Consommation

La face cachée du marché de la location à Alger

À Alger,  trouver un logement à louer à un prix convenable est loin d’être une sinécure. Un coup d’œil sur Ouedkniss.com, le site d’annonces le plus connu en Algérie, nous renseigne sur la flambée des prix de la location.

Un trois-pièces de 75 m² à Dely Brahim, sur les hauteurs, affiche 65.000 DA le mois, soit plus de trois fois le salaire minimum garanti (SNMG). À Debussy, au centre d’Alger, le même produit est proposé à 80.000 DA. Du côté de Bab Ezzouar, dans la banlieue Est, c’est dans les alentours de 50.000 DA… « Il faut être cadre à Sonatrach ou diplomate pour pouvoir louer à de tels prix », s’insurge Kamel, récemment recruté par une boite spécialisée dans l’installation de matériel de télécommunications.

Les dizaines de milliers de logements réceptionnés dans les différentes formules devaient en principe tirer les prix vers le bas. Mais la réalité est autre. Un agent immobilier exerçant à Hydra assure que le marché de l’immobilier dans ce quartier huppé est resté le même depuis des années. « La demande à Hydra est toujours supérieure à l’offre », explique-t-il.

Côté Alger-Centre, c’est aussi le feu. Un deux-pièces aux alentours de la Grande-Poste est proposé à 45.000 Da le mois. Un quatre-pièces affiche 100.000 DA négociable du côté de Sacré-Cœur et 90.000 DA à Didouche… La même fourchette de prix s’applique dans nombre de quartiers d’Alger réputés « chics », si le mot garde encore un sens en Algérie. C’est ainsi le cas à Dely Brahim, El Biar, Bir Mourad Raïs, sur les hauteurs d’Alger…

Mais qu’en est-il des quartiers les moins lotis ? Bouras Mohammed, gérant de l’agence immobilière Novo, assure que même pour les autres quartiers d’Alger, les prix demeurent très élevés. Un trois-pièces à Hussein-Dey affiche 45.000 Da le mois, un deux-pièces à Ain Naâdja 35.000 Da. AÀ Ain Benian, sur la côte ouest, un trois-pièces c’est 35.000 Da… 

Le handicap de l’avance

Les studios ne sont pas en reste. Ils oscillent entre 20.000 et 60.000 Da, voire 70.000 Da, comme c’est le cas pour ce petit logis proposé à la location à El Biar.

C’est à raison qu’Alger a été classée parmi les villes où l’immobilier est le plus cher au monde. Une cherté qui se conjugue avec un dinar dévalué à outrance. Et le résultat est là : des locations qui coûtent jusqu’à sept fois le SNMG !

Et si l’on décide de mettre la main à la poche pour prendre un appartement ou un studio, on se heurte à un autre problème, et pas des moindres : l’avance d’une année exigée par les propriétaires. Ainsi, pour une location de 40.000 Da par mois, il faudra verser cash 480.000 Da quand on ne passe pas par une agence immobilière qui prend une commission, généralement équivalente à un mois de location, appelée « le treizième mois » dans le jargon des agents immobiliers. En plus des honoraires du notaire. « Pour louer, il faut vraiment avoir de l’argent à gogo ! », se désole Arezki, un cadre dans une banque publique.

En vérité, l’avance d’une année, qui peut constituer un vrai handicap, n’est dictée par aucune loi. « Rien ne m’oblige à louer à quiconque », lâche un agent immobilier qui avoue que beaucoup de personnes qui désirent louer se heurtent à cette exigence parfois insurmontable. En fait, tous les agents que nous avons approchés ont mis l’accent sur la difficulté qu’ont les locataires à s’acquitter d’une telle obligation. « Dans presque 100% des cas, les propriétaires exigent une année d’avance », nous déclare l’un d’eux. Et d’ajouter : « C’est à partir de la deuxième année qu’un propriétaire commence généralement à faire des concessions en acceptant des avances d’uniquement six, quatre, voire de deux mois ».

La sous-déclaration est la principale raison pour laquelle on exige une avance. Explication : le coût réel d’une location n’est jamais déclaré dans le contrat et ce, pour gagner sur les 7% de la taxe sur l’ensemble de la transaction. « Avec ma femme, on loue à 35.000 Da, raconte Ferhat, journaliste. Or dans le contrat, on n’a mentionné que 15.000 Da. Si je payais par mois, je pourrais, étant protégé par la loi, ne payer que la somme mentionnée dans le contrat. C’est pour cela que les propriétaires exigent de tout encaisser dès le départ ».

Les étrangers, la préférence

Pour différentes raisons, propriétaires et agents immobiliers ont dressé une liste de « préférences ». Les étrangers viennent en tête et certains annonceurs (particuliers et agences immobilières) ne s’en cachent même pas.

