Économie

La question de la sécurité alimentaire de l’Algérie à nouveau posée

La crise en Ukraine met à nouveau au premier plan la question de la sécurité alimentaire de l’Algérie. Avec plusieurs centaines de millions de dollars, les importations annuelles de céréales n’ont jamais été aussi importantes.

La hausse actuelle des cours du blé devrait les renchérir. Or, pour la deuxième année consécutive, les principales zones céréalières du pays connaissent une grave sécheresse. Pour les pouvoirs publics, les marges de manœuvre se rétrécissent.

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Afin d’alléger la facture, plusieurs options sont envisageables, mais elles diffèrent quant à la facilité et la rapidité de leur mise en œuvre. Tour d’horizon de ces options.

Une carte à puce pour le pain

Une des solutions consiste à ne soutenir le prix du pain que pour les ménages à faible revenu. Depuis 2015, l’Egypte s’est tournée vers le ciblage des subventions afin de les orienter vers les seuls ménages à faible revenu. Dans un pays comptant 90 millions d’habitants, l’Egypte a réussi à instaurer une carte à puce pour l’achat du pain subventionné. Des terminaux ont été installés dans chaque boulangerie et seuls les détenteurs de la fameuse carte peuvent acheter du pain à un tarif subventionné.

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Un moment mis sur le devant de la scène en Algérie, le dossier du ciblage des subventions sur les produits à large consommation a été gelé par les pouvoirs publics.

De la farine semi-complète à la place de la farine blanche

Une autre solution consiste à augmenter le taux d’extraction de farine lors de la première transformation des céréales. Une partie du blé importé est consommée par les animaux d’élevage sous forme d’issues de meunerie dont le son de blé.

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La législation en vigueur prévoit que ces issues ne doivent pas dépasser 25% des quantités de blé passant entre les meules des moulins à grains. Le reste, c’est-à-dire 75%, constitue la farine blanche de type T55. Il existe des farines semi-complètes de type T110.

Elles présentent la particularité d’incorporer des fibres sous forme de son et le taux d’extraction n’est plus de 75% mais de 87% en moyenne. Rapportées aux quantités de blé importées, les économies pourraient se chiffrer en dizaines de millions de dollars.

La « FoodTech » ou les progrès des technologies alimentaires

Dans l’absolu, ce type de substitution peut concerner d’autres produits : poudre de lait ou viande de volaille. A l’étranger, sous l’impulsion de consommateurs végétariens sont apparus des « laits  » végétaux pour adultes à base d’avoine, de riz, de soja ou d’amandes.

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Sont apparus également des substituts végétaux de viande blanche élaborés à partir d’extraits de protéines végétales de pois jaunes. Le pois a les faveurs des industriels du fait de son goût neutre. Les recherches vont bon train concernant la séparation industrielle des protéines du pois chiche ou de la luzerne.

Signe de l’intérêt croissant des industriels étrangers pour la « FoodTech », le nombre de brevets déposés explose. Le prix de ces substituts est nettement inférieur aux produits traditionnellement importés et restent inconnus du consommateur algérien.

Du blé importé donné frauduleusement aux moutons

Cependant, le passage à de la farine semi-complète présente l’inconvénient de modifier les habitudes alimentaires des consommateurs algériens mais surtout de réduire les quantités d’issues de meunerie destinées à l’élevage. Ces produits sont particulièrement demandés par les éleveurs. En période de sécheresse, ils constituent une alternative pour nourrir leur cheptel.

Régulièrement, la presse révèle que certaines minoteries trichent sur le taux d’extraction de la farine, le réduisant à 25% à la place des 75% attendus. Le but étant de commercialiser frauduleusement du blé sous la dénomination de son de blé et ainsi d’empocher une plus-value. En effet, une partie du son est vendue au prix du marché contrairement à la farine dont le prix reste fixé par les autorités.

