Comme en Espagne, ces jours-ci en Algérie il a fait 30°C. Les pluies et la neige de décembre ne sont plus qu’un lointain souvenir. Dans ce contexte de manque d’eau, la culture de certains fruits comme la pastèque pose problème.
L’air chaud a desséché le sol. Le spectre d’un retour de la sécheresse est dans tous les esprits. Une situation qui amène à s’interroger sur l’utilisation des ressources locales en eau.
Plusieurs signes témoignent de l’ampleur du manque d’eau. Si les oranges ont bénéficié des pluies automnales, les légumes d’hiver tels les navets sont plus rares sur les étals. Quant aux éleveurs de moutons, ils signalent le manque d’herbes des parcours et à Laghouat ils ont déjà recours à des apports d’orge pour nourrir leurs bêtes.
Pourtant en décembre et durant les premières semaines de janvier les pluies ont été généreuses. Encore récemment sur les réseaux sociaux, l’hydrologue Malek Abdesselam faisait état du barrage de Taksebt (Tizi-Ouzou) dont le niveau a gagné « 1,5 mètre et quelques millions de m3 d’eau en 8 jours ».
Il signalait également la crue de l’oued El-Harrach et du Sebaou avec un débit journalier de 2 millions de m3. En tant qu’observateur attentif, il suggérait de « récupérer une partie des volumes qui rejoignent la mer pendant la saison des pluies. Freiner la course des eaux vers la mer en les captant et stockant dans les oueds et par dérivation et pompage, en souterrain (alimentation des nappes souterraines) et vers des barrages limitrophes ».
De leur côté, rassurés par ces pluies, les agriculteurs semaient à tour de bras du blé à tel point que cette frénésie de semis a provoqué des tensions sur le marché des semences tant celles-ci étaient recherchées.
Travaux de transfert et d’interconnexion
Face au manque d’eau récurrent de ces dernières années, notamment à l’ouest du pays, les pouvoirs publics ont adopté des mesures radicales.
Ainsi, suite à l’assèchement du lac de barrage de Djorf Torba, un projet de transfert d’eau est en cours. Bien que moins ambitieux que celui amenant de l’eau d’In Salah vers Tamanrasset, il s’agit d’un projet mobilisant d’énormes moyens.
Sur 200 km, une armada de pelleteuses réalise une tranchée devant accueillir une canalisation de gros diamètre. Elle devrait acheminer l’eau venant d’une vingtaine de forages situés dans la wilaya de Naâma vers la ville de Béchar. Les réservoirs et les stations de pompage sont en cours d’achèvement.
Partout en Algérie, les opérations d’interconnexions entre les retenues d’eau visent à sécuriser l’alimentation des villes en eau potable. Malgré ces efforts, des citernes en plastique se multiplient sur les terrasses et balcons de nombreuses villes algériennes.
Des usagers ont également recours à la livraison d’eau par l’intermédiaire de camions citernes. Une activité dûment contrôlée à travers les analyses d’eau auxquelles doivent se soumettre ces transporteurs privés.
Agriculture, une redevance sur l’eau
En Algérie, plus de 70 % des ressources en eau sont utilisées par le secteur agricole. Aussi, pour les responsables des services de l’hydraulique, toute opération de rationalisation dans l’utilisation de cette eau ne pourrait que se traduire par un surplus destiné à l’adduction en eau potable des villes.
La loi de 2005 sur l’eau encourage les agriculteurs à adopter les moyens les plus appropriés afin de ménager les ressources en eau et prévoit une redevance sur l’eau, cependant actuellement non perçue.
Différentes études universitaires soulignent que cette gratuité de l’eau d’irrigation ne milite pas en faveur de son utilisation rationnelle.
Comme le font remarquer des enquêtes, pour de nombreux agriculteurs l’eau souterraine reste un « bien de l’État » mais c’est aussi un « bien et un don de Dieu » pour « une eau à soi ».
Aussi, des investisseurs vendent l’eau de leur forage aux agriculteurs auxquels ils louent les terres sur lesquelles ceux-ci ont installé des serres. Ces dernières années, à la faveur de la réduction des coûts de réalisation des forages, un marché privé de l’eau s’est développé.
En absence de redevance, les propriétaires de forage ont tout intérêt à augmenter les prélèvements d’eau pour un usage individuel ou pour la vendre.
