Économie

« L’Algérie doit lancer en urgence un plan anti-récession »

Dans cet entretien le professeur en économie, Brahim Guendouzi, explique les raisons à l’origine de la hausse des prix des produits alimentaires notamment et revient sur la crise de liquidité qui touche les bureaux de poste.

Une hausse inédite est enregistrée depuis quelques jours des prix des produits de consommation comme la volaille, l’huile de table, la sardine, les pâtes alimentaires.  Pourquoi ?

La conjugaison de plusieurs facteurs dont certains sont objectifs et d’autres d’ordre spéculatif, est à l’origine de la hausse constatée des prix, particulièrement ceux des denrées alimentaires.

Il est clair que les retombées de la crise sanitaire ont généré des surcoûts au niveau des entreprises, lesquelles cherchent à les répercuter sur les prix de vente.

Par ailleurs, la dépréciation de la monnaie nationale ces dernières semaines a contribué à faire renchérir l’ensemble des produits importés qu’ils soient destinés à la consommation finale ou en tant qu’inputs.

Ajoutés à cela, la hausse des prix des produits alimentaires sur le marché international dont l’Algérie est fortement importatrice, plus les frais logistiques libellés en devise.

Par ailleurs, les circuits de distribution au niveau national ont toujours été noyautés par des intermédiaires agissant dans l’informel et disposant de capacités financières considérables qui leur donnent un pouvoir de négociation et des marges de manœuvre qui font qu’ils s’imposent et imposent des prix sur le marché, nonobstant les produits dont les prix sont plafonnés et strictement contrôlés.

D’où l’impuissance des pouvoirs publics à pouvoir réguler efficacement le marché et à faire respecter les règles de la concurrence. De façon générale, l’économie nationale est actuellement sur une trajectoire inflationniste du fait de la contraction du PIB de l’ordre de 6,4 % en 2020 alors que la masse monétaire (M2) a enregistré une hausse de 7,2 %.

« L’adoption en urgence d’un plan anti-récession économique s’impose »

Le manque de liquidités persiste en dépit de la baisse du taux de réserve obligatoire par la Banque d’Algérie (BA), pour la 4e fois en moins d’une année. Comment vous l’expliquez ? La BA peut-elle aller encore plus loin ?

La Banque d’Algérie a pris des mesures de politique monétaire pour desserrer la contrainte monétaire en vue de faciliter le financement des entreprises particulièrement les PME, qui ont eu à subir des pertes d’activité importantes du fait de la Covid-19, d’une part, et améliorer le niveau de la liquidité du système bancaire, d’autre part.

Malgré ces mesures inédites, la situation demeure tendue sur le plan financier et monétaire. D’où la limite de l’action de la Banque d’Algérie qui doit continuer toutefois à mobiliser d’autres instruments pour capter surtout une partie de l’épargne disponible, condition nécessaire pour que les banques puissent assurer, autant que faire se peut, l’accompagnement des agents économiques.

L’adoption en urgence d’un plan anti-récession économique s’impose. Les objectifs à tracer sont clairs (croissance économique, développement de l’investissement, sauvegarde des emplois, protection du pouvoir d’achat et lutte contre les inégalités) avec mobilisation des moyens financiers conséquents ainsi que des évaluations régulières, et la contribution de tous les acteurs y compris la Banque d’Algérie.

« La thésaurisation est en train de prendre des proportions alarmantes »

Le gouvernement vient d’ordonner la fermeture des comptes commerciaux et l’interdiction de leur ouverture au niveau d’Algérie Poste, dans l’objectif de régler le problème du manque de liquidité « absorbée par les transactions commerciales ». Une mesure suffisante, selon vous ?

Au-delà de la crise de la liquidité qui reste certes posée, un autre problème semble émerger, celui de la confiance de la part des ménages vis-à-vis des établissements bancaires et des CCP puisqu’il y a retrait massif de la part des détenteurs de comptes.

Le phénomène de la thésaurisation est en train de prendre des proportions alarmantes, pénalisant la mobilisation de l’épargne. Aussi, la fermeture des comptes commerciaux au niveau d’Algérie Poste risque de n’être d’aucun effet positif sur la situation monétaire actuelle.

