Politique

Le pouvoir incapable d’imaginer une économie en dehors des hydrocarbures

Cent mille milliards de dollars d’actifs pourraient être perdus dans les prochaines années par l’économie liée aux énergies fossiles. Le chiffre n’est pas de Fares Mesdour, mais du géant bancaire Citigroup, cité par l’économiste américain Jeremy Rifkin.

L’économiste et essayiste américain estime que ce sera « la plus grosse bulle de l’histoire économique ». « La civilisation des carburants fossiles, qui est à la base des deux premières révolutions industrielles, s’effondre en temps réel », tranche-t-il.

Le terrible constat survient alors qu’en Algérie, pays qui vit exclusivement de ces énergies condamnées, sans perspective de s’en affranchir à terme, le débat fait rage sur la loi sur les hydrocarbures. Entendre le pétrole, le gaz naturel et même le gaz de schiste.

Pour faire simple, le schéma se présente un peu comme suit : le gouvernement, voyant venir une baisse drastique des recettes de l’Etat du fait du recul des quantités de pétrole et de gaz produites et exportées, a entrepris de réviser le texte de façon à attirer plus de capitaux étrangers et encourager l’investissement dans le secteur, y compris dans le très controversé gaz de schiste.

La rue et l’opposition politique, elles, crient au bradage des richesses de la nation, soupçonnant même les autorités d’offrir une sorte de « concession » pour obtenir le silence des grandes puissances sur les événements politiques en cours.

Et si tout le monde passait à côté du véritable débat et qu’au final, il n’y aurait rien à encourager ni à brader ? La question mérite d’être posée car l’analyse de l’économiste américain ne fait que conforter d’autres prévisions unanimement pessimistes concernant la place des énergies fossiles.

L’Algérie a toujours été hantée par deux spectres concernant son pétrole : la baisse des prix – qu’elle a eu du reste à subir à plusieurs reprises avec des conséquences sociales dramatiques – et l’épuisement des réserves. Le danger irréversible, celui de l’émergence d’énergies alternatives qui anéantiraient la valeur du fossile, personne ne l’a vu venir.

Une économie rentière condamnée à le rester

En 2014, le premier ministre Abdelmalek Sellal, interpellé au Parlement sur la réalité de l’épuisement annoncé des réserves pétrolières du pays, avait étalé tout sens de l’anticipation. « L’exploitation du gaz de schiste est inévitable. Ce choix n’est pas pour aujourd’hui mais nous devons préparer la sécurité énergétique des futures générations. L’Algérie ne pourra pas maintenir ses volumes d’exportation actuels à l’horizon 2030. Les réserves en hydrocarbures conventionnels suffiront juste à couvrir la demande nationale ».

En proposant de passer au schiste lorsque le pétrole conventionnel se sera épuisé, Sellal n’avait fait que traduire l’état d’esprit des dirigeants algériens : l’économie algérienne est rentière et devra le rester pour longtemps encore.

Développer l’énorme potentiel agricole et touristique du pays, ou saisir les opportunités qu’offre l’économie de la connaissance qui a fini par réveiller le géant chinois et les dragons de l’Asie, personne n’y a pensé. Pas même maintenant que la crise frappe aux portes, puisque le gouvernement qui gère les affaires courantes depuis sept mois n’a pas trouvé d’autre urgence économique à inscrire sur son agenda que la révision d’un texte censé attirer plus de capitaux pour l’industrie pétrolière. Des investissements qui risquent, au mieux de s’avérer inutiles, au pire de ne pas venir.

Il est même à se demander si les raisons de l’infructuosité des appels d’offres de Sonatrach, officiellement à l’origine de la révision de la loi sur les hydrocarbures, ne sont pas ailleurs que dans la fiscalité contraignante. Précisément dans le désintérêt croissant des majors mondiaux pour le fossile au profit du renouvelable.

La tendance est bien perceptible depuis au moins une décennie. D’année en année, la part du solaire et de l’éolien augmente inexorablement au détriment du pétrole, du gaz, du charbon et du nucléaire. L’évolution technologique a fait que le coût moyen des énergies nouvelles est déjà moindre que celui des énergies traditionnelles et la montée de la culture écologique, notamment en Occident, ne fera qu’accélérer l’abandon définitif du pétrole, du gaz et du charbon.

Jeremy Rifkin le prévoit pour 2028. C’est-à-dire dans moins de dix ans. Hélas, l’Algérie ne s’y est pas préparée et ne s’apprête pas à le faire. Même le très ambitieux projet Desertec, prévoyant d’alimenter l’Europe en électricité solaire produite dans le Sahara, a été abandonné sans débat.

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