs dans des pays de l’Eurasie pour intervenir dans des domaines particuliers. L’Algérien, qui était ici à la tête du projet de développement des nouvelles boutiques, est en Russie pour développer le programme d’excellence des magasins pour tout le groupe. Il va probablement revenir chez nous pour faire autre chose. Nous avons donc un programme d’échanges qui fonctionne réellement. En un an, nous avons diminué le nombre des expatriés de 50%. Nous étions à 26 au début de 2017, là, on est 11 sur 3.200 personnes. Les 17 expatriés repartis ont été remplacés par les Algériens après avoir travaillé avec eux pendant un ou deux ans. Les 11 expatriés restés travaillent sur des domaines précis et pointus. Ils ont une mission d’une ou deux années le temps de former leurs successeurs algériens. Moins d’expatriés, plus de compétences locales et plus d’échanges avec d’autres, ça fonctionne et ça permet de faire des merveilles.

Aujourd’hui, Djezzy envoie les ingénieurs à l’étranger plutôt que l’inverse.

Quelle évaluation faites-vous du partenariat public-privé-étranger ? Djezzy est l’une des rares entreprises en Algérie à travailler avec ce type de partenariat et selon la formule 51/49 ?

Vincenzo Nesci : Jusqu’au 28 janvier 2015, on se regardait en chiens de faïence mais on se battait. Le 29 du même mois, les accords ont été mis en place. Le FNI s’est approprié de ce projet. Les cadres du FNI qui sont dans le conseil d’administration font partie de la famille Djezzy et nous amènent la contribution d’un grand groupe public. Le FNI est le bras opérationnel du ministère des Finances. Toutes nos activités sont mises en place en connaissance de cause de la part du FNI qui a comme mission statutaire de contribuer au développement de l’économie algérienne. Le FNI veut et nous voulons aussi que cet exemple de 51/49 soit un succès.

Je lis souvent sur TSA des critiques de la règle du 51/49. Cette règle porte d’autres appellations dans d’autres pays où existent des conditions strictes pour l’entrée d’investisseurs étrangers dans des économies théoriquement ouvertes et libérales comme les États-Unis. S’il est géré et bien mis en place, le 51/49 peut vraiment représenter un plus car les investisseurs étrangers s’installent ici, produisent pour un marché local qui a besoin de développer une économie de substitution, peuvent s’attaquer, à partir de l’Algérie, à toute une série de marchés sahéliens et sub-sahariens.

De notre côté, le partenaire public peut avoir accès à des technologies, peut orienter ces technologies dans le cadre des grandes lignes directrices des programmes de développement de l’économie algérienne. Donc le 51/49 peut et doit être un partenariat gagnant-gagnant. Et jusqu’à présent, je crois que le FNI est satisfait – vous pouvez le leur demander – de ce partenariat, Veon l’est aussi.

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