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L’affaire Ouyahia, symbole des excès de la télévision

L’affaire Ouyahia, symbole des excès de la télévision

Il y a, dans le monde arabe, la diplomatie des funérailles et, en Algérie, la politique des cimetières. L’enterrement d’une personnalité publique est souvent l’occasion pour la presse et les observateurs de refaire le petit monde de la politique et de lire l’avenir immédiat, en fonction des présents, des absents, des poignées de main échangées ou pas, de la moue des uns ou du sourire des autres. Il arrive même qu’on y rie aux éclats.

En juillet 2017, l’avenir du Premier ministre Abdelmadjid Tebboune, aujourd’hui président de la République, était pour beaucoup scellé dès lors que le frère du président d’alors et les patrons des principales organisations des travailleurs et du patronat l’avaient nargué par des rires narquois à l’enterrement de Réda Malek, grand moudjahid et ancien chef du gouvernement.

Quelques jours après, Tebboune est prié de céder sa place à Ahmed Ouyahia. Voilà pour ceux qui se demandent encore ce que viennent faire les caméras dans un cimetière.

On y vient se recueillir et rendre hommage, mais aussi aux nouvelles. Cela, même s’il arrive que le baromètre ne soit pas trop fiable, comme lors de l’enterrement du président Boumediene, début 1979, lorsque certains avaient fait une conclusion qui s’avérera trop hâtive en voyant Abdelaziz Bouteflika prononcer l’oraison funèbre.

Il arrive aussi qu’on assiste parfois, et même souvent depuis quelques années, à des excès. Le plus marquant est le traitement réservé à un Premier ministre en exercice en juillet 2017. « J’ai compris que c’était de la provocation, et j’avais méprisé leur acte. L’endroit ne convient pas au rire, en particulier, aux funérailles d’un symbole de la révolution de libération », réagira Abdelmadjid Tebboune en octobre 2019.

Ce qui s’est passé en ce mois de juin 2020 avec Ahmed Ouyahia entre dans la case de ces lignes rouges franchies au sein d’un lieu supposé être sacré. Purgeant une peine de 15 ans de prison, l’ancien Premier ministre a été autorisé par la justice à assister à l’enterrement de son frère et avocat.

Une désapprobation unanime

Les images le montrant menotté, éprouvé, abattu et entouré de gendarmes, largement diffusées, ont choqué jusqu’au sein des officiels. Pour le principe, quels qu’auraient été les crimes commis par l’homme dans l’exercice de ses fonctions, nul n’a le droit de lui infliger une peine autre que celle que la justice a jugée nécessaire de prononcer. La réprobation du dérapage est unanime.

« J’ai honte pour nous », a réagi Abdelaziz Rahabi, ministre à la fin des années 1990 et passé depuis dans l’opposition. « L’autorité judiciaire qui a autorisé le prévenu Ahmed Ouyahia à assister à l’enterrement de son frère aurait dû également assurer au citoyen Ouyahia les conditions de dignité et de sérénité », écrit-il.

La voix la plus officielle du gouvernement, son porte-parole Ammar Belhimer, a fait le même reproche. « L’administration pénitentiaire doit garantir à tout détenu le respect de sa dignité et de ses droits contre toute atteinte ».

Dans leurs réactions, les deux hommes désignent le même coupable habitué à ce genre d’excès sans susciter de réaction ferme : certains médias auxquels la course à l’audience a fait oublier les rudiments de la déontologie.

Ammar Belhimer n’a pas manqué de rappeler « les images répugnantes qui nous avaient déjà marqués par le passé : plus précisément celles de l’actuel président de la République lors de l’inhumation de feu Réda Malek, Moudjahid et ancien chef du gouvernement, le 30 juillet 2017. M. Tebboune, alors Premier ministre, avait semblé être marginalisé au milieu des rires et des étreintes entre certains hauts responsables de l’État, du secteur privé et du syndicat ».

« Des médias en dessous de tout »

Rahabi parle de « médias en dessous de tout » qui ont « squatté un lieu de recueillement » et Belhimer, qui a également la charge de ministre de la Communication, constate que « ces précédents témoignent malheureusement de deux grands maux qui donnent la mesure de la pauvreté du capital humain dans notre secteur : la déficience de la chaîne de valeurs éducatives et l’exercice médiocre de la profession ».

L’autorité de régulation de l’audiovisuel, le gendarme dont le rôle est d’intervenir dans pareil cas, l’a fait, certes, mais sans la fermeté qu’appelle la gravité du dérapage.

L’Arav ne s’est pas offusquée de l’humiliation faite à l’ancien Premier ministre, mais de l’utilisation des images pour illustrer un article « hors contexte ».

Une indignation assortie d’un avertissement, loin du reste d’être le premier. La profession a besoin de plus de liberté, de garanties et de moyens, mais aussi d’un minimum de régulation juste et ferme. C’est seulement à ce prix qu’elle cessera de s’exercer de manière « médiocre ».

| Lire aussi : Images d’Ouyahia à l’enterrement de son frère : le gouvernement réagit

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