Économie

Issad Rebrab nous dit tout sur la nouvelle technologie de Cevital

ENTRETIEN. À l’occasion du salon Maghreb Pharma Expo, qui s’est tenu du 17 au 19 septembre à la Safex d’Alger, Cevital a exposé sa nouvelle machine de production d’eau ultra-pure, qui a été conçue par EvCon, filiale du groupe privé. Issad Rebrab nous dit tout sur cette nouvelle technologie de Cevital.

Comment cette invention technologique a vu le jour ?

C’est très simple. Je vous dirais que c’est un hasard. J’ai un ami, un compatriote, qui travaillait dans un grand fonds d’investissement américain à Londres dans le trading. Et par hasard, lui aussi a rencontré un des associés d’une start-up qui s’appelait Nemesis Water Technology et il lui a proposé de rentrer dans leur société.

Il faut dire qu’avant, la recherche a été financée, dans cette société, par un Anglais qui avait cru en cette technologie mais qui est mort par la suite. Les membres de sa famille ont créé une family-office, c’est-à-dire une holding, pour gérer leurs activités. Ils étaient, et ils le sont toujours, dans la fabrication des bateaux de luxe et ont investi dans cette technologie. Après la mort du patron, M. Djaguen, d’autres associés ont rejoint la société dont l’inventeur. Ils m’ont demandé, il y a six ans de cela, de rentrer dans cette société. Ils m’ont demandé 40 millions d’euros pour acquérir 49% des actions. On a fait le due diligence et on a constaté un problème de management. Ils ont choisi des gérants qui ne sont pas bons et qui tiraient chacun de son côté et à la fin, ils ont renvoyé l’inventeur. On a décidé alors de collaborer avec ce dernier qui a fini par attaquer en justice ses employeurs.

Quelque temps après, la société a fait faillite et elle a été mise en liquidation. On a pris l’équipe d’inventeurs, au nombre de sept, et on a refinancé leur recherche et assuré leurs salaires. Le liquidateur a mis aux enchères la société et on a soumissionné pour la racheter. Les Chinois ont fait de même. On a offert 300 000 d’euros de plus qu’eux mais le liquidateur a préféré vendre la société, les premiers brevets au fait, aux Chinois. Mais l’inventeur a voulu récupérer une partie des brevets et a alors attaqué en justice les nouveaux acquéreurs.

L’équipe de chercheurs qu’on a pris en charge a commencé alors à produire un nouveau brevet avec des dimensions des membranes beaucoup plus grandes. Une idée que je leur avais proposée. Le but c’était d’augmenter le champ d’action dans l’activité. Ils m’ont écouté et ils ont passé de la première génération à la deuxième puis à la troisième génération. Moi, j’ai financé cette dernière. Pendant trois ans, ils ont fait leurs recherches et mis au point ces membranes. Mais l’inventeur a tout de même attaqué en justice les Chinois pour reprendre ses brevets. Et même si les Chinois avaient les brevets, ils n’avaient pas l’équipe, c’est-à-dire le savoir-faire. Ils nous ont alors demandé si on pouvait trouver un terrain d’entente. Je leur ai alors répondu que le seul terrain d’entente qu’on pouvait trouver était de leur racheter les brevets. En réalité ils n’ont pas payé grand-chose pour racheter l’entreprise, à peine 2,9 millions ou 3 millions d’euros. Ce n’est pas énorme pour une société dont 49% de parts valaient, au départ, 40 millions d’euros.

À la fin, les Chinois, n’ayant pas l’équipe d’inventeurs, ont voulu d’abord avoir un deal avant de se résigner à vendre. J’ai acheté les brevets non pas parce que j’en avais besoin, mais c’est pour qu’ils ne les vendent pas à d’autres sociétés.

Et après ?

De notre côté, on s’était employés à développer d’autres secteurs comme le secteur pharmaceutique et le secteur semi-conducteur que les Chinois ne connaissaient pas. Ils maîtrisent seulement le traitement membranaire pour traiter les eaux de l’industrie chimique pour les petites stations de dessalement de l’eau de mer et les déshumidificateurs. En nous vendant les brevets, les Chinois nous ont posé la condition de créer une joint-venture (JV) avec une exclusivité sur la Chine, tout en travaillant  ensemble sur l’Asie. J’ai donné mon accord en posant, à mon tour, une condition : les Chinois auront l’exclusivité mais seulement sur les membranes de la deuxième génération et uniquement pour le traitement des eaux usées de l’industrie chimique et le dessalement de l’eau de mer jusqu’à 250 000 m3 par jour.

On a alors signé un accord et on a créé une JV à Hong Kong et on va fabriquer ensemble les stations pour la Chine pour le traitement des eaux usées car ils ont de grands problèmes. Mais sur les membranes de la troisième génération, pas d’exclusivité pour les Chinois, car le marché est immense.

Comment se fait-il que de grands groupes n’étaient pas intéressés par cette société ?

