Économie

La planche à billets stop ou encore ?

La planche à billets devant la justice ? Cette hypothèse étrange a pourtant été évoquée par les médias nationaux au cours de la semaine écoulée.

Dans le sillage des convocations adressées à Ahmed Ouyahia et Mohamed Loukal, les juges algériens auraient donc à se prononcer sur une loi adoptée par le Conseil des ministres et votée à une très large majorité par les deux chambres du Parlement.

Ces questionnements récents, qui criminalisent abusivement les politiques économiques, sautent en réalité à pieds joints dans le ridicule si on veut bien se souvenir que la loi sur le financement non conventionnel a mis en place un dispositif légal valable pour une période de cinq ans.

La seule question qui mérite vraiment d’être posée aujourd’hui devrait conduire à se demander si ce redoutable instrument de financement de l’économie, qui a déjà été utilisé pendant 18 mois, va encore l’être pendant 3 ans et demi.

Une « fin prochaine » qui n’est pas pour demain

Pour la plupart des économistes que nous avons interrogés, la réponse est malheureusement oui. Dans l’état ou se trouvent les finances publiques nationales, le gouvernement actuel, aussi bien d’ailleurs que ses successeurs, auront bien du mal à se passer de la planche à billets.

Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter aux différents usages qui en a été fait depuis l’adoption de la loi en octobre 2017.

La dernière note de la Banque d’Algérie sur ce sujet nous apprend qu’un peu plus de 6500 milliards de DA (soit l’équivalent de 55 milliards de dollars) ont déjà été mis à la disposition du Trésor public par la Banque centrale.

Plus de 40 % de ce montant considérable a servi au financement du déficit du Budget de l’État au titre des années 2017 et 2018 et partiellement au titre de l’exercice 2019, selon la BA.

Une part d’environ 30% à d’autre part, contribué au remboursement de la dette publique à l’égard des entreprises nationales Sonatrach et Sonelgaz, ainsi qu’au financement du remboursement de l’emprunt obligataire pour la croissance lancée au printemps 2016.

Enfin une dernière part, d’environ 30% également, a permis d’alimenter le Fonds national d’investissement (FNI) dans le but de financer le déficit de la CNR, les programmes de logements AADL, et des projets structurants.

Depuis la fin de l’année dernière et l’évocation de la possible « fin prochaine » du recours au financement non conventionnel par le Directeur général du Trésor, la Banque centrale a annoncé 3 tranches supplémentaires de financement d’un montant total de 2600 milliards de dinars .

Le déficit budgétaire fait de la résistance

En raccourci, le gonflement des dépenses du budget de l’État en contexte préélectoral explique le maintien du déficit budgétaire à un niveau très élevé. Pour l’heure rien n’indique que cette évolution doive se ralentir dans les mois voire les années à venir.

Sur ce chapitre, la Banque mondiale dans ses dernières prévisions publiées à la mi-avril se montre très optimiste. Elle annonce, sans doute sur la foi des assurances des autorités économiques algériennes, que « le rééquilibrage budgétaire pourra reprendre au second semestre de 2019 », en relevant qu’il « faudra tôt ou tard mettre un terme au financement des déficits budgétaires par la Banque centrale pour maîtriser l’inflation ».

Un pronostic optimiste qui n’empêche par l’institution basée à Washington de s’attendre à des déficits budgétaires et courants qui devraient atteindre respectivement 8,5 et 8,1% du PIB en 2019.

Cette évaluation du niveau probable du déficit du budget de l’État pour 2019 le situe néanmoins à un niveau sensiblement inférieur à 2017 et 2018, années au cours desquelles il a atteint en cumulé près de 2800 milliards de dinars suivant les chiffres inédits rendus publics par la BM.

La Banque mondiale précise prudemment que « tout retournement des tendances mondiales du prix des hydrocarbures compliquera la réduction prévue du déficit budgétaire ». Dans ce domaine on peut noter que malgré l’évolution récente, plus favorable, des cours pétroliers, ces derniers restent encore en moyenne inférieurs sur les 4 premiers mois de l’année à ceux de 2018.

En attendant la réforme des subventions énergétiques

S’il ne faut donc pas s’attendre à une réduction sensible du déficit budgétaire cette année, il n’y a pas non plus de raisons de compter sur un ralentissement des autres destinations principales de la planche à billets.

L’absence d’ajustement des prix de l’énergie est en particulier la première cause de l’augmentation des ressources consacrées au remboursement de la dette interne.

Comme rien n’a été prévu dans ce domaine par la loi de finances pour 2019, les besoins de financements récurrents consacrés à cet usage des ressources de la planche à billets devraient encore augmenter au cours de l’année à venir en raison de la croissance d’une consommation interne stimulée par des prix souvent dérisoires notamment pour le carburant.

Quant aux prix de l’électricité, même les mesures les plus prudentes d’augmentation des tarifs des tranches supérieures de consommations formulées par les DG successifs de Sonelgaz, parmi lesquels les trois derniers ont pourtant été appelés au gouvernement, n’ont jusqu’ici reçu aucun écho.

Le FNI au secours des retraites

Les nouvelles attributions, surprenantes, du FNI en matière de financement du déficit croissant du système national de retraite sont enfin la principale explication de l’accroissement de sa part dans la planche à billets. C’est au début de l’année 2019 que le gouvernement a imaginé cette solution très ingénieuse.

Même s’il apparaît que cette opération, que les experts de la Banque mondiale qualifient pudiquement d’ « usage hors- budget » du financement non conventionnel, constitue assez clairement un maquillage des comptes publics destiné à minimiser ( à hauteur environ 3% du PIB) le montant réel du déficit budgétaire, les formes légales ont été scrupuleusement respectées.

La Loi de finances 2019 « autorise le Fond national d’investissement (FNI) à octroyer des crédits au profit de la Caisse nationale des retraites (CNR) en vue de soutenir ses capacités de couverture des pensions de retraite et lui permettre de préserver ses équilibres financiers ».

Les crédits du FNI au profit de la CNR sont assortis de taux d’intérêt quasiment nuls et qui sont d’ailleurs pris en charge par le Trésor public sur une période de 40 ans. Ce qui renseigne certainement sur les délais dans lesquels les autorités algériennes prévoient un retour à l’équilibre du système de financement de nos retraites.

Au total tout se passe comme si le contexte présent d’illégitimité du pouvoir politique rendait quasiment impossible toute réforme profonde et nécessairement impopulaire du financement de notre économie. Les experts que nous avons consultés estiment les besoins de financement nécessaires pour les années à venir a un montant annuel compris entre 2500 et 3000 milliards de dinars. La planche à billets pourrait donc avoir encore de beaux jours devant elle.

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