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« Il faut faire attention et encadrer les fausses écoles et les « vendeurs » de France en Algérie »

« Il faut faire attention et encadrer les fausses écoles et les « vendeurs » de France en Algérie »

Quel est l’objet de votre présente visite en Algérie qui s’étalera jusqu’au 16 octobre ? Et quel est votre programme ?

M’jid El Guerrab. Je suis député français de la 9e circonscription des Français établis hors de France. Celle-ci comprend seize pays, parmi lesquels figure l’Algérie qui est le premier pays de la circonscription par sa taille, par son histoire intime avec la France et par son poids économique dans la région.

Je suis ici en tant que député français mais aussi et surtout en tant qu’amoureux de l’Algérie. En effet, la France est mon pays de naissance, le Maroc est le pays de mes parents, il a forgé ma culture maternelle. Je peux vous dire sans ambages que l’Algérie est mon pays de cœur à plusieurs égards. J’aime l’Algérie et quand j’atterris à Alger, je ressens toujours la même émotion, le même sentiment d’être chez moi. L’accueil que me réservent les Algériens est toujours chaleureux et fraternel. J’aime l’Algérie pour m’avoir donné une femme, des enfants, une famille et pour cette même culture berbère. J’aime l’Algérie pour ses combats historiques et pour ce côté révolutionnaire et décalé, que je suis finalement un peu.

En tant que député, ce déplacement est important pour moi car la communauté française en Algérie, c’est plus de 41 000 Français inscrits au registre des Français de l’étranger au 31 décembre 2017. Ainsi, je viens rencontrer mes compatriotes, échanger avec eux et les écouter me faire part des préoccupations qui sont les leurs. Je tiens par ailleurs une permanence parlementaire au Consulat de France et je recevrai, à cette occasion, mes compatriotes français qui résident en Algérie. Une vingtaine de personnes sont déjà inscrites.

En tant que membre de la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), je travaille activement pour soutenir les entrepreneurs français à l’étranger et faciliter le développement de leurs entreprises. Afin de nourrir ma réflexion et ce travail parlementaire, je vais visiter des entreprises françaises établies en Algérie et je vais rencontrer des acteurs économiques de premier plan. Je voudrais qu’on mette en lumière ce qui marche. L’Algérie est en mouvement, elle change, elle s’ouvre aux entreprises et aux initiatives privées. Les Français, notamment nos compatriotes binationaux, ont un rôle particulier à jouer pour accompagner ce mouvement.

Je vais également visiter le lycée français, qui représente à merveille l’excellence de l’enseignement français à l’étranger. C’est l’un des plus grands lycées du réseau de l’AEFE, l’un des mieux équipés aussi avec des grands projets de développement.

Autre moment fort de ce déplacement, j’irai à Timimoun pour visiter la micro-ferme écologique et innovante ‘’la Clé des Oasis’’. Je souhaite mettre en valeur les travaux remarquables de cet établissement, créé par le professeur Bouchentouf, un compatriote français qui est un exemple qui démontre que l’Algérie, par l’initiative citoyenne, peut être à la pointe des innovations.

Quels sont les problèmes que rencontrent les Français vivant en Algérie ? 

Parmi les Français qui résident en Algérie, la grande partie est de double culture. Les principales problématiques au sujet desquelles je suis saisi portent sur la scolarisation de leurs enfants dans les écoles de notre réseau d’enseignement français à l’étranger, l’obtention de certificat de nationalité française, ou les obstacles qu’ils rencontrent dans le cadre de leurs activités professionnelles. Beaucoup souhaitent aussi échanger sur la politique nationale française. Je tiens une permanence pour les écouter et tenter de trouver des solutions concrètes.

Je voudrais également faire œuvre de pédagogie. Il y a des élus de terrain aux côtés de nos concitoyens, qui font un travail remarquable comme Radya Rahal, élue à l’Assemblée des Français de l’Étranger. Je suis à leurs côtés, même si ce sont eux qui sont aux prises avec les difficultés des citoyens sur le terrain. Je suis pour ma part député, je suis élu pour fabriquer la loi et représenter mes compatriotes au Parlement.

Comment trouvez-vous les relations algéro-françaises sous le règne de M. Macron ?

