Économie

Le poids des subventions énergétiques de nouveau sur la sellette à la veille de la présidentielle

Les incertitudes politiques actuelles semblent favoriser une sorte de libération de la parole de nombreux responsables économiques algériens.

En tête de liste on trouve le ministre de l’Énergie, Mustapha Guitouni qui a affiché voici quelques jours la volonté de son département de cibler la subvention des prix de l’énergie électrique, en déclarant que « le soutien social au prix de l’électricité, doit aller seulement au nécessiteux ».

Outre le ministre, le PDG de Sonatrach, Abdelmoumen Ould Kaddour, a tiré la sonnette d’alarme le lundi 21 janvier en affirmant que la compagnie qu’il dirige « souffre pour pouvoir maintenir le niveau d’exportation » de gaz naturel.

« En matière d’exportation nous sommes au même niveau. Mais on souffre pour pouvoir maintenir le niveau d’exportation, d’autant plus que nous avons des contrats, donc on est obligé de les tenir. C’est compliqué », a affirmé Ould Kaddour lors d’une conférence de presse.

« Si on ne fait pas quelque chose en interne, si on n’arrive pas à stabiliser la consommation locale, on va continuer à souffrir. Il faut qu’on explique aux gens de ne pas laisser un climatiseur tourner 24h/24 ou de les laisser tourner quand vous en avez besoin », a préconisé le PDG de Sonatrach. « La lumière aussi. Toutes nos installations électriques fonctionnent au gaz. Donc laisser une lumière allumée toute la journée n’est pas profitable pour le pays », a-t-il déploré en outre.

« Il y a beaucoup de petites actions qui sont simples à faire. Il faut les éduquer, et qu’on s’éduque nous-mêmes », a plaidé Ould Kaddour.

De son côté, M. Guitouni continue de marteler que « le prix réel du kilo watt/heure revient à 12 dinars, alors que le citoyen n’en paie actuellement que 04 dinars».

En Algérie, selon Guitouni, le kw/h est facturé cinq fois moins cher qu’au Maroc pour la première tranche de consommation et encore 4 fois moins cher pour les « gros consommateurs » de la quatrième tranche qui ne sont pourtant pas dans le besoin.

Le ministre de l’énergie a ajouté que son département « est en train d’étudier la situation actuelle de la consommation de l’énergie électrique, pour pouvoir distinguer entre les gros et les petits consommateurs ».

En guise de hors-d’œuvre, le ministre livre quelques chiffres inédits. L’Algérie consomme entre 40 à 45 milliards de m3 de gaz par an, dont 10 à 12 milliards de m3 sont consommés par la population et 15 milliards de m3 par les grandes sociétés industrielles. Le reste, environ 20 milliards de m3, sert à produire de l’énergie électrique.

Une croissance fulgurante de la consommation

À la fin du mois de décembre dernier Mustapha Guitouni avait déjà fait la une de la presse grâce à des déclarations tonitruantes, formulées devant les députés, sur l’épuisement très proche de nos exportations de gaz en raison de la croissance accélérée de la consommation interne.

Guitouni pointe du doigt le gaspillage qui pousse Sonelgaz à produire des quantités supplémentaires qui lui coûtent des milliards de dollars par an. « Ce sont les prix trop bas en Algérie qui incitent à la consommation », affirme le ministre de l’Énergie.

Velléités réformatrices

Ces déclarations donnent-elles une indication sur la fin prochaine des subventions énergétiques ? Pas forcément. La situation actuelle rappelle par beaucoup d’aspects celle qui prévalait à la veille du 4e mandat du président Boutéflika.

Au printemps 2013, le Chef de l’État avait été hospitalisé pendant plus de 3 mois à l’hôpital du Val de Grâce à Paris pour soigner un AVC et beaucoup d’analystes et d’acteurs politiques annonçaient la fin de sa carrière.

Cette période avait été particulièrement fertile en prises de positions diverses sur des sujets économiques sensibles. On peut citer notamment celle du ministre de l’Industrie de l’époque, Cherif Rahmani, à propos de la nécessité de revoir le dispositif du 51/49. L’une des plus marquantes avait été certainement à porter au crédit de l’ex-ministre du Commerce, Bakhti Belaid, expliquant qu’il ne fallait plus « diaboliser l’endettement extérieur ».

