Économie

La planche à billets à la rescousse d’un Fonds national d’investissement au bilan très décevant

Plusieurs centaines de milliards de dinars, selon nos estimations. C’est le montant colossal qui a été affecté récemment au Fonds national d’investissement (FNI). Il signe le retour du FNI sur le devant de la scène économique où son action, bien que très loin d’être négligeable, est restée, au cours des dernières années, entourée de beaucoup de discrétion. Une discrétion entretenue par l’absence presque complète de communication de l’institution elle-même, aussi bien que de sa tutelle, sur son action et ses objectifs.

Cette dotation importante du FNI intervient dans un nouveau contexte financier particulier. Celui de la loi sur le financement non conventionnel – la planche à billets – adoptée à la fin de l’année dernière. Après le déficit budgétaire et le paiement des dettes contractées par l’Etat auprès d’entreprises comme Sonelgaz ou Sonatrach, il s’agit de la troisième destination des financements prévus par l’activation de la « planche à billets ».

Une démarche qui est loin de faire l’unanimité. « Le FNI n’a été évoqué par le gouvernement Ouyahia et ses soutiens que pour justifier le recours à la planche à billets et pour faire croire qu’une partie de la monnaie qui sera créée sera destinée à l’investissement », commente avec méfiance un économiste.

Même Nour Meddahi, qui a pourtant été l’un des rares experts à défendre le recours à la planche à billets, trouve que l’idée n’est pas pertinente. Il considère que « le FNI devrait être exclu de cette opération et devrait financer ses investissements en vendant certains de ses actifs ».

Le secteur public d’abord

La naissance du FNI, en 2009, avait suscité beaucoup d’espoirs chez de nombreux économistes nationaux. Ces derniers y voyaient la concrétisation du projet de « fonds souverain algérien » que beaucoup d’entres eux appelaient de leurs vœux depuis des années.

En fait, les premières activités du FNI, qui ont entraîné la mobilisation de l’équivalent de près 2 milliards de dollars fournis par le budget de l’Etat, ont surtout contribué aux programmes d’investissement de nombreuses entreprises publiques.

Cette préférence pour le secteur public s’est exprimée essentiellement par des injections massives de capitaux dans un certain nombre d’entreprises réputées stratégiques. Le processus a été engagé dès juillet 2009 avec un des enfants chéris des pouvoirs publics : le groupe des cimenteries publiques Gica, à qui on a attribué un prêt d’un montant de 180 milliards de dinars à échéance de plus de 20 ans.

Les interventions les plus importantes du FNI ont concerné en outre le renouvellement de la flotte d’Air Algérie ainsi que l’ambitieux programme de développement du champion national de l’industrie pharmaceutique publique, Saidal, qui se sont traduits par des prêts à long terme estimés à plus de 100 milliards de dinars.

La liste est loin d’être exhaustive et constitue d’ailleurs à l’heure actuelle un secret bien gardé. Les conditions préférentielles accordées par le FNI à ces grandes entreprises publiques se traduisent par des prêts à échéances beaucoup plus longues (au moins 20 ans en général) que celles pratiquées par les banques commerciales, ainsi que des taux d’intérêt fortement bonifiés.

De Cosider à AXA et Tonic…

En marge de ses nombreuses actions de financement des grandes entreprises publiques, marquée par une certaine confidentialité, et qui ont mobilisé l’essentiel de ses ressources, le FNI a surtout été projeté sur le devant de la scène économique nationale en raison de ses prises de participation spectaculaires dans des entreprises publiques et privées algériennes ou étrangères .

C’est ainsi qu’on a appris, dès novembre 2009 , que la contribution du FNI au plan de croissance de Cosider, première entreprise de travaux publics du pays dont le développement est «couvé» par les pouvoirs publics, se traduirait par la substitution pure et simple du fonds d’investissement public aux anciens actionnaires qu’étaient la BEA et le holding public du secteur. Le FNI est ainsi devenu, à la suite de cette opération, unique en son genre jusqu’à présent, le propriétaire et l’actionnaire unique de Cosider SPA moyennant un investissement de 4 milliards de dinars.