D’autres minoteries ont moins de scrupules et vendent directement du blé tendre aux éleveurs. Cette pratique illégale est documentée par la presse mais également par des études universitaires. En 2016, à Djelfa, l’agronome Mohamed Kanoun a dénombré 10 types de rations d’engraissement des moutons dont 4 d’entre-elles comportant du blé tendre : « type 3 : ration composée essentiellement de céréales (orge en grain, blé tendre et son) et une faible part de tourteau de soja ; type 4 : ration composée d’orge en grain et blé tendre ; type 7 : ration à un seul aliment (blé tendre en grain) ; type 8 : ration composée de blé tendre et son de blé dur ».

OAIC : cultiver plus de blé au sud

La réduction de la facture des importations algériennes des céréales passe également par l’augmentation de la production locale et ces dernières années, l’augmentation des rendements est réelle.

Cependant, comme pour ces deux dernières campagnes agricoles, cette augmentation est brutalement contrecarrée par la sécheresse qui frappe l’Algérie de plein fouet. Certes, les solutions techniques existent afin de moderniser la culture des céréales, mais elles progressent lentement.

Aussi, pour l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC), la solution passe par l’extension des surfaces irriguées au sud du pays. Récemment, le secrétaire général de l’OAIC, Nasreddine Messaoudi, a indiqué que la production de céréales dans le Sud avait atteint 1,4 million de quintaux durant ces 4 dernières années.

Il est à attendre que, comme en 2008, la récente augmentation du prix à la production de blé dur et du blé tendre, entraîne une augmentation des surfaces sous pivot d’irrigation. Leurs propriétaires bénéficient déjà de larges subventions lors de l’achat du matériel et d’un tarif préférentiel concernant l’accès au réseau électrique.

Ces derniers temps, les pouvoirs publics ont accéléré l’extension de ce réseau afin de satisfaire le maximum d’investisseurs installant des pivots. Cependant, plusieurs voix s’élèvent contre le coût économique et écologique de ce type de production. D’autant plus que, du fait de la persistance de la jachère, chaque année 40% des terres des 7 millions d’hectares des terres à blé restent non cultivées.

Pour l’agroéconomiste Ali Daoudi de l’Ecole nationale supérieure d’agronomie (ENSA), l’irrigation d’appoint au nord reste une option afin d’assurer un minimum de production locale et ainsi assurer plus de marge de négociation lors d’achats de blé sur le marché international.

Contractualisation : couloirs verts et coopération

Depuis peu, les services agricoles développent une politique de contractualisation. Ainsi, l’année passée afin de collecter le maximum d’orge, il a été annoncé la création de « couloirs verts » au niveau des Coopératives de céréales et de légumes secs (CCLS).

En période de sécheresse, il est vital de collecter un minimum d’orge afin d’assurer les semences pour la récolte suivante. Au moment de la récolte, ces couloirs verts visent à réduire l’attente des agriculteurs aux portes des CCLS. Un contrat spécifique pour l’orge prévoit également davantage de facilités pour l’obtention de semences certifiées et d’engrais sont offertes.

Les réserves de productivité restent grandes. Ainsi, seuls 25% des surfaces en céréales seraient désherbées. A part le Groupe Benamor et Smid Tell de Sétif, rares sont les minoteries qui créent des réseaux de suivi technique des agriculteurs afin d’améliorer la qualité des blés. Quant à la coopération technique, elle se limite à l’échange de matériel génétique avec les organismes internationaux laissant les agriculteurs locaux éloignés des progrès agronomiques les plus récents.

Le réchauffement climatique et la crise ukrainienne rebattent les cartes de l’approvisionnement en céréales du pays. L’Algérie a mangé son pain blanc. La faiblesse des marges de manœuvre devrait contraindre les pouvoirs publics à sortir des sentiers battus afin d’inciter à plus de production locale de céréales mais également à éliminer les déperditions en toutes sortes que connaît le blé d’importation.

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