CONTRIBUTION. « Je la battrai. Pas brutalement, juste normalement ». Telle est la réponse de cet homme, interrogé au hasard par un « micro-trottoir », à la question « Frapperiez-vous votre femme ? ». Diffusé en mars sur Ennahar TV, une chaîne de télévision algérienne, ce témoignage et plusieurs autres du même acabit ont déclenché un véritable tollé sur les réseaux sociaux.
Cette émission a révélé au grand jour à quel point la violence domestique s’est banalisée parmi de nombreux Algériens, contribuant à la perpétuation d’abus et privant les victimes de l’aide nécessaire. Interrogées pour les besoins d’un récent rapport de Human Rights Watch, des victimes algériennes de violences domestiques ont fait état de coups, brûlures et blessures à l’arme blanche infligés par leurs compagnons. Certaines ont également déclaré que leurs maris les empêchaient de travailler ou de fréquenter des amis ou même des membres de leurs familles.
Lorsque les femmes sollicitent une aide, elles se heurtent souvent à des obstacles considérables au lieu de recevoir l’assistance dont elles ont besoin. Leurs familles refusent de les aider. La police les congédie ou donne rarement suite à leurs plaintes. Et nombre d’entre elles sont dans l’incapacité de trouver refuge ou d’obtenir toute autre aide d’urgence.
En décembre 2015, le Parlement algérien a adopté la loi n°15-19, qui inscrit certaines formes de violence domestique dans le Code pénal. La Tunisie et le Maroc, quant à eux, continuent d’examiner des projets de loi visant à réprimer la violence à l’égard des femmes.
Bien que l’Algérie ait été la première à légiférer en ce domaine, le texte est insuffisant. Les changements positifs comprennent des peines accrues pour voies de fait contre un conjoint ou des membres de la famille, et la criminalisation de la violence psychologique et économique exercée contre des conjoints.
Les codes pénaux de la Tunisie et du Maroc prévoient des peines accrues pour voies de fait contre certains membres de la famille mais ne criminalisent pas les formes psychologiques et économiques de la violence conjugale. Cependant, les projets de loi tunisien et marocain vont plus loin que la loi algérienne en proposant une définition élargie de la violence à l’égard des femmes, qui comprend les aspects physique, psychologique, économique et sexuel, et en criminalisant les formes de violence familiale autres que les voies de fait.
Les réformes du Code pénal algérien comportent également des exceptions permettant d’annuler les condamnations ou de réduire les peines en cas de pardon des victimes à leurs agresseurs. Les recherches de Human Rights Watch ont conclu que les Algériennes, comme les femmes de nombreux autres pays, sont soumises à de fortes pressions sociales et économiques pour pardonner à leurs agresseurs, limitant ainsi la portée de la loi.
La loi algérienne, comme le Code pénal et le projet de loi marocains, proportionne la sévérité des peines encourues à des évaluations de l’incapacité physique des victimes, sans proposer de directives aux médecins légistes pour les aider à déterminer ladite incapacité dans les cas de violence conjugale. La loi omet de dire que le préjudice causé par ce type de violences peut résulter de coups répétés qu’un seul examen médico-légal ne peut établir avec précision. De plus, les traumatismes cérébraux, les troubles liés au stress, les sévices psychologiques ou encore l’isolement ne laissent pas de marques physiques.
Le cas de « Hassiba » (nom d’emprunt), paralysée du bras et de la jambe gauches, illustre parfaitement cette situation. Sa paralysie est consécutive à une lésion cérébrale causée par son mari qui lui a lancé une chaise à la tête. Toutefois, les tribunaux ont condamné ce dernier à deux mois de prison à peine et à une amende de 8.000 dinars (73 dollars). La lésion de Hassiba a été traitée comme une infraction mineure, la justice s’appuyant sur le rapport du médecin légiste, selon lequel l’attaque n’a occasionné que 13 jours d’incapacité — en dépit, affirme-t-elle, d’examens médicaux effectués plus tôt ce jour-là, qui ont révélé que certains nerfs crâniens avaient été touchés, provoquant la paralysie de ses deux membres. En vertu du Code pénal, les peines les plus sévères entrent en vigueur à partir du quinzième jour d’incapacité, acté par un médecin légiste, et les blessures à l’origine d’un handicap permanent peuvent être sanctionnées de peines d’emprisonnement allant jusqu’à 10 ans — une durée portée à 20 ans en vertu de la loi n° 15-19.
La loi algérienne porte sur la criminalisation. Mais d’autres réformes devraient s’inspirer du projet de loi actuellement à l’étude par le Parlement tunisien, qui comprend des éléments clés en matière de prévention, de protection et de poursuites judiciaires dans la lutte contre la violence conjugale.
Les ordonnances de protection (également appelées injonctions restrictives temporaires), par exemple, se sont avérées être, partout dans le monde, un moyen utile de prévenir de nouvelles violences. De telles ordonnances peuvent contraindre l’auteur présumé à quitter le foyer familial, à rester à distance de la victime et de ses enfants, à restituer ses armes et à s’abstenir de commettre des violences, de se livrer à des menaces, d’endommager des biens ou d’entrer en contact avec la victime. L’Algérie ne propose pas de telles protections, exposant les femmes à des risques de violence et à des menaces de représailles si elles demandent de l’aide.
Le projet de loi tunisien prévoit à la fois une protection immédiate en retirant l’agresseur présumé du foyer et des ordonnances de protection de plus long terme qui ne dépendent pas d’une procédure pénale ou d’une procédure de divorce.
La loi algérienne n°15-19 passe également sous silence les foyers et l’assistance à prêter aux victimes de violences conjugales. L’Algérie, un pays de 41 millions d’habitants, ne dispose que de trois foyers publics pour les femmes victimes de violences. Le gouvernement laisse plutôt aux organisations non gouvernementales le soin d’administrer les foyers, qui sont rares, sous-financés et concentrés dans les zones urbaines.
L’Algérie pourrait bientôt être éclipsée par ses voisins dans la prévention adéquate de la violence conjugale, la protection des victimes et les poursuites de leurs agresseurs en justice. Le gouvernement devrait prendre la défense des femmes et lutter contre la violence conjugale, notamment en veillant à ce que la police et les procureurs soient formés et motivés à enquêter et à poursuivre.
L’État algérien devrait également aider à mettre les victimes en sûreté, y compris dans les situations d’urgence, en introduisant une loi portant sur la création d’ordonnances de protection et en finançant des foyers de femmes victimes de violence conjugale. Prendre de telles mesures, assorties des campagnes de sensibilisation de l’opinion publique mettant l’accent sur la tolérance zéro de la violence conjugale, est une étape déterminante pour changer les comportements mis en évidence dans l’émission télévisée. Battre une femme ne devrait jamais être considéré comme « normal ».
*Rothna Begum est chercheuse sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord auprès de la division Droits des femmes à Human Rights Watch. Suivez-la sur Twitter @Rothna_Begum.