Cette première prise de participation a été suivie par l’intervention du FNI, aux côtés de la BEA et du groupe AXA, dans l’accord de partenariat qui a permis au numéro un mondial de l’assurance de s’installer en Algérie. Il s’agissait de la première prise de participation du FNI dans le capital d’un projet d’investissement réalisé en partenariat avec une entreprise étrangère. Le fonds public dispose d’une minorité de blocage de 30% dans les deux filiales de la nouvelle société dans lesquelles il a investi environ 1 milliard de dinars.

Un peu plus tard, et toujours dans le secteur de l’assurance, le FNI était également appelé à participer au tour de table de Taamine life Assurance, la filiale de la CAAT, spécialisée dans les assurances de personnes, dont il détient 30% du capital.

En 2009, Le FNI avait en outre été l’instrument majeur d’un plan de sauvetage du papetier privé Tonic Emballage, en situation de faillite. Un dossier empoisonné qui avait conduit à l’incarcération d’anciens propriétaires de l’entreprise ainsi que de plusieurs banquiers. L’intervention du FNI permettait tout d’abord de faire tourner à nouveau les machines d’un complexe de création récente qui employait plus de 4 000 personnes. Elle avait en outre l’avantage de soulager la BADR, une des 6 grandes banques publiques, qui avait injecté, au mépris des dispositions prudentielles légales, le montant colossal de 65 milliards de dinars (650 millions d’euros) dans l’entreprise

Ces différentes opérations, mises en œuvre au cours des premières années d’existence du Fonds, ne représentaient finalement au total qu’un montant financier relativement modeste, et pour beaucoup d’observateurs, le FNI n’avait pas vraiment brillé dans ce domaine par son dynamisme. Le montant de ses prises de participation ne totalisant qu’environ 7 milliards de dinars (moins de 70 millions d’euros) soit à peine un peu plus de 1% du bilan de l’institution publique .

La nouvelle montée en puissance du FNI

Au cours des trois dernières années, on a assisté au contraire à un changement d’échelle dans le niveau des prises de participation du Fonds national d’investissement.

Les décisions récentes d’associer le FNI au capital du projet Renault au côté de la SNVI, puis à celui du complexe sidérurgique de Bellara aux côtés de Sider et Qatar Steel, avant l’ annonce spectaculaire de la prise de contrôle de Djezzy traduisent clairement une montée en puissance dans les interventions financières du FNI qui semble appelé à devenir ainsi un instrument privilégié des politiques mises en œuvre par les pouvoirs publics. C’est ce que confirmait le DG de l’institution : Ahcène Haddad annonçait, dans une de ses rares interventions publiques, d’autres investissements dans une série de secteurs « stratégiques » en citant notamment la sidérurgie, la mécanique , la pharmacie etc…

Djezzy, une méga acquisition

Mais la plus grosse opération réalisée par le FNI concerne le secteur des télécommunications. En janvier 2015, le FNI annonçait officiellement la signature d’un contrat d’achat d’actions pour l’acquisition d’une participation de 51% dans la société Orascom Telecom Algérie SPA (OTA) pour un montant de 2,6 milliards de dollars.

L’opération a eu en premier lieu la particularité de mobiliser des montants financiers considérables qui ont multiplié d’un seul coup par 30 et fait brutalement changer la taille des investissements réalisés par le FNI sous forme de prise de participation.

Pour le financement de cette acquisition, le FNI n’a pas eu recours aux ressources du budget de l’Etat, mais a lancé un emprunt obligataire d’un montant de 160 milliards de DA qui a vu la participation de plusieurs banques publiques et privées et de deux compagnies d’assurances .

