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L’affaire Cnan racontée par son ancien PDG : « Un naufrage judiciaire »

L’affaire Cnan racontée par son ancien PDG : « Un naufrage judiciaire »

Le 13 novembre 2004, la météo déchaînée met en grande difficulté deux navires dans la rade d’Alger : le Batna, qui finira par s’échouer sur la plage des Sablettes, et le Bechar qui sombrera après avoir percuté la jetée Kheir Eddine. Le naufrage fait 16 morts parmi les 18 membres d’équipage et une procédure judiciaire est lancée, visant 22 personnes dont plusieurs cadres de la Compagnie nationale de navigation (Cnan).

De « froids tueurs à gages »

Ali Koudil, PDG de la compagnie au moment du naufrage, fera partie des inculpés. Dans son livre « Naufrage judiciaire, les dessous de l’affaire Cnan », paru lors du Sila 2017, aux éditions Koukou, il apporte son témoignage personnel sur cette affaire.

L’auteur avertit dès le début de son récit : « Ce livre est le témoignage d’un vécu personnel. Ce n’est pas un pamphlet et il ne s’inscrit dans aucune orientation idéologique ou politique ». Pourtant, le livre est sans concession à l’égard des magistrats qui ont été chargés de l’affaire. Il parle de « froids tueurs à gages » qui ont « participé à une parodie de justice ».

Le Bechar heurta la jetée Kheir Eddine vers dix-sept heures quarante minutes et sombra complètement vers 23 heures, d’après Ali Koudil. Une cellule de crise, rapidement installée au port, gardait le contact avec l’équipage du Bechar. « On me passa le commandant du Bechar sur l’appareil VHF. Angoissé et paniqué, il réitéra sa demande pressante de secours par hélicoptère et m’informa que plusieurs membres d’équipage avaient déjà été emportés par les vagues », raconte l’ex-PDG de la Cnan.

Tout secours par la mer étant impossible, à cause de la mer démontée, et l’Algérie ne disposant pas d’hélicoptères de sauvetage capables d’affronter les vents de plus de 100 km/h, c’est un hélicoptère espagnol qui est dépêché sur place à la demande du Premier ministre qui interviendra vers une heure du matin.

« L’hélicoptère arriva vers 4 heures du matin. On le vit tournoyer autour des restes du bateau avec un puissant projecteur […] après avoir fait quelques tours, l’hélicoptère se dirigea directement vers l’aéroport d’Alger, probablement pour recharger son réservoir en carburant et retourner à Palma : mission terminée pour eux ».  « Plus aucun espoir, tout est fini, Allah yarhamhoum ! », pensa alors le PDG de la Cnan.

« Les responsables de la catastrophe devraient être punis »

Quelque temps plus tard, alors qu’il se recueillait sur les lieux du drame, le président de la République dira aux journalistes : « Les responsables de la catastrophe devraient être punis ». Des propos que Bachir Frik, ex-wali d’Oran, rappellera à Koudil pendant leur détention commune à l’infirmerie de Serkadji : « Punir qui ? Les garde-côtes qui sont des militaires ? Les responsables du port d’Alger avec les conséquences certaines sur les approvisionnements du pays ? Non !!! Tu es le maillon faible de la chaîne, d’autant plus que tu as dû déranger des intérêts occultes ».

Ali Koudil et d’autres cadres de la Cnan sont convoqués par le procureur, le 24 janvier 2005. Ils sont inculpés, accusés d’avoir « mis à la disposition d’un commandant un bateau insuffisamment armé ayant entraîné son naufrage et la mort de plusieurs personnes ».

L’ex-PDG de la Cnan s’évertuera tout au long de son récit à démontrer que l’article 479 du Code maritime invoqué par le juge d’instruction était inapplicable à son cas et que les accusations qui le visaient n’étaient que le résultat de la convergence des rancunes de plusieurs acteurs frustrés dans leurs egos ou intérêts par les actions menées par lui dans le cadre du redressement de la Cnan.

Parmi les « aigris » que Koudil suspecte d’être derrière la cabale judiciaire dont il est victime, le commandant L, « responsable du Syndicat islamique des travailleurs, le SIT dissous », un syndicat dont l’ancien PDG avait refusé la reformation déguisée sous le nom de Snommar. Ou encore, l’ancien directeur juridique de la Cnan, « représentant de l’assureur P&I club en Algérie », assureur que Koudil remplacera par un autre, plus favorable aux finances de la compagnie, provoquant ainsi l’ire d’une « haute personnalité de l’État, M. Msila ». Celui-ci ira jusqu’à appeler le secrétariat général du ministère des Transports pour menacer : « Ce Koudil que vous avez ramené à la tête de la Cnan, eh bien c’est moi qui l’en dégommerai ! ».

« Juge de minuit »

Le livre apporte une relation détaillée du premier procès, présidé par la juge Ania Benyoucef, « juge de minuit ». Un procès entaché de plusieurs irrégularités, selon lui : la liste des témoins à décharge rejetée par la juge ; celle des témoins à charge non transmise à la défense ; des garde-côtes « membres de la commission (d’enquête), alors que leur responsabilité dans la non-assistance à personne en danger était avérée » ; occultation d’une lettre  écrite par le seul expert maritime membre de la commission d’enquête et où il déclare avoir refusé de signer le rapport final mettant en cause la direction de la Cnan, car totalement opposé à ses conclusions, etc.

Le procès est expédié en quelques jours et Ali Koudil sera condamné à 15 ans de prison ferme. Il connaîtra la vie carcérale dans plusieurs établissements pénitentiaires : Serkadji, Berrouaghia et El Harrach. Il croisera des condamnés dans des affaires aussi marquantes que la sienne : d’anciens cadres de Khalifa Bank, un ancien wali, des élus locaux, le gérant d’une société d’importation de céréales, etc. Le livre apporte, à ce titre, un précieux témoignage sur les prisons algériennes qui « ne sont pas faites seulement pour les criminels et qu’il existe des innocents qui souffrent dans leur chair, pour des fautes jamais commises ».

L’ex-PDG et les cadres de la Cnan seront acquittés lors du procès en appel en 2010 mais ils seront de nouveau inculpés en 2013. Il leur sera reproché d’être coupables d’« association de malfaiteurs, passation de marchés non conforme à la réglementation, détournement et dilapidation de fonds publics, non rapatriement de fonds, abus de confiance, etc ». Ils seront condamnés à deux ans de prison ferme, une peine aggravée à trois ans en appel en 2017.

À l’heure qu’il est, la procédure judiciaire poursuit son cours et l’affaire est entre les mains des juges de la cour suprême.

Ali Koudil signe son livre-témoignage, le samedi 18 novembre, à la librairie des Beaux-Arts à Alger.

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