Le président de la République a effectué une visite de travail et d’amitié à Alger le 6 décembre 2017. Il est venu en ami de l’Algérie avec la volonté d’ouvrir « une page d’avenir » et de relever ensemble les défis communs. En France, nous sommes une nouvelle génération qui, dans une exigence lucide avec notre pays, demande que les actes de reconnaissance mémorielle soient mis en œuvre rapidement. Je veux, à cet égard, saluer le travail remarquable réalisé par mon ami et collègue Cédric Villani. Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons tourner la page et avancer vers un destin commun en France et en Algérie.

Le président a marqué sa volonté de regarder en face notre histoire commune, loin du déni et de la repentance. Dans ce domaine, il a concrétisé son engagement par des actes forts depuis sa visite, en engageant le processus de restitution des restes mortuaires des résistants algériens conservés au Muséum national d’histoire naturelle à Paris. En tant que nouveau député, ce fut, d’ailleurs, la première lettre officielle que j’ai adressée en juin 2017 au gouvernement français : il importe au plus haut point de donner une sépulture digne à ces résistants au colonialisme. Puis, récemment, en reconnaissant la responsabilité de l’État français dans la mort de Maurice Audin et, au-delà, l’utilisation de la torture dans le cadre d’un système légal créé par ce qu’on appelait les pouvoirs spéciaux. Cette reconnaissance a une portée considérable non seulement en France, mais également en Algérie parce que ce système terrible a fait, en premier lieu, de nombreuses victimes algériennes.

Le président s’est exprimé de manière décomplexée et franche et a proposé un partenariat responsable, d’égal à égal, et résolument tourné vers la jeunesse, l’innovation et le développement de nos relations économiques.

Des Français qui, pour raison professionnelle ou autre, éprouvent, semble-t-il, des difficultés pour avoir leurs visas dans les délais. Qu’en est-il au juste ? 

Lors de sa visite en Algérie en décembre 2017, le président de la république française, Emmanuel Macron, et son homologue algérien, Son Excellence Abdelaziz Bouteflika, ont évoqué nos politiques de visa avec le souhait d’avoir un cadre simplifié, mais aussi un meilleur contrôle pour lutter contre l’immigration illégale.

Dans le cadre des relations entre la France et l’Algérie, deux pays si proches, je préfère utiliser le terme de mobilité internationale que celui d’immigration. Il y a aujourd’hui des forces vives de part et d’autre, qui ne demandent qu’à circuler facilement. Beaucoup ont un mode de vie pendulaire et ne peuvent dire s’ils résident en France ou en Algérie. Nous devons faciliter et fluidifier cette circulation, en évitant toute forme de vexation ou de contrainte inutile.

En Algérie, il n’y a qu’un seul lycée français à Alger et une antenne à Oran. Le nombre n’est-il pas insignifiant vu que l’Algérie est le plus grand pays francophone après la France ? Allez-vous demander l’ouverture d’autres antennes dans d’autres villes algériennes du Lycée Alexandre Dumas et, pourquoi pas, des écoles primaires françaises ?

Tout d’abord, nous nous félicitons que l’enseignement français rencontre du succès en Algérie. C’est la preuve, s’il en était besoin, que la relation est intense et que les liens sont profonds.

Les établissements français en Algérie accueillent de nombreux élèves. Leur vocation est d’abord de permettre aux enfants français qui vivent en Algérie d’être scolarisés dans le système éducatif de leur pays. Ils sont, en outre, un élément important de la coopération éducative bilatérale entre la France et l’Algérie, puisqu’ils scolarisent de nombreux enfants algériens. Le LIAD d’Alger accueille ainsi près de 2 000 élèves, la Petite Ecole de Hydra en accueille 200 et à Oran ce sont près de 120 élèves qui ont fait leur rentrée en septembre.

Nous sommes évidemment disposés à développer le lycée international Alexandre Dumas en concertation avec les autorités algériennes. J’ai d’ailleurs rencontré l’équipe de direction du lycée à cet effet. Le développement de nouvelles écoles nécessite une étroite concertation et un appui fort des autorités. J’ai néanmoins soulevé un point d’inquiétude, il faut faire attention et encadrer les fausses écoles et les « vendeurs » de France. J’ai constaté que certains n’hésitent pas à utiliser la « marque » France pour créer des groupes privés, qui n’ont aucun lien avec notre pays. Ils dupent les parents d’élèves et la qualité de l’enseignement n’est pas au rendez-vous. Je conseille donc aux parents d’élèves de bien s’informer avant d’inscrire leurs enfants dans ces établissements.

