Économie

Hausse des prix de la pomme de terre : les raisons de la flambée

La flambée des prix de la pomme de terre s’inscrit dans la durée. S’agissant d’un produit de base pour les ménages algériens, cette hausse des prix défraie la chronique depuis quelques semaines.

D’une moyenne de 35/45 dinars le kilogramme, la pomme de terre est passée à 90/100 dinars, voire à 120 dinars dans certains marchés.

Le « frites-omelette », qui est en passe de détrôner le couscous au statut de plat national, devient du coût inaccessible par le fait de l’augmentation du prix de son autre ingrédient principal, les œufs, vendus à près de 500 dinars le plateau de 30, contre seulement 300 dinars il y a quelques semaines. Cette double augmentation s’est accompagnée pour ne rien arranger de la réapparition de la crise de l’huile de friture.

| Lire aussi : Spéculation sur les produits agricoles : réalité ou préjugés ?

Outre les facteurs  qui ont causé une inflation généralisée de quasiment tous les produits, comme la baisse continue de la valeur du dinar, la hausse des prix des coûts de transports et des engrais, un élément déterminant a provoqué la crise : la baisse des importations de la semence de pomme de terre. Selon nos sources, le gouvernement a misé sur la semence locale qui n’a pas donné les rendements attendus.

La semence locale n’a pas donné les rendements attendus

« La semence locale ne donne pas les mêmes rendements au kilogramme que celle importée : un kilo donne en moyenne 5 kg contre 10 kg pour celle importée », explique un connaisseur qui pointe du doigt l’absence de données fiables sur les quantités de semence locale disponibles, ce qui entrave le travail de programmation des importations au moment où le gouvernement cherche par tous les moyens à les réduire.

Sur une quantité de 100.000 tonnes de semence de pommes de terre qui devait être importée pour couvrir les besoins du pays, le gouvernement a tablé sur la moitié.

Quand bien même ces facteurs y seraient pour quelque chose, et même en y ajoutant les conditions climatiques et une éventuelle mauvaise récolte, cela ne saurait expliquer la hausse jugée unanimement exagérée.

Lors de sa première sortie publique après son élection en décembre 2019, le président de la République Abdelmadjid Tebboune avait déclaré que cet aliment de base ne devrait jamais dépasser les 60 dinars algériens, dans le pire des cas. Aujourd’hui, elle est au double de ce plafond.

Comment est-ce possible dans un pays considéré comme un gros producteur de ce tubercule et qui couvre largement ses besoins ? Avec une production de 5 millions de tonnes annuellement, l’Algérie est leader africain, avec l’Égypte.

À titre illustratif, la seule wilaya de Oued Souf produit le triple de toute la Tunisie (1,2 millions de tonnes contre 400 000 tonnes). Il est vrai que les habitudes alimentaires des Algériens diffèrent de celles des Tunisiens. En Algérie, la consommation annuelle de pomme de terre est en moyenne d’un peu plus d’un quintal par habitant, contre environ 30 kilogrammes en Tunisie.

Lutte contre la spéculation et effets collatéraux 

Malgré la forte demande interne, l’Algérie parvient à couvrir les besoins de la population, estimés à 50 millions de quintaux, et les tensions sur la pomme de terre ne surviennent que rarement, généralement en dehors des saisons de récolte où les prix ont tendance à augmenter.

Pour les autorités, le coupable est vite trouvé : la spéculation. Comme presque pour toutes les crises et tensions enregistrées depuis 2020, une main invisible est soupçonnée de faire en sorte que le dysfonctionnement ne soit pas passager.

Fin septembre dernier, le président Tebboune a évoqué l’inflation généralisée lors d’une rencontre avec les walis et pointé du doigt « les spéculateurs » qu’il a qualifiés de « parasites » et d’ « intrus ».

Le chef de l’État a appelé à la même occasion à la régulation du commerce pour limiter le nombre d’intervenants dans les transactions et surtout à l’élaboration d’une loi de lutte contre la spéculation.

« Si 30 ans de prison ne suffisent pas, nous irons à la peine capitale », a-t-insisté dimanche 10 octobre lors d’une rencontre avec la presse. Le projet de loi est passé en Conseil des ministres et prévoit des peines en effet très lourdes contre les spéculateurs, allant jusqu’à la perpétuité.

Parallèlement, les services de l’État sont passés à l’acte et multiplié les opérations de contrôle dans les dépôts de stockage. La première grosse saisie, 12 000 quintaux de pomme de terre, a été faite à Oum El Bouaghi fin septembre.

Les saisies se sont succédé depuis à l’échelle nationale jusqu’à atteindre les 12 000 tonnes, un chiffre révélé par le ministre du Commerce, Kamel Rezig, le 20 octobre.

Le ministre a aussi annoncé que les quantités saisies seront vendues sur le marché au prix raisonnable de 50 dinars le kilogramme. Dissuader les spéculateurs pour les amener à déstocker leur marchandise tout en inondant le marché est à priori la recette parfaite pour faire baisser rapidement les prix. Mais sur le terrain, les effets de cette double mesure se font toujours attendre. Au lieu de baisser, les prix de la pomme de terre ont augmenté.

Où est passé le Syrpalac ?

Il y a même parmi les professionnels qui estiment que cette brusque guerre faite à la spéculation peut produire l’effet contraire, en ce sens que les grossistes pourraient hésiter à se faire approvisionner auprès des agriculteurs de peur de se retrouver accusés de spéculation pendant le transport de la marchandise ou son stockage avant sa revente.

Les agriculteurs pourraient aussi nourrir les mêmes appréhensions et c’est le secrétaire générale de leur organisation, l’UNPA, qui le dit. « Nous attirons l’attention sur certaines tentatives de harcèlement de vrais producteurs professionnels sous prétexte de la lutte contre la spéculation. Ces agriculteurs exercent leurs activités de production et utilisent en toute légalité les structures de stockage agréées ou conventionnées avec des organismes de contrôle », a écrit Ahmed Alioui dans un communiqué rendu public cette semaine.

« Ces pressions ont eu un impact négatif sur la production et le rendement agricoles et entaché le métier d’agriculteur au sein de l’opinion publique nationale », a-t-il ajouté.

Quant aux quantités saisies et vendues à 50 dinars, on est loin de l’inondation du marché pour la simple raison que 12 000 tonnes représentent à peine la consommation des Algériens pendant… une seule journée !

Pour faire face à ce genre de situations, l’Algérie a pourtant mis en place un mécanisme censé réguler le flux des produits agricoles sur le marché, le Syrpalac (système de régulation des produits agricoles de large consommation).

Mais le mécanisme n’a pas fonctionné cette fois. Dans une déclaration au quotidien Horizons, l’économiste Mustapha Mékidèche a indiqué qu’il « va falloir s’interroger sérieusement et interroger les acteurs de la filière sur ce qui a empêché le fonctionnement du dispositif ».

« Il faut faire un bilan pour savoir s’il y a eu des résistances à sa mise en place ou qu’il n’a pas fait l’objet d’explications suffisantes chez les acteurs », estime l’ancien président du Conseil national économique et social (CNES).

 

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