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Initiative des journalistes algériens : tel un cheveu sur la soupe du pouvoir

Initiative des journalistes algériens : tel un cheveu sur la soupe du pouvoir

Le pouvoir algérien a à peine fini avec la fronde des juges, étouffée dans l’œuf par une douloureuse contrepartie salariale, qu’il doit faire avec la montée au créneau d’une autre corporation dont le rôle dans « la gestion » du hirak n’est pas moins primordial pour les autorités.

Les journalistes ont eux aussi bougé en lançant une pétition dénonçant les atteintes à la liberté de la presse et réclamant le droit d’exercer pleinement leur métier d’informer. La déclaration rendue publique le 11 novembre est sans doute le début de quelque chose pour la corporation, longtemps minée par les compromissions des uns, la résignation des autres et les clivages de tous.

C’est en effet la première fois qu’une initiative transcende tous les courants et tous les secteurs pour donner naissance à un projet commun, aux contours certes encore flous mais qui porte dans son essence au moins les questions cardinales de la liberté de la presse et la dignité du journaliste.

Si le mouvement a des similitudes avec celui des magistrats, qui ont réclamé eux aussi le droit d’exercer leur métier loin de toute pression ou tutelle, il en diffère foncièrement par le fait qu’il ne porte aucune revendication sociale ou matérielle et qu’il n’est pas chapeauté par un syndicat ou une organisation structurée.

Les juges, eux, sont entrés en grève à l’appel de leur syndicat national suite à des mutations qui ont touché près de 3000 d’entre eux, décidées unilatéralement par le ministère. L’issue qu’a connue leur débrayage les a accablés du soupçon d’avoir greffé l’indépendance de la justice sur leurs revendications initiales pour ne laisser d’autre choix au pouvoir que de céder.

Il y a donc très peu de chances sinon aucune de voir l’initiative des journalistes sabordée par la « générosité » du gouvernement, par le fait que les frondeurs ne réclament rien de tel et ne sont représentés par aucune structure à soudoyer éventuellement.

Vu d’un autre angle, le talon d’Achille de l’initiative est dans ce point fort, c’est-à-dire dans l’absence d’une structure organisée capable de fédérer autour d’actions concrètes. Une grève des journalistes est, à ce stade, inconcevable, encore moins de l’ampleur de celle des juges, suivie par 98% de la corporation.

Le mouvement est néanmoins très porteur sur le plan de l’image et de la symbolique et tombe tel un cheveu sur la soupe pour le pouvoir.

En à peine deux semaines, celui-ci voit son discours démenti par deux corporations, et pas des moindres : les magistrats ont avoué publiquement qu’ils n’obéissaient pas qu’à la loi et leur conscience quand ils exercent leur travail -un aveu implicitement partagé par le ministère qui a annoncé l’ouverture d’ateliers pour concrétiser l’indépendance de la justice-, et voilà que les hommes des médias en font de même.

Plus que les pressions qui seraient exercées sur la justice, la mainmise du pouvoir politique sur les médias est plus criante et se lit aisément à travers les contenus de beaucoup d’entre eux.

Depuis l’été, les médias publics, les chaînes de télé privées et l’écrasante majorité des journaux écrits ne couvrent plus les marches hebdomadaires, pas même celles qui drainent des centaines de milliers de manifestants, au cœur d’Alger.

Le monopole de l’État sur la publicité est toujours en vigueur un quart de siècle après son institution et les pressions se sont accentuées depuis le début du hirak avec au moins trois journalistes emprisonnés pour leur activité en lien avec le mouvement populaire.

La déclaration du 11 novembre est donc un cri de détresse d’une corporation trop étouffée, parfois humiliée. Un cri qui a des chances, certes minimes, d’être entendu, ne serait-ce que par le fait qu’il survienne à l’orée de la campagne électorale d’un scrutin crucial pour le régime. Pour peu que les démons de la division ne se réveillent pas…

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