Le projet du géant qatari du lait et produits laitiers Baladna en Algérie commence à prendre forme. Annoncé en novembre, il vient de franchir une étape importante avec la signature d’un contrat entre la ferme géante qatarie et le gouvernement algérien.
En Algérie, Baladna va installer une ferme géante sur une superficie de 100 000 hectares, avec l’objectif de produire 200 000 tonnes de lait en poudre par an, selon le site Doha News qui cite une source proche du dossier. Aucun délai n’a été avancé pour la concrétisation du projet.
Lors de son entrevue avec deux médias algériens samedi soir, le président Abdelmadjid Tebboune a annoncé le prochain lancement à Adrar d’un projet algéro-qatari visant à l’installation d’une mégaferme laitière au Sud du pays. Cet ambitieux programme vise à atteindre l’autosuffisance de l’Algérie en lait.
Importations de poudre de lait
Selon Khaled Soualmia, directeur général de l’Office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers (ONIL), les importations de poudre de lait sont importantes.
En 2022, il confiait à Echourouk : « 175 000 tonnes de poudre de lait sont distribuées annuellement pour produire du lait subventionné ». Il ajoutait que la facture de ses importations est « estimée à environ 600 millions de dollars ».
Aussi estimait-il : « la réduction de l’importation de la poudre de lait nécessite le développement de la filière lait ».
À la mi-mars, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Youssef Cherfa, avait indiqué que « les services agricoles veillent à ce qu’une étude de toutes les zones agricoles disponibles soit réalisée pour répondre au mieux à la demande de la partie qatarie, notamment en ce qui concerne les vastes zones destinées à des projets à caractère stratégique ».
À cette occasion, il avait rappelé que « la société qatarie avait précédemment exprimé sa volonté d’investir dans le domaine agricole, notamment dans le secteur du lait et de l’élevage de vaches laitières, et qu’en conséquence, un accord a été conclu entre les parties algérienne et qatarie pour mettre en œuvre des projets d’investissement au profit du l’entreprise « Baladna » en Algérie dans le domaine de la production laitière. » Le projet vise une production annuelle de 336 millions de litres de lait.
Qatar, des importations de luzerne
L’installation au Qatar d’une mégaferme laitière fait suite au conflit qui l’a opposé à ses voisins du Golfe en 2017. Le petit émirat gazier avait dû faire face à un blocus économique.
Dans les jours qui ont suivi ce pays a envoyé des émissaires, notamment vers la Turquie, afin d’importer par avion des produits alimentaires. Le Qatar a ensuite décidé de créer de toute pièce une méga-ferme laitière afin d’assurer l’approvisionnement local en lait. Cela en faisant appel à des experts étrangers (américains, hollandais et anglais). Les premiers lots de vaches avaient alors été importés par avion depuis les États-Unis.
Aujourd’hui sur une surface de quelques centaines d’hectares, la laiterie Baladna dispose d’étables d’une capacité de 20.000 vaches laitières et d’une laiterie permettant la mise en bouteille du lait et sa distribution à travers tout le pays.
Dans la mesure où le pays est aride, les fourrages sont importés du Soudan où le Qatar dispose aujourd’hui de plusieurs dizaines de milliers d’hectares. Les balles carrées de luzerne sont chargées dans des conteneurs métalliques puis envoyées par bateaux jusqu’aux ports du Qatar. Quant au maïs et soja, il est importé depuis les États-Unis et les pays d’Amérique latine.
La laiterie Baladna est liée au fond Hassad Food fondé en 2008. Il dispose d’un capital d’un milliard de dollars.
En 2022, une étude d’une université libanaise rappelait la stratégie de ce fond qatari : « Il achète ainsi des milliers d’hectares de terres arables dans diverses régions du monde telles que la Turquie, l’Ukraine, le Brésil, ou encore le Kenya. Il est surtout présent au Soudan où il dispose de plus 101.171 hectares de terres à cultiver et en Australie où il produit plus de 15.000 tonnes de grains. »
Une stratégie utilisée également par l’Arabie saoudite. En 2019, le géographe Alain Cariou notait : « Afin de nourrir ses vaches laitières et ses volailles, la société Almaraï possède 12 300 hectares en Argentine pour le maïs et le soja, et 5 600 en Arizona et en Californie pour le foin de luzerne. »
Quant à la société Jenaan, basée à Abu Dhabi (Émirats Arabes Unis) elle exploite 10.000 hectares au Soudan et 62.000 en Égypte. « L’objectif est surtout de produire du fourrage (luzerne, sorgho, maïs) exporté par conteneur depuis Port Soudan vers les Émirats » indique une étude universitaire.
Baladna, une ferme usine
Les installations de la société Baladna sont marquées par le gigantisme. Ce sont des camions remorque qui distribuent les fourrages le long des mangeoires dans les étables et la traite se fait sur des plateaux rotatifs permettant de traire jusqu’à 100 vaches par heure. Contre la chaleur, des ventilateurs sont installés dans les étables et les vaches sont douchées lors de chaque traite.
Des ingénieurs agronomes et des vétérinaires étrangers veillent sur le bien être des animaux. Les tâches subalternes sont réalisées par des ouvriers originaires pour la plupart du continent indien.
Baladna en Algérie : trois défis à surmonter
La particularité du projet algérien est de construire une méga-ferme avec les étables correspondantes mais également de produire le fourrage consommé par les animaux. Pour les aliments concentrés, il peut être fait appel aux importations de maïs et de soja comme dans le cas de l’élevage avicole.
Dans le cas de l’élevage de vaches laitières, il est cependant nécessaire de disposer de fourrages : foin de luzerne et ensilage de maïs. Le développement récent en Algérie d’une industrie de trituration d’oléagineux pour la production de table d’huile devrait permettre d’utiliser les sous-produits dont les tourteaux de soja.
La production de luzerne nécessitera sa culture sous pivots d’irrigation et la mobilisation importante d’eaux souterraines.
La consommation de lait ainsi que de viande blanche permettent actuellement aux ménages à faible revenu un accès aux protéines d’origine animale. Des protéines qui peuvent également être apportées par la consommation de légumes secs.
Un défi majeur
La réussite de cette méga-ferme dans le sud de l’Algérie nécessitera donc de lever trois obstacles. D’abord, maîtriser les programmes de reproduction, de suivi sanitaire et d’alimentation d’un nombre considérable d’animaux.
L’équipement de colliers électroniques sur chaque vache laitière devrait permettre de suivre l’état de chaque animal. Le deuxième défi sera de lutter contre les températures caniculaires du Sud.
Enfin, il s’agira de produire suffisamment de luzerne pour nourrir les milliers de vaches laitières et leurs veaux. Rappelons que dans le cas de la ferme Baladna et d’El Maraï en Arabie saoudite, les fourrages sont importés. À ce titre, le projet algérien de méga-ferme prévu dans le Sud sera unique au monde.