« L’agence (…) Hydra met en location un très jolie apparemment haut standing moderne avec tous les commodités (…). Idéal pour étrangers », peut-on lire sur une annonce bourrée de coquilles. Le prix ? « Uniquement » 135.000 Da… négociable. Une autre annonce : « Location d’un appartement F3 haut standing de 120 m² dans un cartier résidentiel (…) Idéal pour diplomates ou cadres étrangers ». Une dernière pour la route : « Loue côté Sacré-Cœur un F4 propre (…).  Idéal – oui, encore ! – pour étrangers ».

De telles annonces foisonnent sur la toile. Comme si ce qui va pour les étrangers, les nationaux n’en sont pas dignes. Et par étrangers, on entend Européens, Américains… « Pour les Syriens, les Maliens et bien d’autres, on évite tout simplement de louer », reconnait le gérant d’une agence immobilière, qui préfère que son nom ne soit pas cité.

Mais pourquoi les Européens, les Américains… ? « C’est simple, répond M. Bouras. Les étrangers ne se permettent pas certains comportements qu’ont les Algériens. Et puis, ce sont généralement des chefs d’entreprise. Labas bihoum (ils sont à l’aise financièrement). Ils paient bien et à temps ».

Et quoi de plus normal ? Les étrangers, du moins ceux des nationalités citées, sont beaucoup mieux payés que les Algériens. Un millier d’euros, qui représente moins du salaire minium en France, c’est l’équivalent d’une dizaine de fois le salaire minimum en Algérie. 

Le diktat des marchands de sommeil

Face à la cherté des appartements, les travailleurs se tournent vers les dortoirs où la vie n’est pas toujours facile. Et il faut aussi y trouver une place, puisqu’ils affichent presque tous complet à longueur d’année. C’est le cas de ce dortoir du quartier du Cadix, dans la vieille ville, qui n’a même pas jugé utile de mettre une enseigne. « On a même une liste d’attente », nous lance le réceptionniste, un homme d’un certain âge.  Et d’ajouter : « Les gens viennent ici, car c’est pas du tout cher. 5.000 DA le mois pour une chambre à deux ou à trois et 9.000 DA pour une chambre individuelle ». Y a-t-il des douches ? « Non », rétorque l’homme qu’une chaise ergonomique berce d’aise.

Un peu plus loin, à deux pâtés de maisons, une enseigne « dortoir », sans autre appellation, saute aux yeux. Une petite discussion s’engage avec un homme âgé. Grincheux comme pas possible, il est, à ne pas douter, le maître des lieux. « C’est combien la chambre ? », avons-nous osé après une petite hésitation. « J’ai des chambre à deux. Je loue pour 10.000 Da le mois ».  « La place ou la chambre ? ». « La place, bien sûr ! », rétorque le vieil homme sèchement.

L’endroit est, on ne peut mieux, repoussant. Le maître des lieux aussi : impossible de lui arracher un sourire. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé. « Mais il y a aussi des lois à respecter », poursuit-il. « Lesquelles ? ». Et à l’homme d’énumérer : « Il faut sortir chaque matin et ne rentrer que le soir, pas de bruit, pas de musique, pas d’alcool, pas un morceau de tissu qui sera lavé ici… ». En somme ? Un dortoir dans tous les sens du terme ! 

La colocation… c’est plutôt pour les femmes

Faut-il pour autant perdre espoir ? « Je préfère verser deux tiers de mon salaire dans la location que de renter au village pour jouer avec des os de morts », déclare Razik, employé d’une entreprise privée. Par « os de morts » Razik entend les dominos. Pour pouvoir rester à Alger, il loue dans un dortoir. Il a un lit, une table et un lavabo qu’il partage avec un « inconnu ». « Je cherche une colocation, mais je ne trouve pas », lance-t-il, désabusé.

La colocation, en voilà bien une alternative. Un tour du côté de Ouedkniss. L’on tape les mots adéquats : colocation, Alger.  L’agréable surprise : des dizaines d’annonces ! Les prix ? Plus au moins abordables : 10.000 Da, 13.000 Da, 15.000 Da… Léger problème : toutes les offres s’adressent aux femmes. Probablement solidarité féminine. Les femmes partagent. C’est certain. Et c’est aussi certain que des femmes louent à des prix forts et invitent d’autres femmes pour partager les prix exorbitants de la location. On vérifie. On appelle. « Allo, Oui… ». La voix est celle d’un homme…

C’est en fait très simple : au lieu de louer un F3 à une famille pour 40.000 da, par exemple, on le loue à six filles pour 13.000 ou 15.000 Da et pas la peine de compter, ça fait de la différence !

Une annonce attire notre attention : un homme cherche une colocation. On appelle. « Alors ? ». « Rien, depuis… », dit-il. Il a dû oublier depuis quand cherche-t-il. Et d’ajouter : « Pour un célibataire, ce n’est pas du tout facile ! ». 

