
El Mouhoub Mouhoud, brillant économiste franco-algérien de renom, signe une auto-histoire de l’immigration algérienne émouvante et profonde en France.
Il retrace son parcours depuis sa tendre enfance dans un petit village enfoui au fond de la Kabylie jusqu’à devenir président de la prestigieuse université Paris Dauphine-PSL de 2020 à 2024, puis de l’université Paris Sciences Lettres, classée dans le top 30 mondial.
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Mêlant descriptions, découvertes, rencontres, El Mouhoub Mouhoud qui a écrit une vingtaine d’ouvrages sur l’économie, raconte aussi une partie de cette France qui regarde de haut les immigrés et leurs enfants.
Son récit, puissant et émouvant, raconte sa propre histoire et celle de sa famille, emblématique de l’immigration algérienne en France.
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Histoire emblématique
Chaque Algérien, surtout ceux qui ont réussi en France, malgré les obstacles, peut trouver une partie de son parcours dans Le Prénom et s’y identifier.

El Mouhoub Mouhoud raconte dans son nouveau livre une partie de cette France qui regarde de haut les immigrés et leurs enfants.
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Des notes prises des années durant en marge de ses obligations professionnelles et rangées dans une boîte à chaussures sont devenues sa matière pour raconter sa propre histoire et celle de sa famille, originaire d’un petit village près d’Azazga, à Tizi-Ouzou, en Algérie.
« Ces fragments d’un journal épisodique sont devenus des archives qui ont aidé à dessiner cette histoire sociale et politique », peut-on lire en introduction.
À travers les 280 pages de son livre « Le Prénom*, Esquisse pour une auto histoire de l’immigration algérienne en France », El Mouhoub Mouhoud rend hommage à ses parents, ses deux grands-pères et ses deux grands-mères Ouardia et Djamila, sans oublier ses « oncles-frères ». On y découvre aussi des personnages qui ont marqué son enfance, des instituteurs et des copains d’enfance.
Né en 1940 au village d’Tifrit n’Ath Oumalek, commune d’Idjeur, dans la wilaya de Tizi-Ouzou, son père Arezki grandit et apprend le Coran à la Zaouia du village, comme tous les enfants de son âge.
Les affres du colonialisme
Les conditions de vie de l’époque étant très difficiles, il a dû travailler très jeune pour aider son père à subvenir aux besoins de la famille.
« Durant les années 1930 et 1940, les populations des villages kabyles avaient sombré dans une misère terrible, et le blé était devenu un produit de luxe. À cette époque, la pauvreté rongeait les villages, les épidémies faisaient des ravages et la mortalité infantile atteignait des sommets », raconte El Mouhoub Mouhoud, en citant Albert Camus dans ses Chroniques Algériennes (1938-1958).
Dans ce contexte difficile, Arezki perd son père à l’âge de 16 ans, disparu en 1956 durant la guerre d’Indépendance.
Orphelin de mère très jeune, son grand frère parti en France sans jamais donner de nouvelles, il devient rapidement le soutien de famille.
Adolescent, il prend ses responsabilités, se marie à 19 ans et El Mouhoub naît un an plus tard dans le même village, en 1960.
Ce prénom « L’Muhuv » en prononciation kabyle, est celui de son grand-père paternel qu’il n’a jamais connu. Un homme qu’on lui a toujours décrit dans le village comme étant courageux, valeureux, juste et équitable.
Un prénom qui découle de la racine arabe « wahaba » du verbe « donner » et exprime celui qui reçoit un don, explique le brillant économiste.
Et d’ajouter que cette correspondance nom-prénom n’a pas toujours été facile à porter et lui a valu bien des réflexions tout au long de son parcours en France.
El Mouhoub Mouhoud explique qu’il aurait pu s’appeler « L’Muhuv miss l’Hadj Arezki, nath M’Hend Said » si l’administration coloniale n’avait pas imposé uniquement le nom patronymique avec la loi de 1882 sur l’état civil des indigènes musulmans de l’Algérie.
El Mouhoub est passé quelques mois par l’école publique du village, dont l’instituteur M Ourabah, « adulé et respecté de toute la tribu de Nath Idjeur », se souvient-il.
L’instruction et la réussite scolaire étaient primordiales dans la famille Mouhoud. C’était le seul moyen de réussir, de « devenir quelqu’un », c’est-à-dire quelqu’un qui a étudié et qui transmet, comme on lui répétait souvent sans qu’il en comprenne réellement le sens.