Co-auteur d’une étude sur la gouvernance de l’eau, Ali Daoudi de l’École nationale supérieure d’agronomie d’El Harrach (Ensa) soutient que la redevance peut permettre « d’inciter à limiter les prélèvements sur la nappe, sans être un frein au développement agricole ».
Cependant, afin que celle-ci devienne « un instrument de contrôle et de gestion efficace des prélèvements de l’eau souterraine » elle devrait être justifiée et légitimée auprès des agriculteurs.
Et l’auteur de poser deux conditions : les impliquer « dans la conception et la mise en œuvre du dispositif de prélèvement et d’affectation de la redevance » et que la redevance contribue à l’entretien et au développement des équipements d’irrigation.
Si de nombreux forages ne sont pas dotés de compteurs volumétriques, leur consommation d’électricité renseigne néanmoins sur les quantités d’eau prélevées.
Des gisements d’économies
D’autres gisements en matière d’économie d’eau d’irrigation existent et ils ne sont pas négligeables. C’est le cas des champs de pomme de terre et d’oignon le plus souvent arrosés par aspersion avec des tuyaux posés au sol et sur lesquels sont branchés des asperseurs.
Ce système représente un énorme progrès par rapport à la traditionnelle « seguia » ou irrigation à la raie. Cependant, par rapport à l’irrigation localisée par goutte à goutte, l’aspersion s’avère un mode gourmand en eau et en énergie.
La situation est telle que quand le niveau de l’eau puisée dans la nappe vient à baisser et que les autorités locales refusent, à juste titre, d’autoriser des forages plus profonds, les agriculteurs qui pratiquent ce type d’irrigation déménagent. Ils se déplacent vers des wilayas aux nappes d’eau plus accessibles.
Ce type d’agriculteurs qualifiés d’entrepreneurs itinérants du fait de leur hyper spécialisation ont migré au cours des années de Mascara vers Rechaïga (Tiaret), Aïn Defla ou Aflou.
Un autre gisement d’économie en eau réside dans le choix des cultures. En décembre dernier, lors d’une tournée dans une exploitation agricole, le wali de Tiaret a indiqué qu’il était prêt à apporter aux agriculteurs toute l’assistance nécessaire mais que cela excluait les producteurs de pastèques, une culture gourmande en eau.
La culture de ce fruit qu’on retrouve toute l’année sur les étals des commerces en Algérie doit obéir à des règles strictes pour préserver les ressources en eau disponibles et les réserver aux cultures stratégiques.
Entre les arbres fruitiers également les besoins varient. Un pistachier ne demande que 290 mm d’eau par an et un olivier seulement 500 mm alors que les pommiers en réclament jusqu’à 900 et les agrumes 1.200.
Des usagers concernés
Au-delà des agriculteurs, les architectes et urbanistes sont également interpellés sur la façon dont il est possible de favoriser l’infiltration des eaux de pluie et concourir ainsi à la recharge artificielle des nappes.
Au vu des surfaces occupées, les agriculteurs sont en première ligne quant aux pratiques à mettre en œuvre pour favoriser cette infiltration.
Depuis le sens des labours perpendiculaires à la pente jusqu’à la plantation de haies, le registre des techniques est varié.
Contrairement à leurs homologues européens, en Algérie, il n’existe cependant aucune subvention pour inciter les agriculteurs à adopter des Mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC).
Bien que la loi de 2005 sur l’eau insiste sur la nécessité d’une utilisation durable de cette ressource, les autorisations de forage accordées actuellement aux agriculteurs le sont sans qu’aucune condition ne soit posée.
Notamment celle de contribuer à la mise en place de dispositifs simples limitant la réduction du ruissellement des eaux de pluie.
Or, que ce soit dans les zones steppiques ou dans le Mzab, de tout temps les agriculteurs ont rivalisé d’imagination pour utiliser les pluies et les crues d’oued. On peut se demander dans quelle mesure ce type d’approche pourrait être adapté et généralisé à d’autres régions.
Le manque de pluies interpelle toute la société. Les pouvoirs publics y ont répondu par des projets tel le dessalement de l’eau de mer, l’édification de barrages et des travaux d’interconnexion.
Il s’agit là d’un premier volet d’une politique de l’offre. Un second volet existe et concerne la politique de la demande en eau, il implique tous les Algériens.
À l’avenir, il pourrait amener chacun à réfléchir à sa façon d’utiliser l’eau ; ce qui peut amener à des choix déchirants dont celui de s’interroger par exemple sur sa consommation de pastèques.