Comment ça se fait que de grands groupes comme Bosch ou Siemens n’ont pas acheté la société ? Simplement parce que les grands groupes ont une lourde bureaucratie. Les employés d’en bas ont parlé à leurs dirigeants de l’intérêt d’acheter une telle société. On a rencontré, par la suite,  des gens de Bosch et de Siemens. On m’a dit que le patron de ce dernier groupe a demandé pourquoi ils n’ont pas acheté, les employés lui ont répondu qu’on a demandé à le faire mais personne n’a répondu dans les délais et elle était vendue. Puis, il a demandé s’ils peuvent participer et ils leurs ont répondu que Cevital a pris les choses en main et que c’est trop tard. C’est la même chose pour Bosch.

Concrètement, comment allez-vous travailler avec vos partenaires chinois ?

L’idée c’est de vendre des membranes à notre JV qui va construire des stations et qu’on va placer chez des clients pour traiter leurs eaux. C’est celui-là le business modèle. On ne voulait pas vendre les machines aux Chinois car si la technologie est brevetée et si vous vendez une machine avec les modules de membranes, exposées ici à la Safex (Alger), les gens peuvent démonter les modules et voir comment ils sont fabriqués, même si ce n’est pas facile. Par contre, si nous faisons l’installation nous-mêmes, nous mettons des mouchards dans toutes les machines et on peut les surveiller par internet à 10.000 km de leur emplacement. Et dans les contrats, c’est mentionné que c’est interdit d’ouvrir. C’est pour protéger notre technologie.

Et pour fabriquer les nouvelles membranes, on a fait  une évolution énorme par rapport à Nemesis. Nous avons réuni plusieurs sociétés allemandes, autrichiennes, sud-coréennes et suisses avec nos ingénieurs qui ont fait le design des machines qui fabriqueront ces membranes. Car il faut aussi construire les machines qui vont produire les membranes. Et ce sont des machines spéciales et fabriquées en exclusivité et uniquement pour notre société EvCon.

Pour les équipements de nos centres de production, ils sont achetés auprès de plusieurs fournisseurs. Il y a eu plusieurs réunions, et plusieurs tests sur la base des plans préparés par nos ingénieurs. Donc, c’est plusieurs savoirs qui ont été réunis pour pouvoir faire les machines nécessaires à la fabrication  des membranes. Ce n’est pas quelque chose de si simple. Les Chinois ont demandé à visiter notre centre de production de membranes mais j’ai refusé. Ils ont voulu aussi déplacer en Chine l’unité de fabrication des membranes de deuxième génération et là aussi j’ai dit non.

Qu’en est-il du coût de cette invention technologique ?

Ce n’est pas énorme car on n’a fait qu’assurer les salaires des chercheurs pendant trois ans. Ce n’est pas une somme importante. Et aujourd’hui, la technologie vaut des milliards.

Qu’allez-vous faire de cette invention technologique ?

Notre business modèle c’est de fabriquer toutes les membranes en Algérie, notamment celles de 3e génération. Celles de 2e génération, on va continuer à les fabriquer pour la Chine et pour l’Inde car ils ont déjà des stations de traitement et ils ont besoin de ces membranes. Mais après, on va les abandonner car les membranes de 3e génération fabriquent trois fois plus d’eau que celles de 2génération.

À la fin de cette année, on va recevoir deux centres de production qui ont deux lignes chacun pour commencer la fabrication les membranes de 3e génération à Larbaâ (près d’Alger), dès janvier 2019. Et chaque année, on va installer 12 centres de production. Puis 25, 100, 300 et enfin 500. Car on va produire des membranes pour le monde entier et pour sept secteurs d’activités.

Toutes les membranes seront fabriquées exclusivement en Algérie. Et 99% de la production est destinée à l’exportation. On va avoir des JV dans le monde entier : en Chine, au Japon, aux USA, en France, en Allemagne, en Italie, etc.

Où allez-vous fabriquer les stations ?

On va le faire aussi en Algérie mais on ne peut pas avoir un seul centre de production pour fabriquer des stations. Ça demande de la main d’œuvre pour le faire. Mais en fabriquant en série, il faut quand même plusieurs semaines pour fabriquer une station. C’est une machine. En revanche, pour les blocs de membranes, on peut produire de très grands volumes car ça se fait en automatique. Il suffit d’installer des centres de production pour fabriquer des membranes. Mais les machines, il y a beaucoup de manuel, ce n’est pas quelque chose qu’on peut automatiser. Vous pouvez avoir des chaînes de production mais tout est manuel. C’est pour cette raison qu’on va les fabriquer un peu partout.

Pour avoir une idée, une station de dessalement de l’eau de mer traitent 500 000 m3 par jour. La station réalisée à Oran, à Marsa El Hadjadj a coûté à l’Algérie 750 millions de dollars. Pour produire les membranes pour une telle station, il faut 12 centres de fabrication de membranes pendant un an. Donc, les grandes stations, on va les vendre, mais c’est nous qui allons les opérer pour que les gens ne puissent pas les ouvrir. Ce sera mentionné dans les contrats. Mais les autres stations, on va les réaliser avec nos JV et on va les placer chez nos clients.

