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Incarcérations des cadres : retour sur une affaire qui a terni l’image d’Ouyahia

Incarcérations des cadres : retour sur une affaire qui a terni l’image d’Ouyahia

Ahmed Ouyahia est-il le responsable de la plus grande opération d’incarcération de cadres du secteur public ? Depuis quelques jours, la polémique enfle sur le rôle de l’actuel Premier ministre dans cette affaire, après les accusations indirectes de Tayeb Louh.

Lundi 5 novembre, à Oran, le ministre de la Justice a déterré ce dossier pour attaquer violemment le Premier ministre. Le lendemain, le RND a défendu son chef. De quoi s’agit-il ?

Le 31 décembre 1995, Ahmed Ouyahia est nommé chef du gouvernement par le président Liamine Zeroual, poste qu’il garde jusqu’au départ de ce dernier en 1998. Aussitôt installé à la tête de l’Exécutif, Ouyahia qui occupait le poste de directeur de cabinet de la présidence de la République, l’opération de « moralisation de la vie publique » est lancée.

Une décision qui donne aussitôt à « l’inconnu » Ahmed Ouyahia, dont la nomination à la tête du gouvernement en 1995 a surpris beaucoup de monde, l’image d’un homme intraitable, à la main de fer et sans concessions, pour lutter contre la corruption.

Rapidement, la campagne « mains propres » va faire jeter en prison des centaines de cadres, dont la grande majorité sortira blanchie des accusations portées contre eux.

L’une des affaires les plus emblématiques de l’époque concerne le groupe Sider, qui coiffait le complexe sidérurgique d’El Hadjar.

Le 21 février 1996, soit moins de deux mois après la nomination d’Ouyahia à la tête du gouvernement, Messaoud Chettih, PDG de l’entreprise, et des cadres de Sider sont mis en prison à partir « d’allégations de détournements de deniers publics et autres dilapidations de biens publics ».

En octobre 1996, Chetih est condamné à dix ans de prison, avant d’être libéré et lavé de tous soupçons lors d’un deuxième procès tenu à Blida. Quelques années plus tard, Messouad Chettih sera réhabilité et nommé PDG d’Algérie Telecom, en 2002.

Les reproches ne se seraient pas faits aussi insistants à l’égard d’Ouyahia sur ce dossier s’il n’avait pas reconnu lui-même, implicitement et sans rien assumer bien sûr, que les cadres en question étaient effectivement innocents.

Ils étaient « victimes de la conjoncture politico-économique et sociale du pays de l’époque », aurait-il dit au début des années 2000. « Ouyahia a pris seul la décision pour cette opération et exigeait de ses services qu’ils lui fournissent un décomptage quotidien des arrestations. », confie un ancien cadre de la Présidence sous le couvert de l’anonymat. Pour Smaïn Kouadria, syndicaliste de Sider à l’époque des faits, « Ouyahia est responsable à 100%. Il a fait la sale besogne pour le compte d’un cabinet noir ».

La conjoncture du milieu des années 1990 était en effet compliquée avec un terrorisme à son paroxysme et une crise économique qui avait amené les autorités de l’époque à recourir à l’aide du FMI en contrepartie de l’application d’un programme d’ajustement structurel des plus rigides, prévoyant notamment la compression des effectifs des entreprises économiques publiques ou leur privatisation.

Pour les analystes, le mobile de cette chasse aux sorcières était vite trouvé : neutraliser les cadres susceptibles de s’opposer à la privatisation programmée du tissu industriel national, dans le cadre de l’accord signé avec le FMI.

Bien entendu, ce n’est pas le genre d’explication susceptible d’être admise officiellement. Pas plus que celle que donnent les cadres emprisonnés victimes des accointances entre les affaires et la politique. On a longtemps spéculé sur le rôle du super-puissant conseiller du président Zeroual, Mohamed Betchine, dans cette affaire, ou encore du chef du DRS, le général Toufik.

Au deuxième procès des cadres de Sider, en 1999, M. Betchine était venu pour témoigner et accessoirement démentir le rôle qu’on lui prêtait, en accusant un autre « clan », celui du « rond à béton ».

« Les cadres de Sider sont innocents (…) Ils ont payé leur résistance à la mafia du rond à béton ; tout cela je peux le prouver, mais je ne le ferai pas car le dossier est verrouillé par le secret d’État (…) Il y a un complot exécuté par des parties relayées par leurs journaux qui ont voulu faire croire que moi, Betchine, j’étais derrière l’incarcération des cadres de Sider. Je vous dis que les importateurs du rond à béton que j’ai évoqués ont fomenté le complot que l’Algérie subit », déclarait à la barre l’ancien chef de la sécurité militaire le 5 décembre 1999. « La décision d’incarcérer les cadres a été prise par le ministre de la Justice Mohamed Adami, membre du gouvernement Ouyahia, mais l’affaire avait d’autres dessous. C’est Betchine qui l’a menée », ajoute M. Kouadria.

Bien sûr, personne n’a prouvé quoi que ce soit et la justice n’a pas jugé utile de réclamer de Betchine et des autres les preuves de ce qu’ils avançaient. Secret d’État oblige.

Depuis lors, Ouyahia devra faire face aux attaques de ses adversaires politiques, sur le dossier des « cadres emprisonnés ». En 2016, Amar Saâdani, alors SG du FLN, déterrait l’affaire et demandait à ce que « tous les cadres condamnés et jetés en prison doivent être réhabilités et nous demandons au président de la République de les réintégrer dans leur poste de travail. Beaucoup d’entre eux sont au chômage depuis plusieurs années », avait-il suggéré.

Récemment, le 5 novembre, Tayeb Louh, ministre de la Justice, a tiré à boulets rouges contre son PM, à partir d’Oran et rappelé l’emprisonnement des cadres de l’État. « Cette époque de l’arbitraire est révolue grâce aux directives du président de la République. Il n’y aura pas de retour [à ces méthodes] hors du cadre légal », a-t-il déclaré. Pour le PM Ouyahia, l’affaire des cadres emprisonnés est l’arme que ses adversaires comptent bien utiliser contre lui.

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