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L’Algérie est-elle encore le pays du mouton ?

L’Algérie est-elle encore le pays du mouton ?

Cela fait longtemps que le port d’Alger n’avait pas vu passer autant de moutons. Dans les années 1950, l’Algérie en exportait.

La route qui longe le port d’Alger en a gardé la mémoire à travers son ancien nom : « La route moutonnière ». Aujourd’hui, l’Algérie, auparavant pays du mouton, en importe.

Après le cas d’importations ponctuelles de moutons de race mérinos en provenance d’Australie au milieu des années 1970, ces nouveaux arrivages ne passent pas inaperçus, comme en témoignent les commentaires sur les réseaux sociaux.

Nombreuses sont les personnes qui se demandent comment en est-on arrivé là. Certes, il faut compter avec la croissance de la population et l’amélioration de la ration alimentaire des Algériens. Cependant, selon l’angle considéré, les avis divergent.

Vues sous l’angle des besoins en eau nécessaire à l’élevage de ces animaux, les importations de moutons sont considérées comme positives. En effet, élever des moutons nécessite des fourrages et donc l’eau nécessaire à leur croissance.

Élevés en Roumanie, ces moutons auront donc consommé de l’eau roumaine, ce qui aura permis une économie des réserves locales mises à mal par la sécheresse qui a frappé de plein fouet l’Algérie ces dernières années. Dans le cas de l’élevage de bœufs, la production d’un kilo de viande nécessite jusqu’à 15.000 litres d’eau.

Considérées sous l’angle du budget de l’État, ces importations constituent une dépense en devises étrangères. Par ailleurs, ces sommes auront bénéficié aux agriculteurs roumains aux dépens des agriculteurs algériens.

Cependant, en ce mois de Ramadan, les moutons roumains auront permis d’approvisionner plus rapidement le marché local que ne le permet la production locale. Le consommateur s’y retrouve à travers la baisse des prix alors que ceux de la viande locale atteint des sommets à 2.800 dinars le kilogramme. Par ailleurs, s’agissant d’importation sur pied, certains seront rassurés de son caractère hallal.

Du côté des éleveurs de moutons, les avis sont partagés. Sur le marché à bestiaux de Hassi Bahbah (Djelfa), des éleveurs s’offusquent de la mesure. L’un d’eux la regrette amèrement : « Toute l’année, nous élevons nos bêtes et avec ces moutons qui viennent de l’étranger, on va devoir vendre les nôtres à moitié prix ».

Une affirmation qui mérite des observations plus poussées dans la mesure où la demande est plus particulièrement élevée en période de Ramadan. Par ailleurs, la production locale de moutons est très segmentée.

Dans la wilaya de Djelfa, le spécialiste en élevage, Mohamed Kanoun, a répertorié jusqu’à six types d’éleveurs qui vont des éleveurs naisseurs, occasionnellement engraisseurs à ceux spécialisés dans l’engraissement en passant par les éleveurs engraisseurs durant les périodes religieuses – Ramadan ou Aïd El Adha, chacune d’elle ayant ses spécificités.

Côté agronomie, les importations de moutons de Roumanie retentissent comme un relatif échec de la filière locale quant à sa mission d’assurer l’approvisionnement du marché.

C’est le cas d’Alviar, cette entreprise publique dispose de centres d’élevage, d’abattoirs ultra-modernes et d’ateliers de conditionnement de la viande. Elle tente d’innover en proposant aux éleveurs des accords triangulaires.

Le but est d’acheter leurs agneaux en échange de la fourniture par l’Onab d’aliment de bétail à prix administré. Son bilan semble insuffisant et c’est dans ce contexte que s’inscrit le récent changement de direction à la tête de cette entreprise.

À la place des agneaux élevés par les éleveurs locaux, le centre régional d’Alviar d’Aïn M’lila a ainsi réceptionné plus de 3.000 agneaux roumains. Dans une étable, un vétérinaire entouré de moutons confie à la presse : « Comme vous pouvez le constater, il s’agit d’animaux bien conformés et nos inspections ont montré une viande saine ». Ce centre régional devrait approvisionner les wilayas environnantes.