Plus encore, on cherche logiquement à ce que l’argent soit déposé dans les circuits bancaires y compris aux CCP, et non pas être retiré pour être placé obligatoirement dans des guichets de banques, alors que ceux-ci sont justement évités par certains déposants pour des motifs divers.

D’ailleurs, c’est également pour des raisons de confiance, que les instruments de paiements scripturaux sont refusés dans les transactions commerciales y compris par les opérateurs publics.

Aussi, nous sommes arrivés à une situation où même avec l’amélioration du niveau de la  liquidité bancaire (reprise de l’activité économique et amélioration sensible des cours pétroliers ces dernières semaines), les comportements constatés dans les guichets des CCP et bancaires vont perdurer dans le temps, rendant complexe la gestion de la situation monétaire et financière, déjà exacerbée par la récession économique.

La demande autour de l’huile de table connait une tension sans précédent. Les producteurs assurent pourtant que la production n’a pas été réduite. Comment expliquez-vous cette tension autour de ce produit de large consommation ?

L’huile de table est une denrée alimentaire qui bénéficie de la subvention d’État et dont le prix est plafonné. Le problème qui se pose actuellement se rapporte à la question de la marge commerciale jugée très faible et qui est obtenu par différence entre le prix sortie usine qui apparemment a augmenté et le prix fixé à la vente en détail.

Certains commerçants refusent de vendre le produit en question car ce n’est plus rémunérateur. D’autant plus qu’avec la facturation, le chiffre d’affaire serait toujours en hausse.

Il s’agit d’un problème de régulation touchant les produits dont les prix sont plafonnés, qui ne doit pas se limiter au seul constat de ces derniers, mais prendre en considération toute la chaîne des intervenants.

La tension autour de l’huile de table pose le problème plus global relatif à l’absence de facturation. Le marché informel se joue des mesures visant à l’éradiquer. Où est la faille et comment lutter efficacement et sérieusement contre ce fléau ?

L’activité commerciale est polarisée entre les commerçants qui respectent la réglementation et sont inscrits au registre de commerce. Ils sont imposés de fait aux types d’impôts en vigueur.

Une autre partie des commerçants n’est pas identifiée car travaillant dans l’informel, et donc n’est pas soumise à l’impôt. Il y a alors une concurrence déloyale du point de vue de l’activité commerciale, d’une part, et une iniquité par rapport à l’impôt, d’autre part. Cela dure depuis des années !

Pourquoi les commerçants refusent-ils la facture ?

La facturation des produits dont les prix sont plafonnés pose un problème pour l’ensemble des commerçants car elle fait gonfler le chiffre d’affaire alors que la marge commerciale est minime.

Or, l’imposition comme la Taxe sur l’activité professionnelle (TAP) est calculée à partir du chiffre d’affaire. Certains préconisent même sa suppression car on considère qu’il s’agit d’un impôt archaïque.

Sauf qu’en Algérie, la TAP reste importante par rapport à la fiscalité locale car elle est la principale source de recette des collectivités territoriales.

Réforme fiscale : « Un des chantiers urgents à mettre en œuvre »

L’atomisation des commerces et la part de l’informel dans ce secteur sont-elles dangereuses ?

L’économie algérienne est arrivée à une situation où elle ne peut plus continuer à fonctionner comme par le passé, c’est-à-dire sur la base de la rente pétrolière, des activités informelles dans presque tous les secteurs, les nombreuses subventions étatiques, un climat des affaires délétère, etc.

S’il y a volonté de changement, c’est tout l’écosystème qui doit muter pour donner lieu à un environnement adéquat à la diversification, à la compétition saine, à la valorisation du travail, à la bonne gouvernance, etc.

Quid de la réforme fiscale ? 

 La réforme fiscale est l’un des chantiers urgents à mettre en œuvre. Tout d’abord, il y a la question de fond qui est l’équité devant l’impôt de tous les contribuables.

Ensuite, il est nécessaire de procéder à l’actualisation de certaines bases d’imposition, en plus d’un élargissement et d’une organisation de l’assiette fiscale.

Cependant deux problèmes importants se posent aujourd’hui en matière fiscale et qui font polémique : il s’agit de la fiscalisation de l’activité agricole et de l’amnistie fiscale !

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