Économie

Exportations hors hydrocarbures : le vieux serpent de mer de l’économie algérienne

Encore une fausse promesse, un faux espoir. Les prévisions pour les exportations hors hydrocarbures annonçaient le franchissement de la barre symbolique des trois milliards de dollars, dès la fin de l’année en cours, mais il n’en sera finalement rien. Le pétrole et le gaz resteront et pour longtemps peut-être la principale, sinon la seule ressource en devises du pays.

C’est encore une fois la Banque d’Algérie qui joue les rabat-joie. Dimanche passé, Mohamed Loukal a fait le point devant les députés sur la situation financière et monétaire du pays. Les chiffres qu’il a égrenés concernant les différents indicateurs macro-économiques étaient quelque peu attendus, au vu des fluctuations connues de tous des prix du pétrole, mais ceux liés aux exportations hors hydrocarbures ont fait l’effet d’une douche froide. Car il y a à peine deux mois, le ministère du Commerce, par la voix de l’un de ses directeurs centraux, annonçait que nos ports avaient expédié vers l’étranger pour deux milliards de dollars de marchandises en huit mois et que la cagnotte allait allègrement dépasser les trois milliards à la fin de l’exercice.

Et que dit le rapport de la Banque d’Algérie ? Les exportations hors hydrocarbures ont certes augmenté de 61%, mais restent toujours insignifiantes : 1,581 milliard de dollars durant les neuf premiers mois de l’année, contre 978 millions pour la même période de 2017. On le comprend bien, atteindre trois milliards de dollars à la fin de l’année, c’est exporter en un trimestre autant qu’en neuf mois. Une chimère.

Comme pour mieux achever l’optimisme ambiant, Mohamed Loukal a précisé que les marchandises exportées sont en fait pour l’essentiel des produits semi-finis, comme les engrais phosphatés et azotés. Autant dire que notre industrie et notre agriculture n’ont presque rien produit d’exportable.

Inexportabilité et embûches bureaucratiques

Le problème est sans doute là, dans l’inexportabilité des produits algériens, mais aussi dans l’absence totale de stratégie d’encouragement des exportations et, plus grave, dans les embûches sciemment dressées devant les investisseurs porteurs de projets à fort potentiel d’exportation.

L’industrie algérienne est diversifiée, rétorquait le Premier ministre Ahmed Ouyahia, en mai dernier, à ceux qui pointaient la faiblesse du tissu industriel national. C’était à l’occasion de l’inauguration de la 51e édition de la Foire internationale d’Alger. Le problème, reconnaissait-il, c’est dans les exportations qui n’arrivent pas à se diversifier. En clair, l’Algérie n’arrive pas à placer ses produits sur les marchés internationaux.

Ouyahia ne croyait pas si bien dire. Quelques semaines plus tard, en juin, des cargaisons de produits agricoles algériens sont refoulées simultanément du Qatar, de la Russie et du Canada pour leur forte teneur en pesticides. La qualité et la conformité aux standards internationaux sont un défi que l’industrie et l’agriculture algériennes sont tenues de relever, si elles veulent conquérir les places fortes du commerce international.

Pour cela, une stratégie claire des pouvoirs publics, incluant des programmes de mise à niveau pour une meilleure compétitivité, est plus que nécessaire. La stratégie, c’est aussi le parent pauvre de la politique d’encouragement des exportations. Les professions de foi des hauts responsables contrastent avec des pratiques bureaucratiques instituées par une législation aux antipodes de l’objectif déclaré d’augmenter substantiellement le volume des exportations.

Au parcours du combattant que doit effectuer l’exportateur pour expédier sa marchandise, se greffent une foule d’obstacles comme la difficulté d’accès à ses propres devises pour les besoins logistiques à l’étranger (ouverture de bureaux de représentation, publicité, frais de mission), la pénalisation du non-rapatriement des devises dans un délai n’excédant pas les 180 jours…

La Mauritanie, un potentiel exagéré

Ce mercredi, soit trois jours après les chiffres « refroidissant » du gouverneur de la Banque d’Algérie, Saïd Djellab donnait le coup d’envoi d’une opération d’exportation de marchandises vers la Mauritanie. Il s’agit d’une caravane de 24 camions transportant 400 tonnes de produits algériens dont des produits agricoles (220 tonnes), électroménagers (40 tonnes), alimentaires (120 tonnes) et sanitaires (20 tonnes). Une broutille, mais le problème n’est pas là.

Déjà, le choix depuis quelques mois de la Mauritanie comme réceptacle des produits algériens est incompréhensible. Hormis son intérêt géostratégique peut-être, le marché de ce pays d’à peine quelques millions d’habitants, au pouvoir d’achat limité (un PIB de 5 milliards de dollars en 2017), ne recèle pas un gros potentiel.

Aussi, dans la nomenclature des produits exportés ou sur lesquels les autorités misent pour conquérir les marchés mondiaux, une forte valeur ajoutée n’est pas toujours garantie. C’est le cas de l’électroménager dont le gros des composants est importé et surtout de la naissante « industrie » automobile appelée à terme à exporter son surplus de production.

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Avec ce qui arrive à Issad Rebrab, on comprend mieux…

Cela au moment où des projets réellement créateurs d’emplois et de valeur ajoutée, pouvant placer sur les marchés mondiaux des produits hautement compétitifs, sont bloqués incompréhensiblement.

Les plus emblématiques sont ceux du groupe Cevital qui en est arrivé à se battre, même dans la rue, pour avoir le droit d’ouvrir des usines financées sur ses propres fonds. Le dernier projet d’Issad Rebrab à avoir fait l’objet d’un blocage c’est celui d’une usine de membranes pour la production d’eau ultra-pure, une technologie novatrice propriété exclusive de la filiale du groupe, EvCon Industry –basée en Allemgne-, et qui devrait générer, à terme, 15 milliards de dollars d’exportations annuelles hors hydrocarbures, selon les estimations de Cevital. Soit dix fois plus du chiffre que ce que réalisent actuellement l’industrie et l’agriculture algériennes réunies.

« C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’un pays en voie de développement détient une technologie qui n’existe pas dans les pays développés », relevait fièrement M. Rebrab il y a quelques jours.

Oui, mais les autorités algériennes n’en veulent pas. Contrairement à leurs homologues françaises, le président Macron en tête, qui ont déroulé le tapis rouge à l’industriel algérien, qui a ouvert une usine similaire dans l’Hexagone qui, pourtant, recèle un riche tissu industriel. C’est d’ailleurs sur un ancien site de Peugeot-Citroën que sera installée l’usine d’EvCon, rappelle dans son édition de ce mercredi l’hebdomadaire français le Nouvel Observateur qui a eu ce titre plus qu’inspiré : « Issad Rebrab, le milliardaire algérien qui réveille l’industrie des Ardennes ».

On comprend mieux pourquoi les marques françaises ont arraché leur place au soleil aux coins les plus reculés du globe, et pourquoi la promotion des exportations algériennes a pris des allures d’un vieux serpent de mer.

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