D’ailleurs, El Mouhoub n’oubliera jamais ces mots que répétait son père : « Je ne pourrai pas vous laisser des biens matériels. Je vous laisserai quelque chose que vous ne pourrez jamais céder : le savoir, l’école, l’instruction et les diplômes. »
La vie dure du travailleur immigré
Son père quitte l’Algérie pour la France en 1963 pour y travailler. À Paris, il décide de prendre des cours du soir, après ses journées de travail chez Renault, pour apprendre le français. Il réussit à obtenir son certificat d’études, l’équivalent d’un niveau 6ᵉ à l’époque.
« Mon père a cherché à l’âge de 24 ans à apprendre à lire et à écrire pour être sûr de pouvoir lire nos bulletins scolaires le jour où il parviendrait à nous faire venir en France », explique El Mouhoub.
En plus de s’instruire, ce père n’a jamais envisagé de faire venir sa famille dans des conditions indignes, ni dans un hôtel ou hébergés chez de la famille provisoirement. Il avait attendu d’avoir un appartement correspondant au nombre d’enfants, c’est-à-dire un 4 pièces minimum, lit-on.
Le papa travaille dur et envoie des « mandats » au pays. Ce mot que toutes les familles d’immigrés algériens en France connaissaient bien. À cette époque, El Mouhoub vivait dans un trois pièces de la cité Jolie Vue à Kouba, à Alger, avec sa mère, sa sœur, sa grand-mère maternelle, ses tantes et ses oncles.
El Mouhoub se souvient de son école primaire située place de la Croix à Kouba. Il grandit avec trois oncles maternels, Madani, Tahar et Noureddine.
Ses « oncles-frères » devenus confidents et des compagnons de jeu. La grand-mère maternelle Djamila veillait sur toute cette tribu.
Un enfant de banlieue
En septembre 1970, El Mouhoub, sa maman et sa sœur Nadia quittent Alger en direction de Paris pour rejoindre le père de famille.
Commence alors une nouvelle vie pour lui. Il se souvient parfaitement de son premier jour d’école en plein mois de janvier, quand il se présente drapé dans un costume acheté par son père.
Le directeur de l’école primaire de Gagny à Seine-Saint-Denis en région parisienne ne voyait que le retard en langue française du nouveau venu et le prédestinait à un parcours en collège technique.
« Le directeur d’école ne me voyait qu’à travers le prisme de l’émigré venu d’Algérie, comme si je n’avais pas d’histoires personnelles ou familiales », se remémore El Mouhoub qui ne baisse pas les bras. Il redouble d’efforts et sera admis en sixième au collège de Lésigny.
C’est à ce moment que la famille d’El Mouhoub déménage et quitte le HLM de la Seine St Denis pour un pavillon en Seine-et-Marne, dans un lotissement appelé « Villes et Jardins ».
« Nous étions quasiment les seuls enfants d’immigrés, et même les seuls enfants d’ouvriers ; mais nous avions la chance d’accéder aux bonnes écoles et aux bons collèges de la république », précise l’auteur.
Le jeune élève fraîchement venu d’Alger se rappelle, avec humour, de ce qui l’avait frappé en arrivant à Paris.
Dans la capitale française, il n’y avait ni odeurs ni bruits dans les rues parisiennes.
Plus d’odeurs de jasmin et « mesk ellil » des ruelles de Kouba, ni de sardines grillées, ou de bouzelouf. Pas de cris d’enfants dans les rues, ni de traces de revendeurs ambulants de sardines ou de fruits et légumes.
Les secrets de la réussite
Les années se succèdent et El Mouhoub excelle à l’école et trace son chemin vers la réussite, malgré les obstacles. D’ailleurs, ses professeurs l’orientent vers les classes d’Allemand-Latin réservées aux meilleurs.
« Lorsque est arrivée l’orientation en seconde, j’ai été de nouveau victime de mes origines sociales », raconte l’auteur. Une affectation en seconde T1 au lieu d’une seconde C, la seconde d’excellence à l’époque.
À force de travail, et malgré les 30 km qui séparent le lycée du domicile familial, El Mouhoub obtient de très bons résultats en mathématiques qui lui valent une orientation en première scientifique d’un lycée généraliste. Il change de lycée et se rapproche de la maison.
En terminale, El Mouhoub est présent partout : dans les clubs de théâtre, de cinéma, le journal du lycée… Il accède à la culture réservée aux classes favorisées et s’initie au militantisme étudiant. Il avait même projeté de faire des études en psychologie. Une idée qu’il abandonnera tout comme le théâtre. Son père a tranché : « Je ne t’ai pas amené en France pour faire le clown ».