On connait la suite, de retours aux affaires dès le mois de septembre 2013, le président Bouteflika avait remis les pendules à l’heure. Depuis cette date, la règle 51 /49, tout comme le refus du recours à l’endettement extérieur sont restés au cœur de la politique économique mise en œuvre par les gouvernements algériens successifs.

Près de 15 milliards de dollars par an de subventions énergétiques

Les déclarations récentes de nombreux responsables économiques algériens sur la nécessité de réformer rapidement notre système de subventions ne devraient cependant pas connaître le même sort.

Au cours des derniers mois les avertissements se sont multipliés et il est frappant de constater qu’ils viennent de l’intérieur même de l’appareil d’État.

Le 14 janvier dernier, sur les ondes de la Radio algérienne, c’est le directeur de la prévision au ministère des finances Sidi Mohamed Ferhane qui indiquait que les transferts sociaux « ont commencé à faire l’objet d’une étude destinée à examiner les conditions de réforme et de ciblage des subventions ».

Plus explicite, ce haut fonctionnaire précisait que sur la base d’une enquête de l’Office national des statistiques (ONS), relative à la consommation des ménages, il ressort que cette réforme devrait toucher en priorité, par le biais de taxes, les produits énergétiques (gaz, électricité et carburants) subventionnés à hauteur de 1 700 milliards de dinars ( près de 15 milliards de dollars ) pour la seule année 2017.

La planche à billet à la rescousse

Un peu plus tôt, le 23 décembre dernier, le Gouverneur de la Banque d’Algérie faisait une description détaillée des différents usages de la planche à billet.

Il signalait en particulier qu’elle est loin d’avoir servi au seul financement du déficit budgétaire C’est en réalité surtout le remboursement de la dette de l’État à l’égard de Sonelgaz et Sonatrach associée à la subvention massive des prix de l’énergie qui s’est jusqu’ici taillé la part du lion.

Mohamed Loukal révélait ainsi que dès le dernier trimestre de 2017, la première tranche du financement non conventionnel, qui s’est élevée à 2185 milliards DA, a été consacrée à hauteur de « seulement » 570 milliards DA au financement du déficit global du Trésor.

Le reste, dans sa plus grande partie, près de 1000 milliards de dinars, a servi à racheter les dettes contractées par l’État à l’égard de Sonatrach et de Sonelgaz en contrepartie du maintien des prix très fortement subventionnés de l’énergie.

Selon le Gouverneur de la BA, la situation était à peu près identique à fin septembre 2018 avec un montant de financement de 4.005 milliards DA reparti à hauteur de 1.470 milliards DA pour couvrir le déficit du Trésor public et de 2.260 milliards DA pour le financement de la dette de l’État.

Le soutien des prix ou comment en sortir ?

Le gel des prix des produits subventionnés sur une très longue période, suivi d’un ajustement brutal et douloureux en période de raréfaction des ressources financières est une expérience que l’Algérie a déjà connu au début des années 1990.

Comment éviter de se retrouver dans la même situation dans quelques années ? Le consensus sur le caractère globalement néfaste de la politique de gel des prix de l’énergie semble aujourd’hui s’élargir très rapidement dans le pays.

Alors que le décalage de perception entre les responsables du secteur de l’énergie et les décideurs politiques était devenu un classique de la gouvernance algérienne des dernières années, dans une période récente c’est le premier ministre, Ahmed Ouyahia lui-même, qui mettait en garde contre la « tronçonneuse » du FMI si les ajustements ne sont pas mis en œuvre « de façon souveraine » par le gouvernement algérien.

La parenthèse électorale de 2019 qui a vu, dans la Loi de finance adoptée pour cette année, un retour au gel complet des prix de l’énergie après 3 années de progression timide des prix des carburants et une augmentation unique du prix de l’électricité en 2016, devrait donc se refermer rapidement.

Même si la proximité de l’échéance politique du printemps prochain rend, dans ce domaine, les pronostics assez hasardeux, les indications en provenance de l’administration algérienne suggère que la réforme du système de subventions pourrait être lancée dès 2020 et qu’elle commencera par les prix de l’énergie.

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