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« La façon d’agir du pouvoir est de nature à alimenter la contestation »

« La façon d’agir du pouvoir est de nature à alimenter la contestation »

Comment avez-vous trouvé la mobilisation du 50e vendredi ?

Cherif Dris, Professeur de sciences Politiques, (École nationale Supérieure de journalisme et des sciences de l’information). La mobilisation lors de ce 50e vendredi était intacte. Quantitativement parlant ce n’est pas les premières semaines du Hirak, mais au-delà des chiffres, nous avons constaté une certaine détermination.

D’autre part, nous avons enregistré une évolution très significative en termes de revendications. Ce n’est plus le cas des premières semaines où les revendications étaient orientées vers le refus du 5e mandat (du président démissionnaire, Abdelaziz Bouteflika, Ndlr).

Aujourd’hui, on constate des revendications qui dénotent que la contestation s’installe dans la durée : changement du régime et instauration de l’Etat de droit, etc.

La contestation est devenue un facteur structurel et structurant et l’on assiste aussi à une certaine détermination de la population. Les citoyens se mobilisent depuis 50 semaines et bientôt un an, cela prouve que le mouvement populaire de contestation n’est pas près de s’affaiblir, même s’il n’est pas très structuré.

Comment expliquez-vous cette endurance et cette capacité à durer dans le temps ?

Nous sommes devant un mouvement qui s’installe dans la durée, et comme éléments d’explication, il y a plusieurs paramètres. Le premier est la feuille de route du pouvoir politique qui a démontré ses limites. Les élections présidentielles du 12 décembre 2019 se sont déroulées dans des conditions qui n’ont pas satisfait la majorité des Algériens.

Le deuxième paramètre consiste dans le fait qu’il y a eu une logique d’imposer une solution d’en haut sans tenir compte des revendications de la majorité des Algériens, à savoir organiser des élections dans des conditions qui permettent une très forte participation et un processus électoral transparent. Les élections présidentielles n’étant qu’une étape parmi d’autres dans le long chemin pour l’instauration de la démocratie et non une finalité en soi.

Autre paramètre très important, c’est cette incapacité du pouvoir politique à gérer cette mobilisation. Il est vrai qu’il n’y a pas eu des brutalités comme cela été le cas dans certains pays arabes, l’Égypte par exemple, mais il y a eu des intimidations tel que les arrestations et l’emprisonnement des détenus politiques et d’opinion.

Mais l’élément qui explique la permanence de la mobilisation est que le régime a démontré son incapacité à mobiliser ses soutiens. En fait, nous sommes en face de nous deux logiques d’actions contradictoires. Celle, d’abord, du peuple, dans sa majorité, qui exprime son refus et son rejet de tout un régime en place depuis 1962. Et puis celle d’un régime qui a démontré son incapacité à mobiliser ses soutiens.

Lorsqu’il y a eu les marches dénonçant la résolution du Parlement européen (sur la situation des libertés en Algérie votée en novembre dernier, Ndlr) nous avons eu la preuve empirique que ces marches n’ont pas drainée des dizaines ou de centaines de milliers de personnes. Autre élément : la désaffection vis-à-vis de l’élection présidentielle pendant la campagne électorale. Troisième élément : le taux de participation (très bas) lors de l’élection présidentielle.

Ces éléments empiriques démontrent que le pouvoir politique n’a plus cette capacité à mobiliser ses soutiens comme il le faisait auparavant, c’est-à-dire il y a 10 ou 20 ans. Un signe supplémentaire démontrant les limites d’une gouvernance politique qui n’est plus en phase avec une réalité sociale (démographique notamment) en perpétuelle évolution.

Par ailleurs, et depuis l’élection du président Abdelmadjid Tebboune, il n’y a pas eu de décision majeurs et palpables, mise à part la libération de certains détenus dont une partie a purgé sa peine. A contrario, des gestes forts qui pourraient apaiser la contestation se font attendre. Par conséquent, la façon d’agir du pouvoir en place est de nature à alimenter la contestation.

Finalement, n’avez-vous pas l’impression que le pouvoir politique s’accommode de cette situation ? Ne pensez-vous pas qu’on n’est pas pressé d’apporter des solutions concrètes à la crise ?

En fait l’impression qui se dégage c’est qu’il y a une volonté de reproduire le régime. Nous sommes dans une logique de transition permanente avec des modes de reproduction dont la déclinaison la plus palpable reste : changement d’acteurs au lieu d’un changement de pratiques.

Dans sa gestion de la crise, le pouvoir politique fait en sorte que le caractère pacifique de la mobilisation reste intact, même s’il y a une volonté de resserrer l’étau avec notamment un dispositif sécuritaire important dans la capitale et dans les grandes villes, de telle sorte à limiter l’impact de la mobilisation.

Effectivement, le pouvoir politique s’accommode de cette situation. Tant que le caractère pacifique de la mobilisation reste intact, cela ne le dérange pas outre mesure. Au demeurant, et au risque de me tromper, je ne crois pas qu’il est dans l’intérêt des tenants du pouvoir que cette mobilisation se structure ou s’organise. Paradoxalement aussi, il n’est pas dans son intérêt aussi d’aller vers la répression et la brutalité.

Jusqu’à présent, le pouvoir politique ne donne pas l’impression d’avoir une feuille de route assez claire, cohérente et structurée. Même s’il est assez prématuré de juger de l’action du président Tebboune, on dénote une frilosité pour ne pas dire une volonté pour ne pas aller vers un véritable changement.

On assiste à un resserrement des espaces de manifestation notamment dès la matinée du vendredi. N’y a-t-il pas volonté d’en finir avec le Hirak ?

Il y a effectivement une volonté de rétrécir l’espace de contestation. À travers leur mobilisation, les Algériens se sont réapproprié l’espace public. Ce qui dénote une volonté autonomisation de cet espace public par rapport au pouvoir politique qui, de tout temps, fait en sorte que cet espace public soit son prolongement ou une annexe du pouvoir politique.

Depuis le 22 février 2019, le fait que les Algériens sortent par millions dénote de cette appropriation de l’espace public. C’est cette volonté d’autonomisation de l’espace public qui pose un réel problème aux tenants du pouvoir. Le renforcement du dispositif sécuritaire chaque vendredi et même le mardi, les actes d’intimidation comme les arrestations, le fait d’empêcher les manifestations dans certaines wilayas, mais aussi le maintien de certaines lois liberticides et la fermeture des médias publics devant les voix contradictoires, dénotent une volonté du pouvoir politique de limiter cette autonomie de l’espace public et empêcher l’émergence d’une société civile organisée.

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