Économie

Hausse du prix du pétrole : que fera l’Algérie avec la nouvelle manne ?

La guerre se poursuit en Ukraine avec des effets sur les prix du pétrole, principale source de devises pour l’Algérie dont l’économie est fortement dépendante des exportations des hydrocarbures.

La banque JP Morgan a présenté, jeudi, des prévisions concernant les prix du pétrole, avec des niveaux pouvant atteindre 185 dollars le baril à la fin de 2022.

Le spécialiste en énergie, le Dr Saïd Beghoul tempère cependant les prévisions de la banque d’affaires américaine. « En admettant que le baril est aujourd’hui de 120 dollars à cause de la tension en Ukraine, son augmentation de 65 dollars avant fin 2022 me paraît peu justifiée », estime-t-il d’emblée.

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Même s’il admet qu’il y a une reprise de l’économie mondiale, un recul de la pandémie de covid-19, des difficultés d’approvisionnement de la part de certains producteurs OPEP ou non OPEP, M. Beghoul explique cependant que le pétrole iranien peut à tout moment revenir sur le marché.

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« Pour atteindre 185 dollars il faut un choc pétrolier à caractère géopolitique pénalisant à la fois la production mondiale, l’acheminement du pétrole, etc. Seuls une guerre généralisée (à ne pas souhaiter), usage d’armes nucléaires, fermeture du détroit d’Ormuz, etc., peuvent effectivement booster les prix à ce niveau », explique-t-il.

Régénération du Fonds de régulation des recettes (FRR)

Le spécialiste prévoit un prix « maximum de 130-135 dollars » le baril, tout en tablant sur le fait que le conflit Ukraine-Russie va s’estomper. Pour l’Algérie et au-delà des considérations liées à la nature du conflit et ses répercussions humaines, un baril 135 dollars reste une aubaine.

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Comment va-t-elle en tirer profit ? « En principe, s’il y aura un bon excédent dans les recettes pétrolières, l’alimentation ou la régénération du FRR (Fonds de régulation des recettes), épuisé depuis 2017, est impérative », estime Saïd Beghoul.

Encore faut-il, précise-t-il toutefois, qu’un prix du baril profitable doit s’inscriver dans la durée.

« Il ne faut pas crier victoire trop tôt », observe-t-il. Et d’expliquer : « Ce n’est pas avec un bon prix conjoncturel et limité dans le temps que nous allons redresser la pente plongeante de notre économie. La Loi de finances 2022 fixe le prix de référence du baril à 45 dollars et un prix du marché à 50 dollars. Des seuils prometteurs si le prix moyen sur l’année sera entre 80 et 100 dollars. Mais, l’année n’est qu’à son début. Tout peut changer dans un sens comme dans l’autre ».

La hausse sensible des prix du pétrole enregistrée ces dernières semaines « va certainement avoir des retombées positives sur l’économie algérienne », abonde le professeur d’économie, Brahim Guendouzi.

« Si cela venait à perdurer dans le temps, et tout semble le confirmer dès lors que le conflit militaire russo-ukrainien ne montre pas de signes d’apaisement pour une issue négociée, le chiffre d’affaire que réalisera Sonatrach cette année 2022 serait exceptionnel par rapport à 2014, année de contraction du marché pétrolier international », analyse l’économiste. Cela va se traduire en premier lieu par « un solde positif de la balance commerciale », observe-t-il.

« Compenser l’important déficit budgétaire »

En second lieu, le niveau des réserves de change de l’Algérie « va connaître à son tour une amélioration qui donnerait une marge de manœuvre suffisante à l’Exécutif », sachant que la Loi de finance 2022 s’est faite sur la base d’un prix de pétrole de référence de 45 dollars.

Aussi, prévoit Brahim Guendouzi, il va y avoir « probablement une redynamisation du fonds de régulation des recettes qui est un compte ouvert auprès du Trésor ».

Le solde de ce FRR à la fin 2022 va « éventuellement servir à compenser l’important déficit budgétaire et à imprimer peut-être une nouvelle dynamique dans les finances publiques », énonce-t-il.

L’économiste fait remarquer fort opportunément qu’il n’y a pas uniquement les prix du pétrole qui ont augmenté mais également d’autres produits de base dont l’Algérie est importatrice comme les céréales.

« Ce sera alors un manque à gagner important en devises pour le pays. Enfin, s’il y a enlisement du conflit (russo-ukrainien), c’est l’ensemble des marchés qui ressentiront les effets négatifs, et la répercussion sera immédiate sur le fonctionnement de l’économie mondiale, sachant que l’économie algérienne est extravertie », estime M. Guendouzi.

« Pas le moment de chanter sous la pluie »

L’avis de l’économiste Omar Berkouk est lui sans équivoque. L’Algérie « ne peut pas tirer pleinement avantage de l’envolée des prix des hydrocarbures en raison de sa limitation en termes de production et en termes budgétaires et financiers », entame-t-il.

Selon lui, les prix actuels « atteignent juste les niveaux requis pour équilibrer ses finances publiques ». « Ce n’est pas le moment de chanter sous la pluie », tranche-t-il. « La vie du citoyen algérien a été rythmée par le prix du pétrole depuis l’Indépendance. Souvent la mauvaise gestion des périodes euphoriques l’ont plongé dans des époques de sinistroses économiques », expose Omar Berkouk.

L’envolée des prix observée actuellement fait que l’on assiste à une « accalmie et une réduction de la pression qui s’exerce sur l’économie nationale » mais « ce n’est pas une modification substantielle de la marche du pays », tient à préciser M. Berkouk.

« Dire que le prix du pétrole s’améliore c’est reconnaître notre dépendance. Pour être joyeux il faut avoir un plan majeur de transformation de la gouvernance économique du pays. Sinon le feu d’artifice sera de courte durée. Une très forte remontée des cours sera suivie par une dépression économique qui étouffera la demande. En conséquence, en dehors du travail il n’y a pas d’issue pour l’Algérie », concède l’économiste.

Dans les années 2000, l’Algérie avait engrangé une manne pétrolière conséquente après la hausse des prix du brut, mais le gouvernement n’a pas profité pour moderniser l’économie. Si la hausse des prix actuelle se poursuit, l’Algérie va-t-elle refaire les mêmes erreurs que durant les années 2000 ?

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