Une « méga acquisition » qui a eu de plus, c’est son aspect le plus controversé, la particularité de concerner une entreprise déjà en activité, parfaitement viable et sans doute même beaucoup trop rentable aux yeux des autorités algériennes. Un banquier privé faisait remarquer : « Les 2,6 milliards de dollars investis par le FNI dans une opération, qui a la plupart des caractéristiques d’une nationalisation, risquent fort de ne créer aucun emploi et de ne participer que faiblement au développement économique de l’Algérie ».

Sans doute dans le but de répondre à ces objections, Ahcène Haddad avait affiché sa « fierté » d’investir aux côtés du groupe Vimpelcom en prenant la précaution de préciser que cet accord va « permettre à Djezzy de poursuivre son activité dans un marché dynamique et d’intensifier ses investissements notamment en renforçant et développant son infrastructure de réseau». Avant d’ajouter : « Le pacte d’actionnaires, permet à VimpelCom de conserver le contrôle managérial et opérationnel d’OTA mais confère au FNI des droits de veto sur les grandes décisions stratégiques ».

Le FNI doit-il sortir du capital de Djezzy ?

Mais, depuis 2015, comme on le sait, les investissements ne sont pas vraiment au rendez-vous. Les bénéfices de Djezzy sont en outre en baisse sensible même s’ils restent importants. Les résultats nets de l’entreprise, sont ainsi passés de 50 milliards de dinars en 2013 à 22,2 milliards en 2017.

Le FNI, doit-il sortir du capital de Djezzy dans le but de se procurer de nouvelles ressources sans avoir recours à celles qui sont fournies par la planche à billets ? Un économiste comme Nour Meddahi n’a pas beaucoup de doutes à ce sujet. « Étant donné les montants en jeu, et comme l’objectif principal du financement non conventionnel est de soutenir la croissance, nous pensons que le FNI devrait être exclu du financement non conventionnel et devrait vendre certains de ses actifs pour dégager des liquidités pour financer ses nouvelles opérations. Nous ne connaissons pas la composition du portefeuille du FNI, mais clairement il n’y aucune raison pour que le FNI garde sa participation dans le groupe Djezzy. Il devrait vendre ses actions à travers la Bourse », écrivait-il dans une contribution récente.

À l’époque de l’acquisition de Djezzy , le PDG du FNI lui-même n’excluait pas non plus, à terme, une sortie du capital des entreprises concernées par des prises de participations. Cette sortie devait selon ses propres termes s’effectuer « à travers le canal du marché financier » que l’ institution qu’il dirige devait ainsi contribuer à « dynamiser » .

Ça n’est pas du tout, pour l’heure, l’option retenue par les pouvoirs publics qui semblent fermement décidés à exploiter toutes les possibilités offertes par le financement non conventionnel.

Le FNI au secours du programme AADL

 

Au fait, à quoi vont donc servir les nouvelles ressources mises à la disposition du FNI, par le biais de la Banque d’Algérie ? Pas vraiment à développer sa vocation initiale. Si on en croit le premier ministre Ahmed Ouyahia, le gouvernement compterait désormais sur l’intervention du Fonds national d’investissement pour assurer les financements nécessaires au programme AADL.

M. Ouyahia a expliqué dans ce sens que le programme en question a été financé jusqu’ici à hauteur de 400 milliards de dinars sur des concours définitif de l’Etat. 400 milliards de dinars supplémentaires ont été fournis sous forme de crédit à taux bonifiés, dans le cadre de conventions signées avec un ensemble de banques publiques, ayant le CPA pour chef de file.

A partir de 2018, selon les explications données aux députés par Ahmed Ouyahia, le programme AADL va se passer des concours définitifs du budget de l’Etat qui seront remplacés par des crédits du FNI à hauteur de 250 milliards de dinars. Des crédits qui bénéficieront d’un taux d’intérêt bonifié de 1% et d’un remboursement étalé sur 30 ans.

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