Économie

« L’Algérie n’est pas à l’abri d’un retournement du marché pétrolier »

Brahim Guendouzi, économiste, revient dans cet entretien sur l’état de l’économie algérienne, les risques de la réédition du scénario de 2014, l’intérêt de l’allocation chômage 

TSA. Le président Tebboune s’est montré satisfait jeudi des indicateurs économiques du pays, avec des réserves de change de plus de 60 milliards de dollars, une croissance économique de 4,1 % en 2022 et qui devrait atteindre 5 % en 2023…L’économie algérienne s’est-elle vraiment redressée ou c’est conjoncturel ? 

Brahim Guendouzi : Deux chocs externes ont influé sur le cours de l’évolution de l’économie algérienne. Le premier, négativement, du fait de la pandémie du Covid-19 et ses retombées économiques et sociales sur presque deux années de suite, ayant entraîné une récession économique.

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Le second, positivement, avec le conflit militaire russo-ukrainien, suivi d’une crise énergétique sans précédent sur le continent européen, entraînant une hausse sensible des cours du pétrole et des prix du gaz naturel, dont l’Algérie s’est trouvée de fait bénéficiaire de ces augmentations.

Dans les deux situations, l’État algérien a su prendre les mesures qui s’imposaient pour préserver un tant soit peu les équilibres économiques et sociaux, surtout dans un contexte inflationniste.

Au final, l’année 2022 a vu l’activité économique retrouver son cours normal, des exportations en hausse dégageant un excédent commercial et une consolidation des réserves de change.

TSA. En dépit de l’amélioration des indicateurs macroéconomiques, le chômage reste élevé avec plus de deux millions de chômeurs ayant bénéficié de l’allocation chômage, l’investissement tant national qu’étranger peine à se relancer. La confiance reste fragile. Quelle est votre appréciation de la situation économique en Algérie ? 

Brahim Guendouzi : La faiblesse dans la création de nouveaux emplois se ressent dramatiquement, particulièrement auprès des jeunes diplômés.

Le recul dans les dépenses publiques consacrées aux équipements, l’attente observée chez les investisseurs privés vis-à-vis de la nouvelle politique d’investissement, qui vient d’être rendue publique avec la loi n° 22-18 et ses textes d’application, le rapport de confiance dans l’environnement économique en deçà des espérances, ont fait que le niveau des investissements productifs soit encore faible pour dégager une nouvelle dynamique en termes d’emplois et de revenus.

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Aussi, est-il attendu pour cette année 2023, une consolidation de l’acte d’investir et ce, à travers les différents engagements sur lesquels les pouvoirs publics se sont prononcés à plusieurs occasions.

 L’installation de nouvelles capacités de production, particulièrement avec l’apport des investissements directs étrangers, dans des secteurs d’activités à forte valeur ajoutée, en plus des encouragements apportés à la PME/PMI, détermineront certainement la trajectoire de croissance économique à laquelle l’on s’attend pour espérer dégager les emplois de demain. 

TSA- Dans son dernier rapport, le FMI s’est félicité aussi de l’amélioration de la situation macroéconomique de l’Algérie grâce à la hausse des prix du pétrole, tout en mettant en garde contre la persistance de la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures. Ne faut-il pas saisir cette fenêtre de tir pour entamer de vraies réformes économiques capables de mettre le pays à l’abri des sursauts des cours du pétrole ?

Brahim Guendouzi : La situation de la balance des paiements et le niveau des dépenses publiques constituent globalement les points de fixation de l’évaluation du FMI de chaque économie nationale.

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Pour le cas de l’Algérie, l’amélioration des opérations courantes grâce à la conjoncture énergétique favorable mais également à l’effort consenti pour diversifier les exportations hors hydrocarbures constitue en soi une satisfaction, alors que le déficit budgétaire représentant près de 22 % du PIB, reste cependant source de préoccupation.

Même si la fiscalité pétrolière est en hausse, il y a un besoin pressant pour l’amélioration de la fiscalité ordinaire. Cela ne pourrait se faire que par la diversification économique et la création d’un grand nombre d’entreprises à même de faire densifier le tissu économique national.

D’où la nécessité d’aller vers un nouveau paradigme de croissance économique reposant sur l’intensification des investissements productifs, l’innovation et la bonne gouvernance. Cela nécessite alors un préalable, une action publique consensuelle !

