Politique

Le peuple ne veut pas des trois « B » : que fera l’armée ?

On le savait, il faudra bien plus que le départ de Bouteflika et de ses frères pour calmer la rue algérienne. Pour le septième vendredi de suite, ils sont encore des millions à manifester à travers tout le pays.

À Alger, des centaines de milliers de citoyens ont investi les artères du centre-ville ce 5 avril. Certains étaient à la place Maurice-Audin et sur l’esplanade de la Grande poste dès les premières heures de la matinée. Comme d’habitude, il y avait beaucoup de femmes malgré la tentative malsaine de les dissuader.

Dans les autres villes aussi, les images sont quasiment les mêmes que celles des week-ends précédents. Seuls les slogans ont été adaptés aux développements survenus pendant la semaine.

Bouteflika a démissionné mardi 2 avril et il est déjà oublié. Les Algériens ne sont pas sortis pour fêter la victoire qui est supposée être son départ. La raison est simple : la démission de Bouteflika n’a jamais été une fin en soi, mais une première étape sur le chemin du changement qui passe par le démantèlement de tout le système.

Celui qui a dirigé l’Algérie pendant vingt ans fait désormais partie du passé. Ses frères aussi et tout son entourage. Ou presque. Il reste encore des « rescapés », beaucoup même, et le peuple a tenu à rappeler qu’il exige le départ de tous ceux qui incarnent le système décrié. Ce septième vendredi, le premier sans Bouteflika, a été aussi l’occasion pour les manifestants de faire une cinglante mise au point : ils n’ont pas fait tout cela pour prêter main forte à un clan dans sa guerre contre un autre. Le message politique est plus que clair, le peuple algérien veut un changement radical et il continuera à manifester jusqu’à sa concrétisation. « Vous allez tous partir. Tous, c’est tous ».

Les manifestants ont de nouveau fait preuve ce vendredi 5 avril d’une incroyable conscience politique. L’urgence pour eux est de « sauver » la transition.

Aussi, les nouveaux trois « B » étaient sur toutes les pancartes. Les formules diffèrent, mais le message est le même : les trois hommes sont unanimement rejetés. Abdelkader Bensalah, Noureddine Bedoui et Tayeb Belaïz, respectivement président du Conseil de la nation, Premier ministre et président du Conseil constitutionnel, sont ceux qui, conformément à la Constitution, devront gérer le pays durant les trois prochains mois et surtout le processus électoral à venir.

Le peuple ne leur fait pas confiance et on le comprend. Bensalah a passé ces vingt-deux dernières années sur le perchoir de l’APN puis du Sénat, Bedoui, avant de devenir Premier ministre le 11 mars dernier, avait fait ses preuves de « fidélité » comme ministre de l’Intérieur de Bouteflika et Tayeb Belaïz est considéré comme celui par qui le président démissionnaire avait verrouillé le jeu constitutionnel. Jusqu’à la dernière minute, il ne l’a pas trahi en refusant d’enclencher la procédure de sa destitution prévue dans l’article 102 de la Constitution, malgré l’état de santé du président et l’insistance de l’armée.

Le commandement de l’ANP a en effet donné un coup de main précieux au peuple, mais exigé que les choses se fassent dans le cadre formel des dispositions de la Constitution. Ce qui ne peut avoir deux significations si l’on s’en tient à la lettre de l’article évoqué. Les clés du pouvoir doivent être remises temporairement à Abdelkader Bensalah qui ne pourra changer ni le Premier ministre ni le président du Conseil constitutionnel.

Que fera l’armée maintenant que le peuple a unanimement rejeté cette option ? Sans doute qu’elle ne pourra pas remettre ça en en sommant le président du Sénat de démissionner, mais celui-ci peut toujours le faire de son plein gré d’autant qu’il n’est pas encore officiellement investi par le Parlement des charges de l’intérim. Belaiz aussi. Le vide constitutionnel ainsi provoqué pourrait ouvrir la voie à la désignation d’une instance présidentielle tel que réclamé par la rue et l’opposition. Ce n’est qu’une possibilité et d’autres voies pour une sortie de crise rapide et sans dégâts existent dans la Constitution même, notamment dans ses articles 7, 8 et 28, maintes fois évoqués par l’armée.

Une interprétation adaptée de l’esprit de ces clauses pourrait concilier le souci de l’armée de ne pas déborder le cadre constitutionnel et celui du peuple qui réclame une véritable transition. Quoi qu’il en soit, la balle est plus que jamais dans le camp de l’armée. Elle doit agir et vite. La crise n’a que trop duré et le peuple, qui a mis presque deux mois pour obtenir le départ de Bouteflika, ne peut pas attendre autant pour voir partir les trois « B », l’autre étape vers un changement radical et le départ du système. Avec toutes ses factions…

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