Politique

France – Algérie : levée de boucliers contre une statue de Bigeard

Un autre personnage controversé du passé colonial de la France en Algérie est au centre d’une polémique. Cette fois, c’est le projet d’une statue du général Bigeard, accusé de torture pendant la guerre d’Algérie, qui fait lever les boucliers en France.

Marcel Bigeard a servi pendant la Seconde Guerre mondiale, en Indochine, puis en Algérie où il a participé, à la tête du régiment de parachutistes 3ᵉ RPC, à des opérations en Kabylie, dans les Aurès, dans la région de Blida, à Oran, Saïda, dans le Sud et dans la capitale pendant la bataille d’Alger.

Il avait alors le grade de colonel et son régiment dépendait de la 10ᵉ division parachutiste commandée par le général Massu.

Après l’indépendance, il a fait l’objet de nombreuses accusations de torture pendant la Bataille d’Alger par des résistants algériens, mais aussi par certains de ses hommes.

Bigeard est décédé en 2010, après un autre parcours en politique, sans avoir eu à répondre de ses actes devant la justice.

La ville de Toul (en Meurthe-et-Moselle) d’où il est originaire, envisage d’ériger une statue à sa mémoire, le 18 juin prochain, à l’occasion du double anniversaire de sa mort et de l’appel de Charles de Gaulle.

Ce que de nombreuses personnalités anticolonialistes en France n’acceptent pas.

Le 13 mars, un appel au Conseil municipal pour reconsidérer sa décision a été lancé par le collectif Histoire et Mémoire dans le Respect des Droits Humains. L’appel est accompagné d’une pétition contre la statue de Marcel Bigeard.

La ville de Toul court « le risque de devenir un lieu de pèlerinage pour tous les nostalgiques de la colonisation, pour des groupes fondés sur des idéologies racistes qui fracturent déjà notre société », écrivent les auteurs de l’initiative.

La controverse survient, en effet, dans un contexte de montée en France du courant extrémiste et des nostalgiques de l’Algérie française qui promeuvent ce genre d’hommages et s’opposent à toute reconnaissance ou repentance de la France par rapport à son passé colonial.

« On vit dans un pays où près de trois Français sur dix s’apprêtent à voter pour le Rassemblement national », rappelle l’historien spécialiste des guerres coloniales, Alain Ruscio, interrogé par France Info, allusion aux prochaines élections européennes où Jordan Bardella, le président du parti fondé par l’extrémiste Jean-Marie Le Pen, est crédité de 30 % des intentions de vote.

Bigeard, l’homme qui jetait les Algériens en mer, les pieds coulés dans du béton

L’historien affirme que les faits reprochés à Bigeard pendant la Guerre d’Algérie sont avérés. La pratique abominable de jeter en mer, à partir d’un hélicoptère, des prisonniers, les pieds coulés dans du béton, porte son nom : les « crevettes Bigeard ».

« Je ne sais pas s’il mettait la main à la pâte ou s’il était présent, mais en tout cas sa responsabilité directe dans la torture est avérée », ajoute-t-il.

Pour la Ligue des droits de l’Homme (LDH), Bigeard « symbolise les guerres coloniales » et est responsable des « pires méthodes d’interrogatoires des prisonniers vietnamiens et algériens ».

Même s’il a un passé de résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, « il ne peut en aucun cas servir de modèle pour la jeunesse à cause des actes de torture commis durant la guerre d’Algérie ».

« On ne peut pas justifier la torture, les mauvais traitements qui sont des actes de barbarie, des actes criminels condamnés par le droit », a estimé le collectif Histoire et Mémoire, soulignant que, aujourd’hui encore, dans « bien des familles vietnamiennes et algériennes […] le nom de Bigeard sonne comme synonyme des pratiques les plus détestables de l’armée française ».

Après sa retraite de l’armée avec le grade de général de corps d’armée, Bigeard s’est lancé dans la politique, devenant notamment secrétaire d’État auprès du ministre de la Défense entre 1975 et 1976 puis député entre 1978 et 1988 sous l’étiquette UDF (Union pour la démocratie française, droite non-gaulliste).

Très présent sur les médias et auteur de plusieurs livres, il a tantôt nié la pratique de la torture en Algérie, préférant parler d’ « interrogatoires musclés », tantôt justifié ces méthodes par le souci d’éviter que « des bombes explosent ».

Il a en tout cas toujours nié sa participation directe à des scènes de torture. Il n’a jamais rendu compte de ses actes devant la justice avant son décès en 2010, à 94 ans.

En 1976, il a échangé une poignée de main historique sur un plateau de télévision avec le commandant Azzedine qu’il avait combattu pendant la Guerre de libération nationale.

Azzedine était le commandant du célèbre commando Ali Khodja. Bigeard lui a rendu hommage pour sa bravoure ainsi qu’à d’autres chefs de la révolution, dont Larbi Ben M’hidi et Abbas Laghrour.

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