Économie

Fonte des réserves de change : le gouvernement gagné par la fébrilité

Depuis quelques mois, le gouvernement multiplie, sans grand succès, les mesures destinées à ralentir la fonte rapide de nos réserves de changes.

Il a d’abord fixé des quotas d’importations annuels pour l’industrie du montage automobile. La mesure a permis de geler globalement ces importations au niveau qu’elles avaient atteint l’année dernière sans les réduire. A la fin de la semaine dernière, les ministres de l’industrie et du Commerce confirmaient à différents interlocuteurs, parmi lesquels figurent les ambassadeurs de plusieurs pays partenaires commerciaux de l’Algérie, que cette démarche devrait se poursuivre dans les mois à venir.

Quelques semaines plus tard, le gouvernement s’attaquait aux importations de kits destinés aux industries de montage électroniques et de l’électroménager. Là encore, il n’a réussi qu’à provoquer l’arrêt de nombreuses usines et la mise en chômage technique de leur personnel avant de faire machine arrière devant les dégâts occasionnés et d’autoriser de nouveau les importations.

Le dernier épisode de la croisade désordonnée du gouvernement contre les importations est intervenu la semaine dernière. Le ministère des Finances vient d’imposer de nouvelles mesures relatives cette fois au paiement des importations.

L’Association professionnelle des banques et des établissements financiers (ABEF) évoque, dans une correspondance adressée aux PDG des banques, la décision de “substitution du paiement cash des importations actuellement en usage, par le recours au différé de paiement de neuf mois, sans que celui-ci excède une année, s’agissant des opérations des produits électroménagers (les produits blancs et les produits gris) et de téléphone”.

En instaurant cette mesure, le gouvernement qui n’est pas parvenu à réduire significativement les importations dans les domaines mentionnés, cherche ainsi selon toutes vraisemblances à réduire temporairement la facture et à ralentir la fonte de réserves de change en remplaçant le paiement cash par un paiement à crédit.

Mauvaise dette

L’économiste et banquier Rachid Sekak s’interroge sur « la pertinence de la dernière note de l’ABEF qui impose un financement à 9-12 mois pour certaines importations. Attention de ne pas renouveler les erreurs du passé et au retour des crédits fournisseurs associés aux juteux et célèbres sweetners ».

La décision du gouvernement n’arrive malheureusement pas au meilleur moment. Rachid Sekak relève que « le traitement qui a été récemment réservé à certaines opérations de commerce extérieur impliquant les entreprises de personnes faisant l’objet de poursuites judiciaires ont induit un certain attentisme des banques internationales sur le volet trade finance et une très forte poussée des taux de confirmation ».

Pour le banquier algérien, « il est de la première importance de rester parfaitement au courant sur le volet commerce extérieur. Le niveau de nos réserves de change qui reste appréciable bien que considérablement amoindri le permet encore très largement ».

Il met en garde contre « la mauvaise dette qui est celle qui sert à financer les déficits de la balance des paiements d’un pays qui consomme plus qu’il ne produit ».

« La mauvaise dette c’est aussi celle qui a été contractée à partir de 1987, par manque de courage et de vision, par refus d’un nécessaire ajustement des importations et qui a conduit au scénario devenu inévitable des années 90 », assure le banquier algérien qui a occupé le poste de Directeur de la dette extérieure au cours des années 90.

Les contradictions du ministère des Finances

La décision du ministère des Finances est d’autant plus surprenante qu’au début du mois d’octobre, devant les journalistes qui l’interrogeaient sur ce sujet sensible, Mohamed Loukal, avait affirmé que « le recours à l’endettement extérieur se fera uniquement auprès des institutions financières internationales dont l’Algérie est membre, à l’instar de la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque islamique entre autres établissements, contrairement à ce qui était en vigueur auparavant ».

M. Loukal avait ajouté que « l’endettement que contractera l’Algérie auprès de ces institutions se fera à long terme, et qu’il se limitera uniquement au financement des projets stratégiques importants, à l’instar du port-centre de Cherchell ».

En réponse à la question de savoir si l’Algérie allait recourir dès 2020 aux financements extérieurs pour financer ses projets d’investissement, M. Loukal avait répondu que le recours à ces financements, autorisé par le projet de loi de finances (PLF) pour 2020, « nécessite un peu de temps pour être applicable ».

« Après la promulgation de la loi de finances de 2020, il y aura un texte d’application qui précisera les modalités pratiques de ces financements. Cela prendra quelques mois. Ce n’est à partir de 2021 qu’on peut s’attendre à une application effective de cette mesure », avait-il expliqué.

L’endettement extérieur, oui mais pas n’importe lequel

Le retour à l’endettement extérieur était annoncé depuis déjà quelques années. Il est devenu inévitable du fait notamment de la persistance du niveau considérable des déficits du budget et de la balance des paiements qui sont à l’origine de la fonte qui se poursuit à un rythme très rapide de nos réserves de change.

L’annonce du projet de Loi de finance 2020 n’est donc certainement pas une surprise. Elle est même considérée comme bienvenue par la plupart des spécialistes à condition qu’elle se cantonne à des projets de financements d’infrastructures économiques. Des projets d’investissement financés par des emprunts externes et suffisamment rentables pour couvrir par eux-mêmes le remboursement de ces emprunts.

Pour Rachid Sekak, ces projets « vertueux » existent bien chez nous. Le recours aux financements multilatéraux « va améliorer la maturation et la mise en œuvre des projets proposés aux bailleurs de fonds. Ils chercheront à connaître la destination de leurs fonds et analyseront la qualité des projets. Ce qui pourra éviter certaines dérives observées dans un passé récent dans la conduite et les coûts des grands projets », explique-t-il.

Le banquier algérien s’interroge cependant sur la capacité de notre système institutionnel à mettre en œuvre une telle démarche de façon cohérente. « Nos banques publiques, qui auront sans aucun doute un rôle important à jouer dans ce retour sur le marché financier international, ont été, pendant près de 20 ans, isolées de ce marché. Pendant cette période, elles ont été uniquement cantonnées à gérer des crédits documentaires. N’y a-t-il pas un danger, une carence à prendre rapidement en charge, avec la déperdition observée des ressources humaines et des compétences en matière de financement extérieur au sein de nos banques ? », s’interroge-t-il.

Par ailleurs, poursuit le banquier, « dans les années 90, des équipes cohérentes et homogènes (Banque d’Algérie, ministère des Finances, Banques commerciales) déployaient la stratégie définie par les plus hautes autorités du pays. Un tel mode opératoire existe-t-il de nos jours ? Sommes-nous prêts d’un point de vue institutionnel à ouvrir un tel front ? ».

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