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L’énigme Ahmed Ouyahia

L’énigme Ahmed Ouyahia

Sidali Djarboub / NEWPRESS

Depuis son retour aux affaires, il ne laisse personne indifférent. À la tête du gouvernement depuis le 15 août, Ahmed Ouyahia multiplie les sorties et les déclarations, avec une préférence pour les sujets clivants. Dans ses déclarations, il souffle le chaud et le froid et se positionne sur des questions politiques qui ne relèvent pas forcément de ses prérogatives de Premier ministre.

« Le commis de l’État » ne veut plus être un trois-quart de Premier ministre et il le fait savoir.

Tout en réitérant régulièrement son soutien absolu au chef de l’État, Ouyahia semble vouloir donner une nouvelle image de lui, celle de l’homme politique qui décide et qui tranche, dans une tentative d’effacer celle de « l’homme des sales besognes ». Une démarche qui n’est pas sans risque, surtout dans le contexte actuel.

À peine nommé, il a été rappelé à l’ordre  

Le 21 septembre à l’APN, le Premier ministre prend la parole pour répondre aux députés au terme des débats sur le plan d’action du gouvernement. Ouyahia s’attaque violemment à l’opposition « radicale ». Ses principales cibles : le FFS et le RCD et le MSP. Ses arguments pour justifier une telle attaque : défendre le pouvoir accusé par les partis concernés de « mafieux » et de « voyou ». On a rarement vu Ouyahia s’emporter publiquement de la sorte. Le Premier ministre semblait perdre son sang-froid.

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En tenant des propos aussi violents à l’égard de ces partis, Ouyahia s’inscrivait en porte à faux avec les tentatives du pouvoir de calmer l’opposition essentiellement à la veille des joutes électorales. Le pouvoir a tout fait pour convaincre la majorité des partis de prendre part aux élections. Et beaucoup de partis ont accepté de jouer le jeu, même s’ils savent que les jeux sont faits d’avance.

Mieux : l’été dernier, lors de la nomination de Tebboune, il a été question d’ouvrir un dialogue avec l’opposition. Un appel au dialogue, réitéré le 6 septembre dernier par le chef de l’État lors du premier conseil des ministres avec le gouvernement Ouyahia.

« Il appartient donc à chacun de nous, par de-là tout clivage, y compris politique, de s’associer à la préservation de l’indépendance économique et financière du pays par l’adhésion aux réformes et aux efforts que cela requiert », affirmait le chef de l’État, selon le communiqué du Conseil des ministres. En période de crise, le pouvoir n’a pas besoin d’ouvrir un nouveau front avec l’opposition. Or, c’est un peu ce que venait de faire Ouyahia au Parlement.

Ouyahia est rappelé aussitôt à l’ordre par la Présidence, dans un scénario qui nous rappelle étrangement l’épisode Tebboune. Le changement dans le ton est tout simplement extraordinaire. Le 28 septembre, au Sénat, le même Premier ministre invite l’opposition au dialogue et décrit les débats contradictoires au Parlement comme un signe de vigueur démocratique dans notre pays.

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L’autre reproche qui a été faite à Ouyahia concerne ses attaques contre Boukrouh. Pour la Présidence, ces attaques renforcent l’image d’opposant de Boukrouh et alimente de fait le débat sur la santé du chef de l’État et sa capacité à diriger, principal sujet développé par le fondateur du PRA dans ses interventions.

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Là encore, Ouyahia a reculé. Après l’avoir menacé de recourir à la justice par le biais de son porte-parole au RND Chihab Seddik, Ouyahia a calmé le jeu à l’APN sous prétexte que ce genre d’action fera de Boukrouh « une victime ».

Les raisons « du chaos » ?

De l’Algérie, le Premier ministre Ouyahia projette depuis son retour l’image « d’un pays en faillite », même s’il prétend le contraire. En déclarant aux sénateurs que sans la planche à billets, l’État n’aurait été pas en mesure de payer les indemnités de novembre des parlementaires, le Premier ministre venait de déclarer tout bonnement la « faillite de l’État ».

Pourquoi a-t-il tenu ce discours ? Ouyahia s’est présenté au Parlement sans pression et de surcroît avec toutes les garanties politiques possibles et envisageables. Il n’avait aucune crainte de voir son plan rejeté ou par miracle de voir la majorité signer une motion de censure contre son gouvernement. La mise en place de la planche à billets était acquise : une simple formalité qui sera expédiée en moins de « 15 jours », selon les volontés exprimées par le Premier ministre.

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Dans ce contexte, il aurait bien pu mener son discours sur le thème des « perspectives et réalisations de l’économie nationale » cher au pouvoir, en évoquant des difficultés passagères. Mais Ouyahia fait un tout autre choix. En évoquant publiquement ces difficultés financières, Ouyahia venait d’acteur l’échec de près de 20 ans de gestion du président Bouteflika. Il a donné par la même occasion de solides arguments à l’opposition pour critiquer la gestion du chef de l’État, créant un véritable malaise au sommet.

Hier, dans une démarche inhabituelle, le ministère des Finances a rendu publiques les données financières du pays pour deux périodes : jusqu’à la fin mai 2017 et jusqu’à la fin mai 2018. La première période correspond clairement à la gestion Sellal. Les deux tableaux montrent clairement que l’Algérie n’a jamais été en situation de faillite. Le message est clair : Ouyahia a noirci le tableau.

Quelle mission pour Ouyahia ?

De tels détails auraient-ils pu échapper à Ouyahia ? Peu probable. Tout comme l’annonce, dimanche depuis Arzew, de l’ouverture du dossier gaz de schiste risque de créer des tensions dans les régions concernées par l’exploitation, notamment In Salah. Pire, Ouyahia reproduit les erreurs de l’ancien ministre de l’Énergie, Youcef Yousfi, en ordonnant à Sonatrach d’investir avant d’entamer les discussions avec la population locale. Des erreurs qui avaient coûté son poste au concerné.

Aujourd’hui, une question se pose : Ouyahia travaille-t-il sous les ordres de Bouteflika ? Depuis son retour aux affaires, Ouyahia semble opter pour une démarche très ambiguë. Parfois, il donne l’impression d’un homme qui a hérité d’un poste dont il ne voulait pas. Parfois, celle d’un Premier ministre qui a un objectif bien précis qu’il cherche à atteindre.

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