Depuis le début de la crise entre Paris et Alger en juillet 2024, et même avant, on parle beaucoup, côté français notamment, de l’accord franco-algérien de 1968, dont l’abrogation est brandie par l’extrême-droite et la droite comme un « levier de pression ».
Il y a 55 ans, l’accord a été négocié et signé dans une conjoncture très différente de celle qui prévaut aujourd’hui. Le magazine français Le Point est allé puiser dans les archives de l’époque les péripéties des discussions qui ont précédé la conclusion de l’accord.
Six ans plus tôt, en 1962, l’Algérie devenait indépendante et les accords d’Evian ont maintenu la libre circulation entre les deux pays.
Un premier accord migratoire signé en 1964
Les archives diplomatiques françaises nous apprennent qu’il y a eu une première tentative de réguler les flux de main-d’œuvre en 1964 à travers un accord dit Nekkache-Grandval, du nom du ministre algérien de la Santé Mohamed Seghir Nekkache, et de Gilbert Grandval, alors ministre français du Travail.
Ce premier accord avait conditionné le séjour des travailleurs algériens en France par un certificat de logement et à une sélection de l’Office algérien de la main-d’œuvre. La même année, 38 000 algériens sont entrés en France, portant le nombre d’immigrés algériens à 400 000 dont la moitié était au chômage.
L’Algérie avait deux soucis antagoniques : elle avait besoin à la fois de sa main-d’œuvre pour son développement et des transferts d’argent des travailleurs expatriés.
En 1966, la France a stoppé les flux de manière unilatérale, instaurant une « fiche individuelle de touriste ». Les Algériens sont placés dans des files d’attente à part et le dispositif a limité le nombre de touristes algériens à 200 par semaine, soit 10 000 par an. Beaucoup d’entre eux seront refoulés.
La main-d’œuvre s’est retrouvée au centre des tiraillements entre les deux pays suite à la décision de l’Algérie de nationaliser les sociétés françaises à partir de 1967.
Dans un télégramme de janvier 1968, le ministre conseiller à Alger, Stéphane Hessel, a souligné « l’ampleur (de l’immigration algérienne), le volume de la communauté déjà établie en France, les problèmes de logement, de santé publique » et noté qu’il a appelé le 20 novembre 1967 « à une négociation dite globale » pour laquelle il a proposé « un schéma possible ».
L’accord de 1968 a été signé après d’âpres négociations entre la France et l’Algérie
En France, les ministres étaient en désaccord. Alors que celui des Affaires sociales voulait un contingent de 11 000 travailleurs par an, soit le même nombre que les travailleurs yougoslaves et marocains, et moins que les Espagnols et les Portugais, le ministère de l’Intérieur jugeait ce quota pour les Algériens trop faible.
De Gaulle a réuni un conseil des affaires étrangères, le 1er mai 1968, consacré aux relations avec l’Algérie, notamment les questions des hydrocarbures, du vin et de l’immigration. L’idée arrêtée est « de faire en sorte que l’immigration algérienne réponde aux réelles possibilités d’emploi. »
En juillet, Abdelaziz Bouteflika s’est rendu en visite à Paris où il a rencontré son homologue Michel Debré, et les négociations sur le futur accord ont débuté trois mois après, le 21 octobre, à Alger.
Un certificat de résidence institué pour la première fois
Les négociations ont porté sur l’immigration, mais sur fonds de litiges économiques, comme les nationalisations et les taxes sur le vin algérie. La partie française a proposé d’emblée 30 000 entrées par an et un certificat de résidence, « seul moyen pour la France d’encadrer l’immigration algérienne ». L’Algérie n’en voulait pas et les négociations seront âpres.
L’Algérie, qui n’en veut pas au début, finit par en accepter le principe « pour la première fois depuis cinq ans », écrit Le Point. C’est Redha Malek, ambassadeur à Paris, qui a débloqué la situation après être allé voir le président Boumediene.
L’Algérie a donné son aval pour le certificat de résidence et la partie française a fini par accepter le chiffre de 35 000 travailleurs algériens par an, à condition de pouvoir le revoir à la baisse si les conditions économiques l’exigent. Le gouvernement français s’est aussi engagé à reconnaître l’Amicale des Algériens en Europe.
Le certificat de résidence, ancêtre du titre de séjour actuel, est délivré au bout de neuf mois si l’immigré algérien a trouvé un emploi, en plus de l’exigence d’une attestation de logement délivrée par les autorités françaises et d’un certificat médical.
Dans un document du 28 octobre, Stéphane Hessel parle d’un succès des négociations et évoque un accord qui satisfait la France.
L’accord sera signé le 27 novembre 1968 par Abdelaziz Bouteflika, chef de la diplomatie algérienne, et Jean Basdevant, ambassadeur de France en Algérie qui avait remis ses lettres de créance le jour-même.