L’Algérie vient d’être inscrite par l’Union européenne sur la liste noire des pays à haut risque en matière de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme.
L’argument avancé autour de cette décision est celui du respect des normes internationales, particulièrement celles établies par le Groupe d’action financière (GAFI), qui a placé, en octobre 2024, l’Algérie sur sa liste grise en raison de lacunes stratégiques dans son dispositif de lutte contre les crimes liés blanchiment d’argent et de financement du terrorisme.
Bien que l’inscription sur la liste grise du GAFI ne soit pas en soi une mesure punitive, mais elle suppose des contrôles renforcés sur les transactions financières entre l’Algérie et les pays étrangers. Cependant, cette inscription a affecté la notoriété du pays et complique ses transactions financières internationales.
Depuis octobre 2024, l’Algérie a pris des mesures strictes pour remédier aux failles signalées et renforcer son dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Elle dispose déjà d’un arsenal législatif en la matière et entretient des relations régulières avec le FMI et la Banque mondiale, qui l’aident à réformer ses institutions monétaires financières. La collaboration avec le GAFI a toujours été ouverte et stable. À cela, s’ajoute le volet coopération financière défini par l’article 79 de l’Accord d’Association avec l’Union européenne ainsi que la lutte contre le blanchiment d’argent prévue par l’article 87.
Blanchiment d’argent : interrogations sur la décision de l’UE d’inscrire l’Algérie sur sa liste noire
Au moment où l’Algérie intensifie ses efforts (mesures prises dans le cadre de la loi de finance 2025, numérisation en cours, etc.) pour sortir rapidement du classement contraignant dans lequel elle se retrouve, l’Union européenne vient d’annoncer l’inscription du pays sur sa liste noire des juridictions à haut risque en matière de blanchiment d’argent. Bien que s’appuyant essentiellement sur les critères techniques spécifiques au GAFI, cette inscription suscite de nombreuses interrogations, tant par son timing que par sa portée, et soulève une série de contradictions profondes.
1. L’Algérie a toujours été en première ligne dans la lutte contre le terrorisme avec un coût humain immense. Paradoxalement, certains États européens ont accueilli, protégé ou toléré, sur leur sol, des individus liés à des groupes extrémistes, sous couvert de liberté d’expression ou de procédures d’asile politique.
2. Au plus fort de la crise russo-ukrainienne, l’Algérie a rapidement répondu à l’appel des pays du Sud européen, en particulier l’Italie, l’Espagne et la France, en augmentant ses livraisons et en signant de nouveaux accords d’approvisionnement en gaz naturel. Il s’agit là de la responsabilité stratégique que l’Algérie a assumée en faveur de la stabilité économique et sociale européenne.
3. Comme dans de nombreux pays en développement, l’économie informelle en Algérie représente une part importante de l’activité économique. Cette réalité, qui inclut le commerce non déclaré, les petites entreprises non enregistrées, et des pratiques financières souvent non bancarisées, complique naturellement la traçabilité des flux monétaires et la lutte contre le blanchiment d’argent.
Les autorités européennes, les institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale, GAFI) et même les partenaires économiques ont depuis longtemps conscience de cette réalité algérienne. Ils savent que l’économie informelle ne peut pas être éliminée du jour au lendemain, et que sa gestion passe par des réformes graduelles, une meilleure inclusion financière et des mécanismes adaptés à ce contexte. Aussi, la récente surenchère européenne à propos des activités informelles, semble disproportionnée.
4. La décision de l’Union européenne de placer l’Algérie sur la liste noire des pays à haut risque en matière de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, ne peut être pleinement comprise sans prendre en compte le contexte géopolitique, et particulièrement la crise diplomatique avec la France.
Quel lien avec la crise entre la France et l’Algérie ?
Depuis plusieurs mois, les relations bilatérales sont marquées par des tensions croissantes, liées à des différends sur plusieurs questions importantes. Cela pourrait alors refléter une volonté de l’Union européenne de maintenir l’Algérie sous influence, alors que celle-ci s’inscrit déjà dans un processus de diversification de ses partenariats vers d’autres puissances régionales et mondiales (Chine, Russie, Qatar, Inde, Turquie, …).
5. Les marchés immobiliers de certains pays membres de l’Union européenne (France, Espagne, …), accueillent chaque année des centaines de transactions émanant de ressortissants de pays en développement, dont des Algériens. Ces opérations, bien que légales dans la forme, soulèvent des doutes quant à l’origine des fonds utilisés.
Dans de nombreux cas, ces achats sont réalisés sans emprunt bancaire local, en paiement comptant ou via des virements internationaux. Or, en Algérie, l’achat de devises à l’étranger n’est permis qu’aux importateurs agréés, ou à des fins très limitées (soins médicaux, études, voyages).
Et pourtant, ces transactions sont enregistrées, authentifiées, et protégées par le droit de propriété en vigueur. Aucun organisme local ne remet systématiquement en cause l’origine du capital, du moment que la transaction est bien libellée en euros et passe par un compte bancaire européen. En acceptant ces flux de capitaux sans diligence renforcée, les pays européens ferment délibérément les yeux sur l’origine réelle de ces fonds. Ils appliquent certes des règles anti-blanchiment sur leur propre territoire, mais n’interrogent pas l’origine extraterritoriale des capitaux.
En conséquence, il s’agit d’un choix économique assumé de la part de ces pays, qui profitent de l’entrée de devises dans leur système bancaire, de l’animation de leur marché immobilier et de la perception de taxes locales et nationales.
Cette attitude révèle une hypocrisie structurelle. D’un côté, l’Union européenne inscrit l’Algérie sur une liste noire en raison de « lacunes stratégiques » dans la lutte contre le blanchiment. De l’autre, certains de ses États membres accueillent sans sourciller des fonds dont ils savent pertinemment qu’ils n’auraient pas dû quitter leur pays d’origine. En d’autres termes, on exige donc de l’Algérie qu’elle contrôle étroitement ses flux, tout en profitant de l’opacité financière de certains de ses ressortissants pour alimenter l’économie européenne.
En conclusion, la lutte contre le blanchiment d’argent ne peut être crédible que si elle est globale, cohérente et équitable. Il est inacceptable que des pays membres de l’Union européenne profitent des failles des pays du Sud, comme l’Algérie, tout en les stigmatisant publiquement. Ce que l’on attend de l’Algérie (rigueur, transparence, discipline financière) doit aussi être exigé des États européens, en particulier lorsqu’ils deviennent les réceptacles de capitaux douteux. En définitive, l’Union européenne valorise le partenariat stratégique avec l’Algérie quand cela l’arrange (sécurité, énergie), mais revient à des postures technocratiques quand elle veut exercer des pressions.
*Economiste