Je rentre sur le sujet d’un déplacement en Tunisie avec Samantha Cazebonne, chargée par le Premier ministre d’une mission pour le développement de notre réseau d’écoles à l’étranger. Nous serons particulièrement attentifs à ce que la qualité de ces écoles soit certifiée dans le cadre de processus d’homologation très stricts.

À cet égard, je tiens à saluer le soutien des autorités algériennes qui a permis l’accomplissement de deux très beaux projets avec l’ouverture d’une annexe importante à Oran lors de la rentrée 2017. Par ailleurs, nous sommes très heureux de l’ouverture, à la rentrée 2018, d’une nouvelle antenne du LIAD à Annaba. Les 24 élèves y ont fait leur rentrée le 7 octobre, tandis que l’inauguration aura lieu le 12 novembre prochain. Ce sont les seules entités qui peuvent se revendiquer d’avoir l’accord de la France.

Nous espérons continuer le mouvement et pouvoir élargir encore l’offre éducative en Algérie, en partenariat avec les autorités locales et l’AEFE.

Pour ce qui est des centres culturels français, y a-t-il des projets pour 2019, voire au-delà ? Y a-t-il espoir de voir le CCF de Tizi Ouzou rouvrir un jour ses portes ?

Permettez-moi un mot en berbère : « Ikhssa ane zaïd rar dath » ! (Rires). Cela signifie : « Nous devons aller de l’avant ! » Je ne peux pas précisément vous dire ce qu’il s’est produit à Tizi Ouzou. Mais comme je vous le disais tout à l’heure, je suis là pour faire la lumière sur ce qui marche, sur les aspects positifs de la coopération.

Les cinq Instituts français d’Algérie (Alger, Oran, Tlemcen, Annaba, Constantine) reçoivent chaque année un public nombreux d’Algériens intéressés par la culture et la langue française (500 000 entrées dans les cinq Instituts français ont été enregistrées en 2017). L’Algérie, qui compte 11 millions de francophones, est le troisième pays francophone au monde. Les Algériens ont cette chance d’être polyglottes, c’est un atout majeur qui contribue au rayonnement international de l’Algérie dans le monde. Les plus grandes plumes de la littérature francophone sont bien souvent algériennes, faut-il le rappeler, de Kateb Yacine, Mohamed Dib et Assia Djebbar à Kamel Daoud, Kaouther Adimi ou Adlène Meddi, ces derniers ayant remporté plusieurs prix en France au cours de l’année écoulée. Une jardin public Kateb Yacine a même récemment été inaugurée dans le 13e arrondissement de Paris…

Le rôle de notre coopération, c’est d’appuyer la diffusion de la langue française.

Nos Instituts français sont là pour permettre à chaque Algérien qui le souhaite d’accéder à la langue française et à la culture francophone. Les Instituts français proposent des cours de français auxquels se sont inscrits près de 18 000 Algériens en 2017.

Ce sont aussi des lieux d’enrichissement et de dialogue culturels, puisqu’ils proposent une riche programmation musicale, théâtrale, cinématographique, mais également des cycles de conférences et des ateliers artistiques qui touchent un très large public.

Les Instituts français contribuent, en outre, aux grands événements culturels organisés par l’Algérie, comme le Festival international de la bande dessinée d’Alger (FIBDA) qui vient de se terminer, le Festival de musique symphonique qui se déroulera du 13 au 19 octobre et enfin l’événement majeur que constitue le Salon international du livre d’Alger du 25 octobre au 3 novembre. Pour chacune de ces occasions, l’Ambassade de France invite à Alger de grands artistes et auteurs français et francophones.

Nous pensons que la langue et la culture françaises susciteront certainement un fort intérêt dans d’autres villes d’Algérie. Notre Ambassadeur a proposé la création d’« Espaces France » dans de nouvelles régions d’Algérie.

Il y a à peine 450 entreprises françaises implantées en Algérie, un des plus grands partenaires économiques de la France en Afrique. Pourquoi les PME françaises rechignent à investir de ce côté-ci de la Méditerranée ? Qu’y a-t-il lieu de faire de part et d’autre pour multiplier leur nombre ?

Tout d’abord, je tiens à rappeler que l’Algérie est un partenaire économique majeur.