TSA- Quels sont les moteurs de croissance que le gouvernement peut allumer pour se préparer à de nouveaux chocs pétroliers et surtout préparer l’après pétrole ?

Brahim Guendouzi : D’ores et déjà, quatre secteurs d’activité économique s’affirment en termes de croissance : l’agriculture et son interface l’industrie agro-alimentaire présentant un potentiel à l’export, les énergies renouvelables avec un segment porteur celui de l’hydrogène, la pétrochimie, particulièrement les activités liées à la production des fertilisants qui sont demandés sur le marché international, et enfin l’industrie pharmaceutique pour au moins sa contribution à la substitution aux importations.

Dans une vision de long terme, il est clair que le choix de l’économie de la connaissance s’impose et s’avère même un choix stratégique dès lors que l’économie mondiale fonctionne aujourd’hui sous la logique d’un nouveau modèle basé sur les technologies de l’information et de la communication.

La fonction numérique est devenue au centre des processus de création de valeur grâce à Internet haut débit, les big data, l’intelligence artificielle, la multiplication des appareillages connectés, etc.

L’économie algérienne ne peut se permettre de rester en dehors de ce processus de digitalisation à l’échelle planétaire, au risque de se voir marginalisée dans les chaînes de valeur mondiales sources de création des richesses et des emplois.

D’où la nécessité d’inscrire l’économie de la connaissance comme l’une des priorités dans la nouvelle approche portant organisation de l’économie nationale.

TSA- Le dinar algérien s’est apprécié ces derniers mois face au dollar. Lundi 9 janvier, le dollar était coté à 136,89 dinars algériens. Est-ce que c’est sa valeur réelle ?

Brahim Guendouzi : Le raffermissement du dinar par rapport au dollar et à l’euro, constaté à travers les cotations de devises publiées par la Banque d’Algérie depuis la fin du premier semestre 2022, est en partie dû à l’important solde positif du compte extérieur rendu possible grâce à la hausse sensible des exportations mais également au contrôle plus stricte appliqué sur les importations.

En second lieu, la détérioration des variables macroéconomiques dans les pays avancés comme le niveau élevé de l’inflation accompagné par une hausse des taux d’intérêt décidée par les Banques centrales comme réponse au processus inflationniste, entraîne une légère appréciation du dinar par rapport à d’autres monnaies particulièrement le dollar et l’euro et ce, conformément à la règle de la parité des pouvoirs d’achat des monnaies et son impact sur le taux de change effectif réel.

Certaines études économétriques font ressortir cependant la valeur surévaluée du dinar par rapport aux deux principales monnaies que sont le dollar et l’euro, avec lesquelles l’Algérie effectue ses paiements extérieurs.

TSA- En dépit de cette appréciation du dinar face au dollar, les prix des produits importés ne baissent pas. Pourquoi ? 

Brahim Guendouzi : En réalité la légère appréciation de la valeur du dinar n’a pu qu’atténuer un tant soit peu la hausse des prix des biens importés.

En effet, l’économie algérienne étant entrée dans un processus inflationniste du fait de la conjugaison de trois principaux facteurs :  la hausse des prix de la plupart des matières premières et semi-produits sur le marché international ainsi que les tarifs du transport maritime, la dépréciation du dinar face à l’euro et le dollar à la fin de 2021, et enfin les conditions dans lesquelles fonctionne actuellement  l’économie nationale particulièrement les dysfonctionnements constatés dans les réseaux de distribution, notamment ceux des produits de large consommation.

Aussi, est-il devenu urgent de prendre des mesures correctives afin d’endiguer la poussée inflationniste avant qu’elle ne se transforme en spirale dangereuse pour les équilibres économiques et sociaux du pays.

TSA- L’allocation chômage instituée par le gouvernement pour soutenir les demandeurs d’emploi est décriée à cause de ses effets néfastes sur le recrutement des agents. Des entreprises se plaignent de ne pas trouver de travailleurs dans le bâtiment, l’agriculture, etc. Faut-il la limiter dans le temps où imposer aux chômeurs bénéficiaires de prendre les emplois disponibles et qui ne trouvent pas preneurs ?

Brahim Guendouzi : La Loi de finance 2022 dans son article 190 a institué une allocation chômage au profit des chômeurs primo-demandeurs d’emploi inscrits auprès des services de l’Agence nationale de l’emploi (ANEM).

Le montant mensuel de cette allocation est de 13000 dinars et vient d’être augmenté à 15000 dinars. Les bénéficiaires sont essentiellement les diplômés des universités et les centres de formation professionnelle qui n’arrivent pas à décrocher des emplois.