Pourquoi c’est cher …

« Crise de logement », nous dit-on. L’éternel refrain ! La rareté est synonyme de cherté, nous dit-on. Encore. Le tout semble être fait pour garder les prix à des niveaux impossibles.  Pourtant l’on parle de deux millions de logement inoccupés. Certains parlent même de quatre millions. C’est tout simplement terrible pour un pays comme l’Algérie qui ne compte qu’une quarantaine de millions d’habitants. En fait, l’absence d’une réglementation stricte encourage le phénomène.

Les pays qui ont entrepris de régler le problème du logement ont commencé par la chose la plus simple qui soit : taxer lourdement un deuxième logement, puis encore plus lourdement un troisième et ainsi de suite. La relance économique du Japon, après la Seconde guerre mondiale, a eu comme pierre angulaire une simple phrase : un toit pour chaque japonais. L’État a fait qu’un deuxième logement coûte les yeux de la tête, ce qui a permis aux Japonais d’être tous logés, tous dans le confort, tous productifs…

Pour prétendre à une telle politique, il y a un préalable : un fichier national du logement. En Algérie, un tel fichier existe certes, mais ne répertorie que les logements acquis grâce à une aide de l’État. Qu’est-ce qui peut empêcher un Algérien de garder fermé un deuxième bien ? Rien, en fait. Absolument rien.

En 2015, Abdelmadjid Tebboune, alors ministre de l’Habitat, avait révélé un chiffre effarant : plus de 125.000 logements sociaux publics étaient vacants ou occupés par des personnes autres que les bénéficiaires initiaux. Ça renseigne, un tant soit peu, sur l’anarchie qui prédomine dans la distribution des logements.

Tous ces appartements n’apportent rien à l’Algérie ni en matière de fiscalité ni dans la lutte contre la crise de logement.

L’État qui s’efforce à construire un maximum de logements s’apparente à une autruche qui a la tête dans le sable. Il construit, construit, construit… et donne à ceux qui en ont déjà.  « Aujourd’hui, avoir un appartement en plus à louer, c’est beaucoup mieux que d’avoir un doctorat en médecine ! », se révolte Arezki, le banquier.

Airbnb arrive pour… compliquer les choses

Plateforme communautaire payante, Airbnb permet à des particuliers de louer tout ou une partie de leur propre habitation. Le site offre un moteur de recherche et une application de réservation entre la personne qui offre son logement et le vacancier qui souhaite le louer. Il couvre plus de 1,5 million d’annonces dans plus de 34.000 villes et 191 pays.

Et, pour le bonheur de ceux qui se rendent en Algérie, la plateforme y propose également des logements notamment dans les grandes villes. Sauf que, encore une fois, l’État ne gagne rien. Sous d’autres cieux où la rationalité prime, c’est bel et bien soumis à la taxe. Les procédés diffèrent, mais le but est le même : mettre de l’argent dans les caisses de l’État.

En France, en guise d’exemple, les particuliers qui louent leurs biens doivent déclarer au fisc les revenus tirés de la location dès le premier euro gagné. Autre exemple : un Romain qui loue son bien doit lui-même procéder à la collecte d’une taxe de séjour auprès de son client. Le montant de cette taxe s’élève à 3,50 € par personne et pour jour.

Qu’en est-il de l’Algérie ? Aucun sou n’est soustrait ni au propriétaire du bien ni au client. Pourtant ce n’est pas l’offre qui manque. Un petit coup d’œil sur la plateforme Airbnb nous renseigne sur l’importance de ce marché qu’on peut bien qualifier de parallèle. Rien que pour Alger, il y a 3.100 évaluations de voyageurs, avec une moyenne de 4.6 étoiles sur 5.

Airbnb, à vrai dire, ne fait que priver les hôtels, qui contribuent à l’économie nationale, d’une partie de leur clientèle, ainsi que réduire l’offre de location qui aurait servi aux salariés des grandes villes.

Va-t-on penser à réguler cette activité ? Rien n’est moins sûr.   

L’État restaure, les propriétaires en profitent

Qui a été, ces derniers temps, à Alger et n’a pas remarqué les échafaudages géants et habillés de filets verts ? Ce sont les immeubles du centre-ville qui se refont une toilette loin des regards indiscrets. Le projet est grandiose : 1.579 immeubles au programme, soit 22.034 unités de logements. Ça rentre dans le cadre du plan stratégique de réhabilitation et de modernisation de la ville d’Alger.

On ne peut que saluer une telle démarche dont les fruits commencent à se voir : des immeubles blancs comme neige. Ça va, sans doute, mettre en valeur le logement algérois. Avec, bien évidemment, l’argent du contribuable… ou du pétrole. Disons « l’argent du peuple ». Ça fera, sans doute, monter les prix sous prétexte que c’est plus beau, plus blanc, plus chic. Le marché de l’immobilier à Alger n’est pas à une arnaque près…

 

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