Nous avons plus de 450 entreprises implantées en Algérie qui emploient environ 40 000 salariés et génèrent près de 100 000 emplois. On estime également à plus de 7 000 le nombre d’entreprises françaises qui exportent vers l’Algérie.

La France est un investisseur important avec environ 2,5 milliards d’euros de stock d’Investissement directs étrangers en Algérie. Nos investissements sont diversifiés et présents dans tous les grands secteurs d’activités, notamment dans le secteur bancaire et dans l’industrie manufacturière avec en premier lieu l’industrie automobile, puis l’industrie alimentaire et l’industrie chimique. Nos entreprises sont prêtes à contribuer davantage à la diversification industrielle de l’Algérie. Néanmoins, comme vous le soulignez dans votre question, nous pouvons faire mieux, et notamment au niveau des PME.

Certaines réglementations et procédures administratives en vigueur peuvent en effet déstabiliser les PME françaises souhaitant s’implanter en Algérie. Plusieurs mesures prises récemment, telles que la suspension provisoire d’importation de nombreux produits, suscitent beaucoup de questions de la part des entreprises. Or, comme nous le savons, la prévisibilité du cadre des affaires est cruciale pour que les entreprises puissent mener à bien leurs projets. De même, je comprends que les grands groupes français se sont accommodés de la règle dite du 51/49 mais qu’en revanche, celle-ci complique l’implantation des PME et reste un frein à leurs investissements en Algérie.

Les deux pays ont établi un cadre institutionnel qui permet de développer notre coopération économique et d’appuyer les investissements : le COMEFA (Comité économique mixte algéro-français) et le CIHN (Comité intergouvernemental de haut niveau) qui se réunissent une fois par an. Ces mécanismes de coopération, en place sur le plan institutionnel, doivent permettre de renforcer la confiance entre les acteurs économiques des deux pays. Le prochain COMEFA qui se tiendra le 29 octobre à Paris sera (je l’espère) l’occasion d’avancées sur le plan de notre relation économique.

De même, au sujet de ce qui peut être fait pour renforcer la présence des PME françaises en Algérie, le président de la République a proposé la création d’un fonds conjoint d’investissement qui permettrait d’accompagner les entrepreneurs algériens investissant en France et les entrepreneurs français désireux d’investir en Algérie.

Par ailleurs, lors de son déplacement en Algérie, le président de la République française a également évoqué son souhait de développer des projets ici en Algérie. Il souhaite ainsi créer une école du numérique avec les autorités algériennes. Il a amené plusieurs entrepreneurs, dont Monsieur Niel qui a développé l’École 42 à Paris, et qui est prêt à procéder à une telle opération à Alger. La France compte l’accompagner, en lien avec les autorités algériennes, pour donner des débouchés à la jeunesse et permettre de former la jeunesse dans le numérique.

Plus personnellement, je plaide en faveur de la création d’un prêt octroyé par BPI France pour aider les entrepreneurs français à démarrer une entreprise à l’étranger. J’ai déposé un amendement en ce sens dans le cadre du projet de loi PACTE et j’ai rencontré des représentants de Business France et de BPI France pour voir avec eux la faisabilité d’un tel projet.

Certains Français qui ont pris le parti de rester en Algérie après l’indépendance en 1962, semblent rencontrer des problèmes dans la gestion de leurs biens, immobiliers ou autres. Qu’en est-il au juste ? 

Vous avez raison de préciser qu’il s’agit des biens des Français qui ont choisi de rester en Algérie après l’indépendance. Il y a parfois une confusion dans la presse avec les biens qui, dès les années 1960, ont été déclarés vacants ou nationalisés. Il s’agit des biens immobiliers de quelques dizaines de familles françaises tout au plus, qui sont demeurées en Algérie après l’Indépendance, signe de leur attachement à ce pays, et qui éprouvent aujourd’hui des difficultés à se voir reconnaître leur droit de propriété, à vendre leurs biens ou, lorsqu’ils parviennent à vendre, à rapatrier les fonds correspondants.

Ces Français doivent pouvoir légitimement jouir du droit de propriété de leurs biens, un droit qui est garanti par les accords d’Evian. C’est un sujet très important. Nous avons un dialogue sur ce sujet avec les autorités algériennes dans le cadre des règles de droit fixées par la législation de votre pays.

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