Économie

« La politique commerciale extérieure ne se bricole pas chaque mois ou chaque année »

Dans le tumulte de la crise politique, trois informations sont venues assombrir davantage l’horizon économique algérien. Les réserves de change qui continuent de fondre à un rythme inquiétant, une croissance revue à la baisse par la Banque mondiale et un baril de pétrole en chute libre. A quel point la situation économique du pays inquiète-t-elle ?

Mouloud Hedir, économiste : si l’on y regarde bien, il n’y a rien de bien nouveau. Les réserves de change s’érodent de manière continue depuis plus de cinq années. La croissance est largement insuffisante, cela fait au moins trois années qu’elle dépasse à peine le taux de croissance démographique. Quant à l’évolution du prix du pétrole, elle ne fait qu’illustrer le problème structurel de l’économie nationale. C’est une donnée exogène qui ne dépend en rien des autorités algériennes. Le drame, c’est que rien de sérieux n’a été fait tout au long des vingt dernières années pour sortir de l’excessive dépendance vis-à-vis des exportations d’hydrocarbures. Même quand, depuis 2014, tous les indicateurs macroéconomiques passaient progressivement au rouge, aucune réforme substantielle n’a été entreprise.

En l’état actuel, ce n’est pas tant l’économie du pays qui inspire l’inquiétude que sa gestion laxiste, approximative et sans aucune vision d’avenir.

Le gouvernement actuel, rejeté par le peuple, est-il outillé pour redresser la barre et éviter au pays le chaos économique ?

Il faut garder à l’esprit qu’à l’horizon 2030, c’est-à-dire demain, la population algérienne dépassera les 50 millions d’habitants. Cet indicateur, à lui seul, donne la mesure des tensions sociales à venir et des transformations radicales qu’il faudra engager à l’échelle de l’organisation de notre système économique comme de notre système politique. Après toutes ces années d’immobilisme, le travail de remise en ordre qui est devant nous est immense, comme le sont les attentes de la population. Le gouvernement actuel n’est sans doute pas outillé pour mener à bien de telles réformes. A sa décharge, ce n’est pas pour cette mission qu’il a été constitué et personne n’attend cela de sa part.

Des chefs d’entreprises se plaignent du « legs » économique désastreux laissé par les années Bouteflika. Quelles sont les sorties de crise auxquelles le futur président s’attachera en priorité ?

Pour l’immédiat, on serait tenté de mentionner quelques actions urgentes destinées à combattre les gaspillages flagrants de ressources publiques, ou bien celles liées au rétablissement partiel des équilibres du budget et de la balance des paiements. Mais, dans les conditions actuelles et compte tenu de l’ampleur des ajustements à opérer, il parait prématuré de parler de sortie de crise.

La réduction de la dépense publique est en effet inévitable mais, comme celle-ci était et reste le principal moteur de la croissance, il convient au préalable de changer de paradigme et créer des conditions plus propices au développement des activités productives. Autrement dit : réformer en profondeur le climat des affaires, actualiser notre approche des IDE, regarder d’un autre œil notre politique d’endettement extérieur, etc. Cela ne pourra se faire sans l’engagement d’un débat national sérieux sur les priorités à fixer à la politique économique nationale, dans un environnement économique mondial passablement perturbé.

Par ailleurs, il faudra repenser les mécanismes de la solidarité nationale, les rendre plus efficaces et veiller à la répartition équitable des efforts à demander à la population.

Tout cela suppose la restauration d’un vrai climat de confiance entre gouvernants et gouvernés. La tâche est rude, le bilan politique des années Bouteflika étant encore plus désastreux que son bilan économique.

Le gouvernement Bedoui a fait récemment deux annonces : le possible retour à l’importation des véhicules d’occasion et la fixation de quotas d’importation des kits CKD/SKD destinés au montage des voitures touristiques. Ces deux décisions n’ont pas manqué de soulever inquiétude et questionnement quant à leur pertinence…

L’idée de revenir à l’importation de véhicules d’occasion et de faire du marché national un déversoir des rebuts de quelques pays développés ne parait pas très pertinente. Son financement via le marché parallèle des devises est encore moins acceptable. Quant à la fixation de quotas d’importation des inputs de l’industrie automobile, on en comprend la motivation, celle de protéger les réserves de change, mais cela pose un problème de cohérence : on ne peut d’un côté instituer tout un train de mesures pour encourager le développement d’une industrie et de l’autre, en restreindre administrativement la production. Et on ne parle pas encore du nécessaire respect des engagements souscrits au titre de traités commerciaux dûment ratifiés.

Les deux cas évoqués ici renvoient tous deux aux défaillances du mode de régulation de nos échanges extérieurs. La gestion de ces échanges ne peut pas se faire au cas par cas ou se cantonner aux seuls impératifs de l’encadrement de nos importations. Elle doit englober d’autres dimensions comme le développement de nos exportations, les échanges de services, l’attraction des IDE, l’équilibre des relations économiques et commerciales avec nos principaux partenaires, la politique du taux de change, etc.

Par dessus tout, la politique commerciale extérieure ne se bricole pas chaque mois ou chaque année, au gré des changements de gouvernement, elle a besoin de stabilité et de lisibilité dans l’intérêt de nos propres entreprises comme de celles de nos partenaires commerciaux.

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