Est-il possible de faire mieux ? Avec 7 millions d’hectares de terres céréalières et d’une vingtaine de millions d’hectares de parcours steppiques, les potentialités de l’Algérie sont variées. À cela, s’ajoutent les surfaces irriguées du Sud consacrées à la production de fourrages.

Si sur le plan sanitaire, les progrès sont considérables du fait de l’importation massive de médicaments et vaccins ainsi que de la formation de vétérinaires, les insuffisances sont criantes concernant la production de fourrage. Les importations d’orge ne permettent pas de changer la situation.

L’Algérie importe des moutons de Roumanie

Le cheptel local fait face à un manque structurel de ressources fourragères malgré de récentes mesures de subventions accordées aux cultures de fourrages.

Fait aggravant, en Algérie, les éleveurs de moutons ne sont pas formés aux techniques modernes de rationnement et le cheptel ne fait pratiquement pas l’objet de sélection génétique. Nulle part dans les élevages n’est pratiquée la double pesée des agneaux. Une mesure pourtant simple qui ne demande que peu de moyens.

Il suffit de peser les agneaux quelques semaines après leur naissance pour connaître les capacités laitières des brebis, puis de les peser à nouveau après la période de sevrage.

L’éleveur peut alors être renseigné sur un deuxième paramètre : l’aptitude à la croissance des animaux. Actuellement, en l’absence de sélection, le cheptel algérien valorise mal le peu de ressources fourragères disponibles.

Si les zones steppiques sont étendues, leur productivité reste faible du fait de sols squelettiques et d’une faible pluviométrie. Le plus souvent, les plantations d’arbustes fourragers et la location des pâturages restent insuffisantes du fait de la trop forte densité de moutons.

Suite à la levée de l’indivision sur les terres de parcours, la steppe est l’objet de mutations. C’est le cas avec le défrichement anarchique et le développement de la culture de l’orge au-delà des quelques dépressions aux sols plus profonds.

Co-auteur d’une étude en 2021 sur la mobilité des éleveurs de la région de Djelfa, Mohamed Kanoun estime que : « Les moyens motorisés, les technologies comme les téléphones portables, le développement du réseau routier, des forages d’eau à travers le territoire national, la sécurité recouvrée ainsi que le prix abordable du carburant ont grandement facilité l’accès » aux déplacements des troupeaux de moutons sur de grandes distances.

Une mobilité que corrobore l’agronome El-Hadi Bouabdallah suite à un récent voyage d’études à Hassi Bahbah où des artisans se sont spécialisés dans l’aménagement des camions pour le transport des moutons.

Quant aux zones céréalières, une étude commanditée par les services agricoles fait remarquer que « les moutons mangent les miettes de la céréaliculture ». Du fait d’un faible développement des cultures fourragères, les moutons pâturent la maigre flore naturelle des terres laissées une année sur deux en jachère, bien qu’elles pourraient être semées d’espèces fourragères trois fois plus productives. Après la récolte des céréales, les animaux bénéficient certes des chaumes, mais à eux seuls, ils ne peuvent assurer la totalité des besoins des brebis gestantes.

Enfin, sous l’angle des nutritionnistes, si la viande de mouton apporte des protéines et donc des acides aminés essentiels, les légumes secs associés aux céréales en font de même.

Faudrait-il, après la période du Ramadan, revenir à la « diète méditerranéenne » de nos aînés ? Ce type d’alimentation, également appelé « régime crétois » privilégie la consommation de céréales, de légumes secs, d’huile d’olive et de fruits aux dépens de la viande.

Les récentes importations de moutons depuis la Roumanie peuvent être l’occasion de s’interroger sur les performances actuelles du secteur agricole et de nos habitudes alimentaires. Des interrogations à mener sous différents angles en ne perdant pas de vue la menace du dérèglement climatique actuel.

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