Son bac en poche, El Mouhoub rejoint l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne en septembre 1980 pour y entamer des études en économie. En parallèle, le jeune étudiant doit travailler pour ne pas peser sur le budget familial.
Travailler comme animateur puis directeur de centres de vacances lui permet, en plus de gagner son argent de poche, d’acquérir des formations théoriques et pratiques l’aidant dans les délibérations collectives et les prises de décision, diriger et animer des collectifs de travail.
De plus, travailler dans les centres aérés est une excellente opportunité pour pratiquer des disciplines sportives onéreuses pour l’étudiant telles que la voile, le kayak, le ski ou le golf.
Ces colonies de vacances sont un lieu de discussions politiques et économiques interminables.
« On y parlait d’économie, de violence urbaine, de chômage, d’immigration et de culture », raconte-t-il.
Un dîner assez tendu chez les parents d’une amie alors qu’il était encore étudiant lui a fait jurer que plus aucun code de la société française ne lui échapperait.
« Passionné par l’économie, l’épistémologie, j’avais choisi d’entreprendre une carrière de chercheur », relate El Mouhoub.
« En DEA (le Master de recherche d’aujourd’hui) d’économie internationale, je savais que j’allais entreprendre une thèse de doctorat. J’ai demandé à ma chargée de travaux dirigés comment devenir professeur des universités. Vous avez 0,01 % de chances d’y parvenir, m’avait-elle répondu sèchement ».
Une réponse qui ne le découragea pas. Au contraire. Persévérant, il saute les obstacles et réalise son objectif.
« J’ai soutenu ma thèse de doctorat et j’ai été nommé maître de conférences par l’université de Paris 1 Panthéon Sorbonne dans le campus d’Evry. Dans la foulée, je me suis présenté au concours d’agrégation d’économie, ce qui m’a permis d’être nommé professeur des Universités ».
Il rencontre Christine pendant ses études. Ils se marient en 1988. De cette union naissent trois enfants : Yassine, Théo-Tarik et Sara. Tous les trois ont entrepris de longues et brillantes études universitaires.
La stigmatisation, malgré tout
L’auteur revient avec amertume sur un drame qui a secoué sa famille un soir d’automne en octobre 1999 à Paris.
Le meurtre de son oncle Tahar poignardé dans son taxi par un client, un jeune algérien, qui lui a assené des coups de poignards pour s’emparer d’une bourse journalière de 700 francs (l’équivalent de 100 euros).
El Mouhoub Mouhoud a raconté comment aux États-Unis, il est Français, alors qu’en France, ses origines surgissent à chaque fois qu’il décline son identité. Malgré sa réussite, il n’échappe pas à la stigmatisation.
« À New York, mon accent français lorsque je parle anglais, mon attitude, ma façon d’être, l’usage de tous les codes culturels français que j’ai acquis depuis mon arrivée en France, ne laissaient pas de doute sur ma francité aux oreilles et aux yeux des New-Yorkais ».
Et même lorsqu’il se présente, son nom et prénom ne suscitent aucune réaction de ses interlocuteurs. Ce n’est pas le cas en France.
« À Paris, on m’aurait instantanément demandé mes origines », y compris dans les milieux intellectuels algériens, déplore-t-il.
« Les traces de la lecture raciste de la population algérienne, hiérarchisant Kabyles, Arabes, et Juifs, par les colons ou ex-colons européens, sont toujours présentes dans le sens commun français », explique El Mouhoub Mouhoud.
Apporter son aide au développement de l’Algérie
Pour lui, cela est « loin d’être exceptionnel ». « Il témoigne simplement que l’émigration et les réussites sociales individuelles des immigrés et de leurs descendants sont le produit d’une histoire sociale, familiale et culturelle. L’immigré transporte avec lui des générations d’histoires dont il hérite, formées dans d’autres contextes, d’autres pays, d’autres cultures », résume le président de l’Université Paris Sciences et Lettres (PSL).
El Mouhoub Mouhoud n’a jamais rompu le « lien avec le village natal » en Kabylie. Ces retours en Algérie permettaient à cet économiste de renom « d’observer discrètement l’évolution économique et sociale de la région ».
Il a toujours exprimé son souhait de revenir en Algérie pour aider à son développement.
*Le Prénom, esquisse pour une auto-histoire de l’immigration algérienne, d’El Mouhoub Mouhoud, éditions du Seuil, paru le 19 septembre 2025.