Le franc CFA, ami ou ennemi des économies africaines ? Le scandale qui a éclaté au Sénégal après qu’un polémiste a brûlé un billet de banque a relancé ce vieux débat.
Monnaie commune de 14 pays d’Afrique comptant 155 millions d’habitants, le franc CFA est accusé par ses détracteurs, comme le polémiste Kémi Séba expulsé début septembre du Sénégal, de favoriser les intérêts de la France, ex-puissance coloniale, tandis que ses défenseurs soulignent l’importance d’une monnaie commune stable.
La parité fixe avec l’euro est un gage de stabilité, soulignent de nombreux économistes qui pointent du doigt le Nigeria et le Ghana, deux pays qui traversent de fortes turbulences économiques et dont les monnaies flottantes – le naira et le cedi – ont dévissé ces dernières années.
Dans la zone franc, la stabilité du CFA rassure les investisseurs sur le long terme.
Pour Hervé Tao, un Franco-Ivoirien chef d’une entreprise d’import-export, l’avantage du franc CFA est clair.
« Ne pas avoir de problème de change et de gestion des écarts de change apporte un grand confort de travail », explique-t-il. « J’ai déjà travaillé avec la zone dollar, il faut sans cesse gérer les fluctuations monétaires et réétudier les prix des produits ».
Certes « la parité fixe apporte une stabilité aux économies africaines et permet de maintenir une inflation basse », reconnaît Noël Magloire Ndoba, consultant et ancien doyen de la Faculté des sciences économiques de Brazzaville.
« Mais l’arrimage à l’euro, monnaie forte, pose problème pour les économies africaines essentiellement agricoles ou minières et peu productives », nuance-t-il.
Opposant déclaré au CFA, Demba Moussa Dembélé, économiste et directeur du Forum africain des alternatives, juge que « le franc CFA est un frein au développement économique, car il ne profite pas aux petites et moyennes entreprises africaines ».
La liberté de circulation des fonds entre la France et la zone franc entraîne « une fuite des capitaux et des bénéfices des entreprises », note l’auteur du livre « Sortir l’Afrique de la servitude monétaire : à qui profite le franc CFA ? ».
« Les PME africaines n’ont pas accès aux financements bancaires à cause de la politique de restriction monétaire que les banques centrales africaines sont obligées de suivre, calquée sur celle de la Banque centrale européenne ».
– Réformer la parité –
« Les pays africains ont besoin d’une politique monétaire plus flexible, qui permette d’investir, de construire des capacités de production et des emplois », plaide M. Dembele.
« Le vrai problème c’est la structure des économies africaines, qui sont différentes entre les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest, les pays sahéliens et les pays pétroliers d’Afrique centrale », estime Jean Alabro, analyste financier et responsable de la stratégie d’une banque internationale.
Certains pays côtiers d’Afrique de l’Ouest jouissent d’une bonne croissance économique, tandis que les pays pétroliers sont frappés par la chute des cours de l’or noir, et que les pays sahéliens ont une économie faible, explique-t-il.
En finir avec le CFA, ou séparer les deux zones franc (ouest et est), mettrait fin au processus d’intégration régionale et entraînerait des risques de déstabilisation politique, qui conduiraient notamment à renforcer le terrorisme, craint M. Alabro.
« La zone franc est d’abord politique, en dehors des réalités économiques des pays. Le franc CFA est comme un patriarche qui est le seul à pouvoir réunir une famille divisée », résume-t-il.
Pour Noël Magloire Ndoba, « ce qu’il faut réformer, c’est la parité du franc CFA, en la calculant sur (la base d’un) panier de monnaies, l’euro, le dollar et le yuan chinois, (qui est) de plus en plus présent dans les échanges internationaux ».
La Chine est devenu le premier partenaire commercial et le plus grand créancier de nombreux pays africains, note-t-il.
Demba Moussa Dembélé plaide, lui, pour la création d’une monnaie commune africaine, pour « restaurer la souveraineté » des pays africains et leur permettre de gérer la question monétaire « en fonction de leurs priorités: l’industrialisation, le développement, la création d’emplois et de revenus pour les jeunes ».