« Encore aujourd’hui, on ignore combien d’assassinats ont été commis par la République française ». C’est par cet aveu que le journal français l’Express conclut une enquête sur les assassinats ciblés des services français, visant essentiellement des militants nationalistes algériens pendant la guerre de Libération nationale.
Le SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage), ancêtre de l’actuelle DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) française, a commis des dizaines d’attentats contre des militants algériens, et n’ont pas épargné leurs familles. Des femmes et des enfants ont été tués dans l’explosion de bombes fabriquées et déposées par les services français.
Le journal français s’est basé sur les archives du SDECE qui notait les personnes ciblées, les détails des opérations et leur résultat.
Quand la France assassinait des familles entières en Algérie
Les révélations sont donc indéniables et s’ajoutent aux nombreuses autres faites ces derniers mois sur les crimes coloniaux en Algérie.
En mars dernier, un documentaire (censuré par la télévision française) a révélé l’usage d’armes chimiques pendant la guerre d’Algérie. Simultanément, les crimes de la conquête coloniale au 19e siècle sont remontés à la surface. Des crimes qui ont inspiré les nazis, a jugé le journaliste français Jean-Michel Aphatie.
Selon les archives citées par L’Express, les crimes du SDECE étaient parfois attribués au FLN en représailles contre ceux qui, soi-disant, ne payaient pas leurs cotisations.
Or, les victimes sont d’authentiques patriotes ou des fournisseurs d’armes pour la révolution algérienne, comme le démontrent les archives consultées par L’Express.
Pour se couvrir, ce service avait créé une organisation d’extrême-droite fictive appelée « la Main rouge ». Cette organisation inexistante était destinée à couvrir les agents qui se feraient arrêter en dehors de France. Les attentats étaient commis en France, en Algérie, et dans d’autres pays.
Les archives confondent les plus hautes autorités françaises de l’époque, y compris le général De Gaulle.
À son retour au pouvoir en 1958, celui-ci a tout juste exigé que ces attentats ne soient pas commis en territoire français, contre des nationaux français et sans son aval.
Ces consignes ne semblent pas avoir été respectées puisque des attentats auront lieu après 1958 en France et contre des Français soutiens du FLN.
Rien qu’en 1960, 135 personnes ont été tuées dans ces attentats dits opérations « homo ».
Lorsque les services français tuaient en Algérie avec l’aval du pouvoir politique
Parmi les attentats cités, celui qui a ciblé et tué, le 19 avril 1957 à Meknès (Maroc), le pharmacien algérien Saad Rahal, ses parents et sa fille de 4 ans. Le crime est documenté par le SDECE et les documents l’attestant ont été retrouvés.
« Destruction de l’objectif et de sa famille », est-il noté dans un courrier daté de l’été 1958 et destiné à Jacques Foccart, conseiller du général de Gaulle. Le courrier récapitule tous les assassinats perpétrés par le renseignement français.
« La famille est atteinte », est-il écrit à propos d’un autre attentat qui a ciblé le médecin français Louis Tonellot en juin 1957.
« Accord donné par l’amiral Cabanier », retrouve-t-on dans une autre note. Cabanier était le chef d’état-major de la défense nationale.
Le tableau envoyé au conseiller de De Gaulle, dont l’existence avait été révélée par le journaliste Vincent Nouzille en 2020, dans son livre Les Tueurs de la République, est « une pièce décisive ». « En sus des bavures de l’armée, l’État tue en connaissance de cause », écrit L’Express.
Outre les archives, certains crimes ont été aussi dévoilés par des responsables de l’époque, y compris du SDECE. Raymond Muelle, ex-membre du service Action, a avoué dans son livre La Guerre d’Algérie en France, 1954-1962 avoir participé à un commando ayant abattu l’avocat algérien Amokrane Ould Aoudia, le 21 mai 1959 à Paris, « avec l’aval du pouvoir politique ».
Les archives citent aussi le meurtre de Rachid Khilou, « officier de police musulman passé secrètement au FLN », tué d’une piqûre empoisonnée en octobre 1960. Ou encore l’assassinat d’un chef de la révolution algérienne, Mostefa Ben Boulaïd, tué en mars 1956 en tentant d’allumer un poste radio piégé par le SDECE.
Dans la plupart des cas, les attentats planifiés étaient exécutés. Il arrivait toutefois qu’ils soient annulés à la dernière minute par le pouvoir politique. C’est le cas d’un projet d’assassinat d’Ahmed Ben Bella au Caire en 1956 et d’un autre ayant visé pendant la même année le président égyptien Gamal Abdel Nasser. Les deux attentats ont été annulés au dernier moment par Guy Mollet, alors président du Conseil (Premier ministre).
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