Politique

« Je crains que si ça continue ainsi, on ne trouvera personne de sensé avec qui dialoguer »

Me Nourredine Benissad est le président de la Ligue algériennes pour la défense des droits de l’Homme. Dans cet entretien, il revient sur le retour du Hirak, la libération des détenus d’opinion, le dialogue, les atteintes aux libertés et aux droits de l’Homme…

Le Hirak a acté son retour ce vendredi, avec des manifestations à Alger et dans d’autres villes du pays. Quels sont les facteurs derrière ce retour ?

Le retour du Hirak s’explique par le fait qu’il n’avait pas disparu mais s’est suspendu en raison de la pandémie de covid-19 mais surtout parce que ses revendications notamment le passage d’un système autoritaire à un système démocratique et à un État de droit n’ont pas abouti.

Que signifie le retour du Hirak, après près d’une année de suspension à cause de la pandémie de Covid-19 ?

Il faut dire que la crise sanitaire a aggravé les inégalités qui existaient déjà dans l’accès aux soins mais a porté atteinte également à d’autres droits fondamentaux affectant de manière disproportionnée les plus fragiles dans notre pays.

S’appuyer sur la crise sanitaire pour restreindre encore davantage les libertés fondamentales et mettre à mal toute ouverture démocratique est une idée de mauvais génie.

La répression, l’aggravation de la situation économique et sociale, la reconduction des mêmes pratiques à tous les niveaux et l’immobilisme pendant la ‘trêve’ observée par le Hirak en raison de la pandémie de covid-19 ont grandement nourri son retour.

Quelle est la solution ?

La solution ? Le Hirak n’a pas demandé l’impossible, des choses irréalistes. Jeter les jalons d’un État de droit, développer notre pays et veiller à la redistribution équitable du revenu national est quelque chose de réalisable mais vitale pour notre pays.

Persister dans l’autoritarisme et la politique du fait accompli ne mèneront que vers l’impasse. Le dialogue est la seule voie démocratique qui permet d’apporter des solutions politiques par des consensus.

Le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU a demandé ce vendredi à l’Algérie de libérer « immédiatement » les détenus du Hirak. La question des détenus d’opinion n’est-elle pas en train de déborder des frontières de l’Algérie ?

Le Haut-commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU est la principale entité en matière des droits de l’Homme mandatée par l’assemblée générale de l’ONU pour promouvoir, contrôler, renseigner et veiller au respect des droits de l’Homme dans le monde.

L’Algérie en intégrant les Nations-Unies accepte qu’elle soit contrôlée et même critiquée.

Le complexe qu’il faut avoir ce n’est pas d’être pointé du doigt, mais d’avoir transgressé des droits fondamentaux consacrés par les conventions internationales relatives aux droits de l’Homme ratifiées par l’Algérie.

C’est donc un mécanisme de contrôle auquel on est soumis et il appartient aux autorités de veiller au respect des droits de l’Homme.

La haute commissaire aux droits de l’Homme a utilisé d’ailleurs un langage diplomatique, c’est l’usage consacré dans ces espaces.

Le président Tebboune a annoncé jeudi 18 février avoir accordé une grâce à des détenus du Hirak. Combien de détenus libérés depuis cette annonce ?

Nous n’avons pas de chiffre précis. Il y a une quarantaine de détenus libérés. À chaque fois qu’un détenu du Hirak ou d’opinion est libéré, nous ne pouvons que saluer la mesure. Il faut aller plus loin en libérant d’autres détenus d’opinion, de cesser de les emprisonner à chaque manifestation et de les réhabiliter car certains d’entre eux se sont vus perdre leurs emplois de façon injustifiée.

Les libertés de manifester et de s’exprimer doivent être respectées et protégées mais c’est de l’encre sur la Constitution.

Quelle est la situation des libertés et des droits de l’Homme en Algérie ?

La situation des droits de l’Homme dans tous les pays, et le nôtre n’y échappe pas, dépend de son état de démocratisation. Plus un État est démocratique, plus le respect des droits de l’Homme se rapproche de la réalité.

À quoi bon avoir une constitution aussi belle soit-elle et ratifier la plupart des conventions internationales relatives aux droits de l’Homme si dans la réalité leurs principes ne sont pas respectés et sont bafoués au quotidien.

Je continue à soutenir que la source des malheurs des peuples est la méconnaissance, l’ignorance ou le mépris des droits de l’Homme.

La feuille de route du pouvoir est-elle tenable ?

Ne dit-on pas que les mêmes causes reproduisent les mêmes effets. Le pouvoir doit tirer les leçons des causes qui ont amené la naissance du Hirak.

On ne peut pas se permettre de dialoguer avec soit même, de tourner le dos aux attentes populaires, de faire semblant que le changement n’est pas une demande sociale, de fermer tous les espaces d’expression démocratiques, de reproduire les mêmes pratiques de cooptation pour les postes de responsabilité et de privilégier le tout répressif. Je crains que si ça continue ainsi, on ne trouvera plus personne de sensé avec qui dialoguer.

Les plus lus