Politique

Gouvernement : la fin de la politique-spectacle des « visites d’inspection » ?

Le premier gouvernement de Abdelmadjid Tebboune a été dévoilé jeudi dernier. Une semaine, aucun des 39 ministres qui le composent ni leur chef Abdelaziz Djerrad n’ont effectué de sortie sur le terrain et aucun projet dans ce sens n’est annoncé.

Le président Tebboune lui-même, investi le 19 décembre, s’est contenté d’aller inaugurer la foire de la production nationale trois jours plus tard, puis plus rien.

Une semaine, et même deux ou trois, c’est très court pour tirer quelque conclusion, mais il est à espérer que ce soit là l’expression d’une facette de l’immense changement réclamé par la rue et promis par les nouveaux dirigeants du pays.

Adopter « un nouveau mode de gouvernance », comme réitéré lors du dernier conseil des ministres, implique nécessairement l’abandon des pratiques et mœurs en vigueur jusque-là, dont ces « visites d’inspection » dans les wilayas de hauts responsables du pouvoir central qui, pour ne pas dire qu’elles ne servent en rien la cause du service public et de l’amélioration du quotidien des citoyens, sont inutiles à l’ère des nouvelles technologies et des outils modernes de remontée de l’information.

Une telle pratique, abandonnée par au moins tous les dirigeants des grandes démocraties de la planète, est érigée en tradition par ceux de l’Algérie depuis l’indépendance. De Boumediene à Bouteflika, la venue du président, ou même d’un simple ministre, est vécue comme un événement phare dans la vie de la localité visitée.

La forte couverture médiatique qui leur est assurée trahit l’objectif de ces déplacements et dévoile leur unique utilité : la propagande politique pour entretenir l’illusion de dirigeants soucieux du bien-être de leurs administrés. Engueuler un petit cadre local devant les caméras, ça rapporte sur le plan de l’image, du moins continue-t-on à croire.

Cela semble même être le sport favori de certains walis, en attendant qu’ils soient à leur tour traînés dans la boue par un plus haut placé qu’eux.

Des humiliations publiques sont toujours infligées à des fonctionnaires, comme ces deux responsables d’une polyclinique de Batna, traités de tous les noms d’oiseau par le wali. « Vous êtes défaillants tous les deux, vous êtes incompétents. Honte à vous. Vous n’êtes pas dignes de la responsabilité. Un responsable ne devrait pas accepter une telle situation ».

La vidéo est depuis quelques jours largement partagée sur les réseaux sociaux. Les responsables en question ont peut-être failli, mais la loi a prévu des procédures à suivre dans pareil cas et des mesures à prendre, sans attenter à la dignité de personne. Une telle humiliation relève de l’incivisme et justement de l’incompétence. Elle est inacceptable pour des cadres de la nation et des pères de famille.

Yahia Guidoum, ministre de la Santé dans les années 1990, était particulièrement pour connu pour ce genre de sorties et les révocations qu’il prononçait devant les caméras. Bouteflika aussi n’hésitait pas à humilier ses ministres publiquement, comme il l’avait fait en 2006 avec Mohamed Meghlaoui, alors ministre des Transports, auquel il reprochait un retard dans la réalisation de la nouvelle aérogare d’Alger.

Aussi, pendant des décennies, la politique-spectacle a fait que tout est prétexte pour une sortie sur le terrain fortement médiatisée, même l’inauguration d’une piscine gonflable plus proche du gadget que de l’infrastructure de loisirs, comme l’avait fait le wali de Mila au cours de l’été 2018.

Non seulement ces visites sont inutiles, elles sont en plus coûteuses et source de désagréments pour les usagers de la route et l’activité économique. Souvent, ces visites mobilisent des PDG d’entreprises publiques du secteur dirigé par le ministre visiteur. C’est du temps qui ne sera pas consacré à la gestion de ces entreprises, souvent en difficulté.

La population, elle, doit souvent se contenter de quelques façades repeintes, des nids-de-poule bouchés et des trottoirs repeints le long de l’itinéraire emprunté. Car les visites servent aussi à cela : elles permettent au responsable de tromper sa hiérarchie et à celle-ci de se mentir à elle-même.

Une sorte de villages Potemkine des temps modernes, du nom d’un ministre russe du 18e siècle qui érigeait de luxueuses façades en carton pour masquer la pauvreté des villages le long de l’itinéraire que devait emprunter la Tsarine.

L’Algérie, qu’on s’empresse déjà à qualifier de « nouvelle », gagnerait à mettre fin à cette hypocrisie qui n’a que trop duré. Un président, et même un ministre, c’est fait pour tracer des politiques et s’offrir un tableau de bord pour suivre leur exécution, et non pour savonner des directeurs d’hôpitaux devant les caméras.

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