Alors que le ciel s’assombrit pour la relation entre l’Algérie et la France, Paris et Rabat passent à une vitesse supérieure dans leur rapprochement après la reconnaissance formelle par la France de la "souveraineté" marocaine sur le Sahara occidental, et la visite d’État que le président Emmanuel Macron va effectuer au Maroc fin octobre prochain.
Après une bouderie de plusieurs années, le roi Mohammed VI est annoncé parmi les présents au sommet de la francophonie à Paris le mois prochain. Une présence qui devrait renforcer davantage un rapprochement voulu et béni par la droite et l’extrême-droite française.
Selon Jeune Afrique, Mohammed VI se trouve à Paris depuis le 18 septembre pour une visite privée et devrait assister au 19e sommet de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) qui se tiendra dans la capitale française les 4 et 5 octobre prochain.
La présence du roi Mohammed VI au sommet a été "annoncée puis confirmée aussi bien aux organisateurs de l’OIF qu’à l’Élysée", ont indiqué plusieurs sources au magazine parisien.
Mohammed VI ne sera pas seul. Il sera accompagné de hauts responsables du royaume, dont un de ses conseillers, Taieb Fassi-Fihri ou Fouad Ali El Himma, le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita et l’ambassadrice à Paris Samira Sitail.
Mohamed VI à Paris, la crise entre la France et le Maroc est de "l’histoire ancienne"
Le rapprochement entre les deux pays s’intensifie et s’étend à la sphère économique. En marge du sommet de la francophonie, le premier ministre marocain Aziz Akhannouch et des représentants du patronat marocain prendront part à un évènement économique, le Franco-Tech, organisé dans l’un des plus grands incubateurs de startups au monde, fondé par l’homme d’affaires Xavier Niel.
La relation entre Paris et Rabat a traversé une longue période de froid ces dernières années. La crise a atteint son paroxysme lorsque des médias internationaux ont révélé l’espionnage du téléphone personnel du président français Emmanuel Macron par les services marocains via le logiciel espion israélien Pegasus.
En juin 2023, l’écrivain marocain proche du palais royal, Tahar Ben Jelloun, a révélé qu’au cours d’une explication au téléphone sur cette affaire, Macron a "manqué de respect" au roi Mohammed VI.
Ce n’est toutefois pas la véritable fâcherie entre les deux capitales. Enhardi par la reconnaissance de sa "souveraineté" sur le Sahara occidental par les États-Unis de Donald Trump en décembre 2020, le Maroc a entrepris de faire céder les principaux pays européens sur la question.
En mars 2022, l’Espagne, soumise à un chantage migratoire et à un marchandage sur ses enclaves au Maroc, a apporté son appui au plan d’autonomie marocain, déclenchant une grave crise avec Alger.
De la France, qui appuie le plan marocain depuis sa présentation en 2007, il était exigé d’emboîter le pas à Washington et Tel-Aviv qui ont reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.
Les prémices de la fin de la crise, et donc de l’annonce de cette reconnaissance, ont commencé à apparaître en février dernier lorsque le ministre français des Affaires étrangères de l’époque, Stéphane Séjourné, avait révélé qu’il a été chargé personnellement par le président Emmanuel Macron d’ouvrir "un nouveau chapitre" avec le Maroc.
À la fin du même mois, Séjourné s’est rendu à Rabat en visite officielle où il a notamment déclaré que son pays considérait la question du Sahara occidental comme un "enjeu existentiel" pour le royaume.
Paris a fini par franchir le pas le 30 juillet dernier lorsque le président Macron a informé officiellement le roi Mohammed VI de sa décision de reconnaître la "souveraineté marocaine« sur le Sahara occidental et de considérer désormais le plan d’autonomie comme »la seule base pour parvenir à une solution".
Cette décision a été prise dans un contexte de montée en puissance de l’extrême-droite en France. Même si le courant n’a pas gagné les législatives de l’été, il domine le gouvernement de Michel Barnier qui a été formé samedi 21 septembre.
L’Algérie a immédiatement procédé au retrait de son ambassadeur à Paris, et elle n’a pas encore nommé son successeur.
L’extrême-droite française à fond avec le Maroc
Derrière ce rapprochement, il y a le choix de la France de miser sur le Maroc pour reprendre pied en Afrique. Mais il y a aussi le forcing de la droite et de l’extrême-droite, un courant résolument anti-algérien et favorable au Maroc.
"Le Maroc qui nous est cher", déclarait lors de la présidentielle 2022 Marine Le Pen, alors candidate du Rassemblement national, promettant parallèlement de la fermeté dans la relation avec l’Algérie.
Plusieurs personnages de la droite et de l’extrême-droite ont ouvertement appelé ces dernières années Emmanuel Macron à "rééquilibrer« sa politique maghrébine en faveur de »l’allié historique" marocain, alors que le président français entreprenait d’ouvrir une nouvelle page avec l’Algérie.
Même la reconnaissance de la "marocanité" du Sahara occidental est une revendication de ce même courant. Eric Ciotti, le président des Républicains qui a fait alliance avec le RN lors des dernières législatives, avait réclamé publiquement une telle reconnaissance lors d’un voyage à Rabat en mai 2023. Ciotti était accompagné par la lobbyiste marocaine Rachida Dati.
Le fossé se creuse avec Alger
Ce courant, résolument opposé à l’immigration, l’est encore plus vis-à-vis de l’immigration algérienne alors que celle-ci n’est ni plus importante ni plus problématique que l’immigration marocaine.
Ce point de fixation sur l’Algérie s’est illustré par la croisade lancée, toujours par la droite et l’extrême-droite, contre l’accord franco-algérien de 1968 sur l’immigration qui, de l’avis des spécialistes, est loin d’être déterminant pour l’entrée et l’établissement des Algériens en France.
L’extrême-droite française, fondée autour des milieux nostalgiques de l’Algérie française, a logiquement fait le choix du Maroc. C’est logiquement aussi qu’elle applaudit et bénit le rapprochement actuel avec Rabat qui, dans le même temps, élargit le fossé entre Paris et Alger.