Cependant, dès son application, une appréhension existait déjà quant à l’apparition de distorsions sur le marché du travail. Par ailleurs, la charge que représente cette allocation chômage dans le budget de fonctionnement reste à cerner.

Si cette année 2023, la marge de manœuvre est relativement aisée eu égard au niveau des recettes budgétaires en hausse, quelles en seraient alors les conséquences pour les années futures sur le plan des équilibres budgétaires ?

TSA- Ne faut-il pas mettre en place une aide similaire (allocation chômage), en forme d’incitations fiscales, aux entreprises qui recrutent sachant que les charges fiscales et parafiscales restent très élevées et n’incitent pas les petites entreprises à recruter ? 

Brahim Guendouzi : Effectivement, une politique incitative à l’intention des entreprises pour faciliter le recrutement des jeunes, surtout les diplômés, est fortement souhaitée, même s’il existe déjà un dispositif similaire dans le cadre de ce qui est appelé le filet social.

Au demeurant, le marché du travail reste problématique en termes d’offre et de demande de postes de travail en raison du problème de l’adéquation formation – emploi, qui n’arrive pas à évoluer compte tenu des nouvelles exigences en termes de recrutement, d’une part, et des profils de formation assurés, d’autre part.

TSA- Le ministre de l’Industrie pharmaceutique Ali Aoun a révélé cette semaine la situation précaire du groupe public Saidal. Dans son rapport, la Cour des comptes a dévoilé la situation catastrophique des entreprises publiques – à l’exception d’un nombre très réduit – qui sont devenues un gouffre financier pour l’État. Pourquoi les entreprises publiques sont-elles si mauvaises ? 

Brahim Guendouzi : La question de la situation financière des entreprises publiques économiques (EPE) qui relèvent des capitaux marchands de l’État, est devenue un véritable dilemme pour les pouvoirs publics.

Les capacités de production installées sont importantes ainsi que les savoir-faire accumulés et les emplois à sauvegarder, militent pour le maintien de ces entreprises en vie, alors que leurs structures financières déséquilibrées et leur niveau d’endettement, appellent à une liquidation.

De par le passé, plusieurs refinancements par l’intermédiaire du Trésor (rachat de dettes, apports de liquidités, etc.) n’ont pas donné les résultats escomptés.

C’est vrai que ces EPE, dans leur majorité, ont subi un désinvestissement qui les a affaiblies, d’autant plus qu’elles évoluent dans un environnement économique hostile et font souvent face à la concurrence déloyale des produits de l’importation.

Elles supportent régulièrement un sureffectif mais enregistrent également un déficit en management et des injonctions administratives à appliquer. La solution est pragmatique : c’est au cas par cas pour trancher sur des réalités microéconomiques complexes à tout point de vue, mais il faut le faire et non pas rester dans une position attentiste qui ne fera que fragiliser ces EPE.

En définitive, l’entreprise Saidal n’est pas aussi mal lotie de par son portefeuille- produits et sa ressource humaine, comparativement à d’autres entreprises publiques eu égard à la situation désespérante qu’elles vivent !

TSA-Le pouvoir d’achat des Algériens ne cesse de se dégrader. Le président de la République a décidé d’augmenter les salaires des fonctionnaires. Cette mesure est-elle bonne ? Est ce qu’elle est suffisante ?

Brahim Guendouzi : Tout d’abord, les décisions relatives à l’augmentation des salaires, les retraites et l’allocation chômage, qui viennent d’être annoncées ne sont pas une surprise dès lors qu’à plusieurs reprises le premier magistrat du pays a pris l’engagement de procéder à un rattrapage de la détérioration du pouvoir d’achat des ménages.

C’est également le cas pour le maintien des autres transferts sociaux (subventions de prix de produits de première nécessité, le logement social, etc.) alors qu’il était prévu dans la LF 2022 la suppression progressive du dispositif des subventions.

Ceci n’empêchera pas le gouvernement à enclencher dès maintenant un processus de réformes économiques touchant aussi bien les finances publiques que d’autres domaines, car l’enjeu pour les prochaines années est d’arriver à réaliser une croissance économique vigoureuse porteuse d’emplois et de revenus. L’économie algérienne n’est pas à l’abri d’un retournement du marché pétrolier international. La situation critique vécue en 2014 est encore vive dans les esprits.

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