Économie

« L’Algérie ne vend pas à perte son pétrole »

Mohamed Said Beghoul, expert pétrolier, ancien cadre de la Sonatrach, revient dans cet entretien sur l’impact de la Covid-19 et de l’élection de Joe Biden sur le marché pétrolier, et si l’Algérie vent réellement son pétrole à perte.

L’élection de Joe Biden comme président des Etats-Unis va-t-elle rebattre les cartes sur le marché pétrolier ?

Mohamed Saïd Beghoul : Il faut rappeler, en effet, que les élections présidentielles américaines ont toujours eu un effet baissier d’environ 20 à 30% sur les prix du baril. L’élection de Joe Biden est un peu une exception  puisque les prix du WTI qui étaient de 35 dollars le 30 octobre 2020 ont grimpé à 37 dollars le 6 novembre puis à 42 dollars le 10 novembre, sauf que cette augmentation est à lier beaucoup plus aux dernières informations faisant état que les vaccins anti Covid-19 seraient disponibles durant le premier trimestre 2021, ce qui permettra une reprise de la consommation et donc une demande prometteuse. Ceci reste une spéculation valable pour le court terme étant donné que la course vers les vaccins ne suffit pas tant que l’OMS n’a pas validé leur utilisation, du moins à grande échelle. Donc, l’effet réel « Biden » sur le marché pétrolier ne peut être apprécié que vers mi-2021.

Des observateurs avancent un probable retour des USA à l’accord sur le nucléaire iranien, suggérant un assouplissement ou une levée des sanctions sur ce pays. Suivant ce scénario, quelle sera l’incidence sur le marché du pétrole et des exportations pétrolières iraniennes ?

Oui, Joe Biden, lors de la campagne électorale, a lancé des signaux forts quant à une politique moins hostile envers l’Iran et les musulmans, les énergies renouvelables, etc., soit une feuille de route (à l’Obama) en sens inverse à celle du président sortant Donald Trump. Cela pourrait permettre à l’Iran de produire plus, ce qui n’arrangerait pas les prix du baril. Mais ce ne sont que des discours pour le moment. Cela dépend aussi de la composition du Sénat contrôlé à seulement 49% (48 sièges sur 98) par les démocrates contre 51% (50 sièges sur 98) par les républicains. Il faut attendre janvier 2021 pour voir qui des démocrates ou des républicains vont gagner les deux sièges durant le second tour en Géorgie, même si le Parlement est à majorité démocrate. Si les deux sièges du Sénat reviendront aux démocrates (cas d’égalités), là, le poids de l’équipe Biden sera déterminant dans l’application de son programme, si non, si les deux sièges vont revenir aux républicains, Biden n’aura pas les mains tout à fait libres pour appliquer son programme, sinon il le fera difficilement.

En suivant les scénarios précédents, quel sera l’impact sur les prix du pétrole ?

Je crois que la Covid-19 est en train de défier les facteurs et les fondamentaux classiques du marché pétrolier dont l’offre et la demande, la géopolitique, etc. Tant que la pandémie persiste, elle reste le facteur principal dont va dépendre le prix du baril. C’est dire que les élections américaines n’ont pas d’effets notables immédiats sur les prix.

Quelle incidence sur l’Algérie ?

L’Algérie, à l’instar des pays producteurs, notamment rentiers de l’OPEP, est en crise économique depuis 2014, et je dirais même à chaque dégringolade du marché pétrolier. Les résultats des élections américaines n’ont absolument aucun impact direct sur l’économie algérienne. Cette dernière est sévèrement  impactée par les effets de la Covid-19 en ce sens que non seulement les prix du pétrole ont beaucoup chuté, mais aussi les volumes exportés ont reculé suite aux différentes coupes de production opérées par Sonatrach dans le cadre des accords OPEP+. C’est normal que nos recettes se voient doublement affectées mais indépendamment du profil du chef de la Maison Blanche.

Quelles perspectives à moyen terme en termes de rentrées en recettes des hydrocarbures pour l’Algérie ?

Imaginons le « best case » (meilleur scénario, NDLR) qui consiste en « zéro Covid-19 » à l’échelle mondiale. L’Algérie va pouvoir produire vers le million b/j et exporter près de 40% de sa production. À « zéro Covid-19 » on peut espérer un baril à 60 – 65 $. Là, nos recettes annuelles vont tourner autour de 35-40 milliards de dollars. C’est un peu la situation d’avant la Covid-19.

Maintenant, parlons du concret, des situations actuelles et à venir à moyen terme. Il faut reconnaître que ce n’est pas l’enfer mais pas le paradis non plus. Si la pandémie persiste, la situation va se dégrader davantage et le prix de référence de 40 dollars le baril fixé par le projet de loi de finances 2021 risquerait d’être caduc. Les prix peuvent tomber jusqu’à 35 dollars. N’oublions pas que notre équilibre budgétaire nécessite un baril à plus de 100 dollars. Un espoir tout de même : si la pandémie recule avec la généralisation du vaccin à l’échelle de la planète, il y a de fortes chances que les prix se stabilisent progressivement autour de 45-48 dollars, voire 50 dollars d’ici le printemps prochain. Auquel cas, le niveau de nos recettes va récupérer les 40% qu’il a perdus depuis l’avènement de la Covid-19.

« Vendre à perte est interdit par la loi sur la concurrence »

Même avec le bannissement de l’Iran des marchés pétroliers, l’Algérie vend à perte du pétrole, dixit un expert pétrolier. Dans quelle mesure cette affirmation est-elle vraie ?

Vendre à perte, je ne pense pas. Pourquoi ?  Vous vendez à perte un produit quand le coût de votre produit (prix d’achat et charges) est supérieur au prix de vente de votre produit. Tout le monde sait que le coût de production opérationnel de Sonatrach (OPEX- OPerating EXpenditure) auquel sont  ajoutées les CAPEX  (CAPital EXpenditure ou dépense en capital), désignant les dépenses d’exploration-développement, donne un coût de production global d’environ 14 à 15 dollars le baril. Il y a ceux qui disent qu’il est de 20 à 23 dollars le baril, etc. Toujours est-il que ça reste inférieur au prix du Sahara Blend (brut algérien) dans la majorité des cas. Les prix du baril du pétrole américain ont certes été négatifs en avril 2020, pendant quelques heures, et autour de 12 dollars (pour le Sahara Blend) pendant quelques jours mais là, c’est tous les producteurs du monde qui « vendaient à pertes ». D’ailleurs, vendre à perte est interdit par la loi sur la concurrence.

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