Politique

« Le chef de l’État se réfugie derrière la Constitution »

Cherif Dris est politologue. Dans cet entretien, il revient sur la composante du panel de médiation avec le pouvoir. Selon lui, la composante du panel dénote une seule chose : que le pouvoir via la présidence n’est pas prêt à cautionner un processus ou une démarche qui échappe à son emprise.

Quelle est votre opinion sur le panel présidé par Karim Younès et sa composante ?

Cherif Dris : La réponse à cette question appelle trois observations. La première c’est qu’un panel est censé servir comme instance de médiation entre le peuple et le pouvoir. L’avènement de la révolte du 22 février a révélé le fossé qui sépare le peuple du pouvoir. Ce fossé est aggravé par l’absence d’acteurs qui pourraient servir d’intermédiaires.

Deuxièmement, parler de panel ne signifie pas jouer les bons offices, la méditation n’est pas la facilitation. Faire la médiation c’est être censé trouver des solutions ou aider à proposer des solutions.

Troisièmement, quand on dit une instance de méditation cela implique qu’elle soit acceptée de part et d’autre. Or, la façon avec laquelle ledit panel a été créé est problématique en soi. Du fait qu’à un moment donné, il y a eu ce charivari entre un acteur de la société civile, en la personne de M. Abderrahmane Arar (président du Forum civil pour le changement, NDLR) et les 13 personnalités qui ont été proposées. Par la suite, la présidence a proposé sa liste composée de six éléments.

À mon sens, la composante du panel dénote une seule chose : que le pouvoir via la présidence n’est pas prêt à cautionner un processus ou une démarche qui échappe à son emprise. Preuve en est, lors de son entretien accordé à quelques médias, le SG de la présidence, M. Noureddine Ayadi, a clairement délimité les contours, missions et les prérogatives de ce panel. Ce qui nous amène à dire que la présidence veut contrôler le processus et réduire le panel à une sorte de commission technique.

Autre élément qui est problématique en soi, c’est la confiance. Hier, lors des marches, il y a eu ce rejet quasi-unanime non pas du dialogue mais de la façon dont le dialogue est proposé.

Ce matin, le coordinateur du panel, Karim Younès, a mis en garde : si les engagements de la présidence ne sont pas respectés, le panel pourrait jeter l’éponge. Quel impact une telle déclaration peut-elle avoir ?

Dans l’absolu, quand on parle de processus il faut qu’il y ait des concessions de part et d’autre. Les personnes composant le panel ont placé la barre très haut. Il reste maintenant à savoir de quelle marge de manœuvre la présidence dispose-t-elle pour satisfaire les préalables.

Le chef de l’État se réfugie derrière la Constitution en disant que certaines choses sont impossibles à satisfaire dès lors que la Constitution ne le lui permet pas d’agir, comme le départ du gouvernement Bedoui.

Je crains fort qu’on aille vers une démarche minimaliste comme libérer les personnes arrêtée durant le Hirak ou l’allègement des dispositifs de sécurité et l’ouverture des médias publics…

Certains observateurs disent qu’à travers ce panel, le pouvoir n’a qu’une idée en tête, l’organisation d’une élection présidentielle. Est-ce réellement le cas ?

Tout à fait. D’ailleurs, je vous renvoie toujours à l’entretien du SG de la présidence. Pour la présidence, les élections constituent l’objectif prioritaire. Or, dans tout processus de changement, l’élection présidentielle n’est qu’une étape. Techniquement, il est possible d’organiser ces élections, en réunissant certaines conditions, mais celles-ci vont-elle convaincre les citoyens d’aller voter le jour j ? Toute la question est là.

Il y a tout simplement un problème de confiance. À mon avis, il y a deux visions des choses. D’une part, la vision du pouvoir pour qui l’horizon doit être la présidentielle. D’autre part, la grande majorité du peuple dit oui pour le dialogue ou encore d’accord pour les présidentielles qui ne doivent cependant pas constituer une finalité.

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