Le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, présente à partir de ce lundi soir à l’Assemblée nationale le projet de loi consacré à l’asile et à l’immigration. Jugé trop « répressif » par une partie de la classe politique (y compris au sein de la majorité présidentielle), l’examen du texte au Parlement s’annonce d’ores et déjà comme l’un des débats les plus vifs du quinquennat d’Emmanuel Macron.
Après avoir été examiné en commission des lois, le texte du projet de loi intitulé « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif » doit désormais obtenir l’aval des députés. Près de 1.063 amendements vont être déposés au cours des débats cette semaine dont 200 par des députés de la majorité. Le projet de loi est également vivement critiqué par les acteurs du droit d’asile qui redoutent une atteinte aux droits des étrangers.
Réforme très contestée du droit d’asile
Le texte prévoit en effet d’accélérer la procédure pour les délais d’instruction de la demande d’asile à six mois – recours juridictionnel compris – contre 11 mois en moyenne à l’heure actuelle. Les requérants disposeront de 90 jours au lieu de 120 pour déposer un dossier de demande d’asile après leur entrée sur le territoire.
Or, estime HRW France dans un communiqué publié ce lundi, « les demandeurs d’asile sont confrontés à d’importants obstacles pour parvenir à déposer leur demande, et dans de nombreux cas, il est difficile, voire impossible pour eux d’obtenir l’accompagnement juridique et l’assistance dont ils ont besoin, dans des délais réduits ». L’ONG s’inquiète d’un traitement des demandes d’asile expéditives : « Les demandes déposées après ce délai seraient traitées dans le cadre de la procédure accélérée, ce qui pourrait réduire la qualité de l’examen des dossiers, en particulier dans les cas complexes. » Pour rappel, dans le cadre de la procédure accélérée, l’Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA) doit rendre une décision en 15 jours, contre six mois en procédure normale.
L’article 16 du texte fait également l’objet de vifs débats dans l’Hexagone. Il prévoit que la durée maximale de rétention administrative des étrangers en situation irrégulière en attente d’expulsion soit portée de 45 à 90 jours. La version originale du texte prévoyait que cette durée puisse être portée jusqu’à 135 jours « en cas d’obstruction à la reconduite » dans le pays d’origine. Les associations jugent la mesure inefficace et craignent l’encombrement des centres de rétention administrative – les CRA – déjà surpeuplés et insalubres.
Le régime de la «retenue» pour vérification du droit au séjour (visa ou titre de séjour) pourrait également être durci puisqu’elle passerait de 16 heures à 24 heures, selon le projet de loi. Jusqu’à présent, les forces de l’ordre tenues de vérifier l’identité de personnes interpellées sans titre de séjour pouvaient recourir à la retenue administrative durant 16 heures seulement.
La France a enregistré plus de 100.000 demandes d’asile l’an dernier, soit une hausse de 17,5% par rapport à 2016. Les cinq premiers pays d’origine de la demande d’asile en 2017 sont l’Albanie, l’Afghanistan, Haïti, le Soudan et la Guinée.
Accueillir moins et mieux ?
Si certains s’inquiètent d’un projet de loi trop sévère, le Front National et plusieurs acteurs à droite le jugent a contrario trop laxiste. Deux points sont notamment critiqués. Le texte prévoit en effet que le titre de séjour accordé aux réfugiés soit valable 4 ans, au lieu d’une année actuellement, afin d’éviter des démarches administratives supplémentaires.
Il prévoit également un élargissement du regroupement familial aux frères et sœurs pour les mineurs isolés ayant été acceptés au titre du droit d’asile. Jusqu’à présent, ces mineurs isolés pouvaient faire venir leurs parents. La droite y voit « l’ouverture des vannes de l’immigration à travers un regroupement familial élargi ».
Enfin, le gouvernement français dit vouloir afficher la volonté d’entamer rapidement le travail d’intégration des réfugiés. Mais le projet de loi semble faire fi de cet aspect. Certaines propositions du rapport d’un député de la majorité, Aurélien Taché, remis en février, ont toutefois été reprises la semaine dernière par Gérard Collomb, le ministre de l’Intérieur.
Il a ainsi défendu la semaine dernière la possibilité de permettre aux réfugiés de travailler « au bout de six mois », soit six mois après le dépôt de leur demande d’asile (contre neuf mois aujourd’hui). Gérard Collomb a également évoqué lors de l’examen du texte en commission des lois, la possibilité « d’accroître les cours de français » pour les réfugiés afin de « les insérer dans la société française ».
Favoriser une immigration qualifiée
Si le volet « asile » monopolise l’attention des médias français, le texte du projet de loi présenté à partir de lundi soir met l’accent sur la volonté du gouvernement de privilégier une immigration qualifiée.
Le projet de loi veut ainsi améliorer les conditions d’accueil « des talents étrangers (professionnels hautement qualifiés, étudiants internationaux, chercheurs) et renforcer les capacités de notre pays à attirer ces profils qui participent tant de notre dynamisme économique que de notre rayonnement linguistique et culturel ». Des propos qui font écho à ceux du président Macron tenus à Alger en décembre dernier. « Moi je souhaite qu’on regarde les choses au cas par cas. Qu’on puisse d’abord avoir une politique très volontariste avec des visas de circulation qui facilitent la vie des intellectuels, des artistes, des hommes d’affaires, des femmes politiques qui doivent circuler entre nos deux pays », avait-il dit au cours d’un entretien accordé à TSA.
Le texte étend ainsi le champ de la carte de séjour pluriannuelle « passeport talent » – issu de la loi du 7 mars 2016 – au cas des entreprises innovantes reconnues comme telles par un organisme public (comme dans le cas du programme « French Tech Visa ») et « à toute personne susceptible de participer de façon significative et durable au rayonnement de la France ou à son développement ».
La carte de séjour pluriannuelle « passeport talent (famille) » est délivrée de plein droit au conjoint du titulaire de la carte « passeport talent » et « à ses enfants entrés mineurs en France dans l’année qui suit leurs dix-huitième anniversaire », indique le texte.
Enfin il faut noter la création d’une carte de séjour temporaire spécifique (portant la mention « jeune au pair ») et destinée à toute personne âgée de 18 à 30 ans, « venant en France pour améliorer ses capacités linguistiques et hébergée par une famille en contrepartie de la garde d’enfants et de menus travaux » est également mentionnée dans le projet de loi. Elle serait renouvelable une fois.