
Comme dans les contes algériens de jadis, l’histoire est triste et émouvante, mais la fin est sublime. Le parcours du Dr Khelifa Ait Saïd, un des meilleurs chirurgiens robotiques de France, est à méditer.
Et si c’était encore possible, à raconter au bord du feu les soirs d’hiver pour dire aux enfants combien la vie, aussi cruelle soit-elle parfois, sait aussi sourire aux orphelins.
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Tout a commencé dans un village de la vallée de la Soummam au nom porte-bonheur : Allaghen, littéralement « les cerveaux » en kabyle. Khelifa, avant-dernier d’une fratrie de sept enfants, avait cinq ans quand un accident a emporté son père. C’était en 1990.
« J’ai perdu mon père dans une ambulance », se souvient le médecin qu’il est devenu. Et pour que « plus personne ne meurt dans une ambulance », le chirurgien quadragénaire tente aujourd’hui d’apporter une contribution et des idées pour un meilleur système de santé en Algérie, notamment dans le domaine de la greffe, sa spécialité.
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Si les détails de son enfance sont étalés ici, c’est sur son insistance, comme pour donner la force d’espérer à tous ceux qui traversent des moments difficiles.
La mère, Ferroudja, déjà éprouvée dans son enfance par la mort de son père au maquis pendant la guerre de Libération nationale, a dû affronter seule la charge d’élever sept enfants en bas âge.
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Ce n’est pas facile, mais elle s’est plutôt pas mal débrouillée, à en juger par la réussite de toute la fratrie. « Karima, Lamine, Mériem, Arezki et Khelifa sont universitaires. Djaffar et Nordine sont chefs d’entreprise », compte fièrement le plus brillant d’entre eux.
Avant d’en arriver là, les enfants et leur mère ont connu des moments difficiles. Pour subsister, ils ont compté sur de petites activités de campagne : quelques moutons, des poules et un lopin de terre qui fournit toutes sortes de légumes que les enfants se chargent de vendre au marché d’Akbou.
Une enfance difficile dans la vallée de la Soummam
Une vie qui, tout compte fait, ressemble à un manuel, genre « comment réussir dans la vie quand on est pauvre, orphelin en plus ».
Même s’ils doivent, en fin de journée, les week-ends et pendant les vacances, s’occuper du lopin de terre, des poules et des moutons et faire les marchés, les enfants sont brillants à l’école, particulièrement le petit Khelifa. « Toujours premier », précise-t-il.
Les cadeaux pour les premiers de la classe, c’est dans les familles qui ne sont pas dépourvues de tout. Khelifa se souvient que le seul « cadeau » auquel il avait droit lui et ses frères était une histoire que la mère racontait le soir, entourée de ses enfants, en précisant qu’elle est en l’honneur du prodige du jour. « Ce sont les plus beaux présents que j’aie jamais reçus », assure-t-il.
Il arrive toutefois que la mère parcimonieuse, quand la trésorerie le permet, fasse une petite folie. Une paire de chaussures neuves par exemple.
Une fois, se souvient encore le médecin, le frère Arezki, chargé d’acheter le fameux cadeau au marché de Tazmalt, est revenu avec deux chaussures gauches. Pas question évidemment de se ruiner pour une autre paire. À chaque fois que l’aîné part échanger la marchandise, il rentre bredouille.
« L’attente a duré tout l’été que j’ai dû passer avec des bottes en caoutchouc », raconte-t-il dans un éclat de rire. Il n’oublie pas aussi le jour où il s’est fait voler au marché d’Akbou un pantalon neuf offert, pour la rentrée scolaire, par un parent bienfaiteur, l’oncle Djaffar. « J’étais devenu la risée de la famille. Aujourd’hui encore, on me le rappelle pour me taquiner », dit-il.
La vie s’est ainsi écoulée avec ses hauts et ses bas. À 18 ans, Khelifa Aït Saïd est bachelier. Il s’inscrit pour des études de pharmacie à l’université de Tizi-Ouzou, mais il ne tarde pas à changer de cap. En 2005, direction la France, où deux frères l’avaient précédé. Pour tout viatique, il prend 460 euros, « empruntés à une voisine ».
À Paris, il est hébergé un temps chez sa tante paternelle avant de voler de ses propres ailes en faisant son premier job étudiant comme réceptionniste d’hôtel.
« L’Algérie est une pyramide qui a besoin de la pierre de chacun »
Après toutes les épreuves passées, ce n’est pas le moment de lâcher. En France, il empile les diplômes. Après le concours de médecine réussi avec brio, il obtient un master de pharmacologie à Paris 6 et une dizaine de formations et diplômes en médecine générale, urologie, oncologie urologique, chirurgie, transplantation d’organes, chirurgie robotique, à Paris, Caen, Créteil, Strasbourg, Rennes, Nantes et Manchester.
En 2016, il tente l’aventure en Angleterre, accompagné de sa femme Louiza, qui, reconnaît-il, l’a beaucoup épaulé.
Il part pour un stage au laboratoire de transplantation de la Manchester Royal Infirmary et y reste comme chercheur clinicien principal.
Mais pas pour longtemps. En 2017, il rentre en France où il devient successivement chef de la clinique des hôpitaux et praticien hospitalier au CHU de Caen, puis praticien au sein de l’hôpital privé du pays d’Auge, en Normandie, où il est aussi responsable du programme de chirurgie robotique.

Khelifa, avant-dernier d’une fratrie de sept enfants, avait cinq ans quand un accident a emporté son père. C’était en 1990.
Il est aujourd’hui l’un des meilleurs spécialistes de France de chirurgie robotique. En fait, il a de nouveau trois spécialités : chirurgie urologique, transplantation d’organes et chirurgie robotique. Un clin d’œil aux « trois métiers » de son enfance.
Comme quoi, un siècle après Fouroulou, les Algériens savent encore étudier et réussir dans la difficulté.
Khelifa Ait Saïd n’oublie pas d’où il vient. Son souci, maintenant que la vie lui a souri enfin, est d’apporter quelque chose à son pays. Avec philosophie, il voit l’Algérie comme « une pyramide » qui a besoin de « la pierre de chacun ».
Sa pierre à lui, c’est ce savoir nouveau, la chirurgie robotique, qu’il contribue à introduire par la formation des médecins locaux.
Plus globalement, il veut faire bouger les choses concernant la transplantation d’organes en Algérie et généraliser le prélèvement cadavérique pour « soulager les milliers de patients qui souffrent ».
Ses idées dans ce sens, il les a mises dans un rapport adressé aux plus hautes autorités du pays. En attendant, il vient régulièrement au CHU de Bab el Oued pour aider ses collègues algériens à maîtriser la chirurgie mini-invasive. Il y a quelques mois, il a réalisé la première greffe rénale à partir d’un donneur vivant avec prélèvement du rein par cœlioscopie.
Même dans cet intérêt pour l’Algérie, sa mère y est encore pour quelque chose. En visitant son cabinet en Normandie, elle en est sortie déçue de « n’avoir pas vu beaucoup d’Algériens dans la salle d’attente ». Une façon de lui signifier que le temps est venu de rendre au pays un peu de ce qu’il lui a donné…