Que ce soit pour l’industrie pharmaceutique, l’industrie de semi-conducteurs, l’industrie agroalimentaire et beaucoup de fabricants de boissons veulent qu’on leur fournisse de l’eau ultra-pure.

Nous avons aussi l’intention de produire de l’eau minérale à partir de l’eau pure mais que nous allons reminéraliser en fonction de la santé humaine : pour les femmes enceintes, les bébés, pour les malades qui ont des problèmes rénaux, pour les sportifs, etc. C’est-à-dire produire de l’eau minérale qui n’a jamais existé jusqu’à maintenant.

De belles perspectives en somme pour votre invention technologique…

Les perspectives sont immenses. On est sollicités par Siemens pour aller en Arabie saoudite pour y installer plusieurs stations de 500 000 m3/jour. C’est plusieurs milliards de dollars. Les Chinois avec qui on a signé la JV nous ont sollicités eux aussi pour fabriquer ensemble des stations pour l’industrie pharmaceutique chinoise. Car ils importent leurs stations d’Allemagne et en plus avec l’ancienne technologie. Ils veulent qu’on leur produise aussi de l’eau ultra-pure pour l’industrie agroalimentaire chinoise. Et des stations plus grandes pour le dessalement de l’eau de mer. J’ai dit qu’on pourra le faire mais pas en exclusivité.

Combien de centres de production allez-vous installer en Algérie ?

C’est au fur et à mesure de la demande mondiale.

Et ça va vous coûter combien ?

Un seul centre de production avec deux lignes de production de membranes, c’est un peu moins de 18 millions d’euros. Mais il va rapporter 30 millions d’euros par an. Il est amorti en moins d’un an. Et la valeur ajoutée est très élevée.

Avez-vous des autorisations pour installer ces centres ?

Je n’en ai pas besoin. Pour lancer une usine, on n’a pas besoin d’autorisation. Il est vrai que si vous voulez être exonéré de droits de douanes et de TVA ou bénéficier d’avantages fiscaux, vous êtes tenus de faire une demande à l’Andi si l’investissement est de moins de 5 milliards de dinars et au CNI si ça dépasse cette somme. Mais si vous ne demandez aucun avantage fiscal, vous pouvez importer librement, en payant bien évidemment les droits et taxes. Mais aucune demande d’autorisation à faire. Vous pouvez aussi faire une demande pour un permis de construire mais si vous avez besoin de locaux, c’est notre cas, on n’a pas besoin de demander quoi que ce soit.

Qu’en est-il du nombre d’emplois qui seront créés ?

Là où la création d’emplois est beaucoup plus importante c’est au niveau de la fabrication des stations. Dans la fabrication de membranes, ça ne demande pas beaucoup d’emplois. Un centre de fabrication, c’est moins de 10 emplois. Tout est robotisé. Si vous le faites manuellement, vous ne pouvez pas produire. Car les êtres humains peuvent se tromper, les robots non.

Et pour l’usine de production de poches médicamenteuses, qu’en est-il au juste ?

C’est justement grâce à cette technologie que nous avons eu l’idée de nous lancer dans l’industrie pharmaceutique. Car l’eau ultra-pure d’injection est la première matière première pour l’industrie pharmaceutique. Sans cette eau, il n’y aura pas de médicament. C’est ce que tous les laboratoires pharmaceutiques nous ont dit. Et avec cette technologie, nous produisons une eau pure d’injection dix fois de meilleure qualité que ce qu’a produit jusqu’à maintenant l’industrie pharmaceutique.

Cette dernière utilise jusqu’à maintenant quatre machines successives pour produire cette eau. Nous, on utilise une seule. Tout se passe à l’intérieur des membranes. Et parce que nous produisons la première matière première de l’industrie pharmaceutique, nous avons décidé de lancer la fabrication des solutés massifs, c’est-à-dire des sérums glucosés et salés, mais aussi de produire beaucoup de médicaments injectables, que ce soit dans les antibiotiques ou dans d’autres secteurs d’activités dont l’Algérie est grande importatrice.

L’usine sera installée à Dar El Beïda où nous possédons des locaux. Là, on a demandé l’autorisation au ministère de la Santé. Ils ont jugé que c’est un bon projet, on a créé alors Pharmatech Industrie qui va produire pour le complément des besoins du marché national. Mais plus de 50% de sa production est destiné à l’exportation. On produira 100 millions de poches médicamenteuses.

Quant à l’entrée en production de l’usine, j’ai donné à mes collaborateurs un délai de 12 mois, disons d’ici la fin de l’année prochaine. Pour les emplois, on va créer au moins une centaine ou plus.

Sinon, du nouveau sur votre projet de l’usine de trituration des graines oléagineuses à Béjaia qui est bloqué ?

Nous attendons toujours, nous sommes au 541jour. Là-bas par contre, avec ce projet, nous allons créer 1000 emplois directs et 100 000 emplois indirects dans le secteur de l’agriculture. Car nous allons accompagner tous les agriculteurs qui sèment jusqu’à maintenant les céréales et qui laissent leurs terres en jachère une année sur deux. Et l’Algérie laisse aujourd’hui en jachère 3,5 millions d’hectares.


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