Économie

Les fausses bonnes nouvelles des exportations hors hydrocarbures

Les exportations de l’Algérie hors hydrocarbures ont atteint 1,55 milliard de dollars durant les 5 premiers de mois de 2021, en très forte hausse de 81,80 % par rapport à la même période de 2020.

L’annonce a été faite jeudi 1er juillet dans un communiqué du ministère du Commerce qui s’y réjouit de cette performance.

A y regarder de plus près, on peut se demander si l’économie locale est vraiment gagnante. Et en particulier le secteur de l’agriculture.

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Exportations de ciment et d’acier

Auparavant inexistantes, les exportations de ciment et d’acier font une percée remarquable. La fabrication de ces produits requiert de grandes quantités d’énergie.

Jusqu’à présent, en Algérie, les tarifs du gaz sont restés à des prix très compétitifs. Cela explique la présence d’investisseurs turcs ou français en Algérie.

Le sidérurgiste Tosyali a implanté une usine à Bethioua (est d’Oran). Le groupe Lafarge-Holcim Algérie dispose de deux cimenteries dans la wilaya de M’sila et à Mascara et a réalisé en 2019 une première exportation vers l’Afrique du Sud.

Les pouvoirs publics semblent avoir pris conscience du niveau de prix auquel le gaz naturel est cédé à ces industriels. S’il est intéressant d’utiliser le gaz naturel afin d’élaborer des produits à plus forte valeur ajoutée, tels le ciment ou l’acier, il s’agit également de veiller à un prix équitable de l’énergie utilisée pour leur fabrication.

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Exportations d’engrais azoté

Dans la liste du ministère du Commerce, deux autres produits attirent l’attention. Il s’agit de produits liés à l’agriculture : les engrais azotés et la mélasse.

Le communiqué du ministère du Commerce fait état de l’exportation de 412,26 millions de dollars d’exportation d’engrais minéraux et azotés.

Comme pour le ciment et l’acier, les engrais azotés nécessitent l’utilisation d’une grande quantité d’énergie. On comprend l’intérêt de GrupoVillar Mir, le partenaire espagnol d’Asmidal pour venir s’installer dès 2005 en Algérie. L’Espagne n’est pas connue pour être un pays riche en gaz naturel.

Concernant les engrais azotés, ce n’est pas le prix du gaz algérien qui est en cause, mais l’importance des exportations. Les agriculteurs locaux se plaignent de la parcimonie avec laquelle les CCLS leur cèdent les fertilisants.

Cela, alors que chaque année, 40 % des 7 millions d’hectares de terres à vocation céréalière sont laissés en jachère. L’incitation à leur mise en culture pourrait passer par une meilleure disponibilité des engrais.

Actuellement, les agriculteurs sont soumis à un véritable rationnement. Ils ne peuvent acquérir d’engrais azotés que dans la proportion d’un quintal par hectare cultivé.

Or, selon les années, la production de céréales peu requérir plus d’un quintal d’engrais par hectare. C’est le cas des années pluvieuses. Par ailleurs, lors de leur épandage par temps trop sec, une fraction non négligeable des engrais sous forme d’urée se volatilise dans l’air.

Cette norme d’un quintal par hectare est liée à des impératifs sécuritaires. En effet, certains engrais azotés tels l’ammonitrate, peuvent se révéler être de dangereux explosifs.

En témoigne la récente explosion du stock d’ammonitrate du port de Beyrouth et celle plus ancienne du dépôt d’AZF à Toulouse. Durant la décennie noire, l’engrais azoté de type ammonitrate a été utilisé à des fins terroristes. Aussi, en Algérie l’ammonitrate a été remplacé par l’urée.

Exportations de mélasse

L’urée produite par la société algéro-espagnole Fertial peut être utilisée en élevage des ruminants comme complément azoté dans les rations alimentaires. Or, cela est ignoré en Algérie.

C’est au milieu des années 1970 que des universitaires français ont montré à des étudiants algériens en thèse comment équilibrer des rations comprenant de l’urée.

La panse des ruminants contient une microflore capable d’utiliser cette forme d’azote à condition qu’elle soit accompagnée d’aliments riches en énergie : orge ou mélasse. Cette forme d’azote peut donc compléter celle qu’apportent traditionnellement les fourrages verts et les tourteaux de soja. Des produits dont la disponibilité est structurellement réduite en Algérie.

Cet étonnant intérêt des chercheurs français pour l’urée date de 1973. Il fait suite à l’embargo américain sur le soja à destination de l’Europe après une faible récolte.

La mélasse est un sous-produit de l’industrie locale du raffinage de sucre roux brésilien. Du fait de sa richesse en énergie, ce sous-produit peut être utilisé en alimentation du bétail.

L’industrie locale du raffinage compte plusieurs opérateurs dont Cevital qui en 2018 a exporté 600.000 tonnes de sucre. Le dernier communiqué du ministère du Commerce fait état d’exportations de sucre de l’ordre de 146,71 millions USD. C’est dire les quantités de mélasse produites localement. Cette mélasse peut être utilisée pour la fabrication de levure de bière et d’alcool chirurgical. Une partie est exportée dont 22.000 tonnes en 2017.

Mélasse et urée en sceau

À l’Ouest du pays, en raison d’une sécheresse printanière, le prix du quintal d’orge atteint 7.000 DA et celui du son 4.200 DA. En février dernier, face à la flambée des prix, des éleveurs sont allés jusqu’à organiser un sit-in devant le siège de la wilaya de Nâama.

Partout sur les marchés aux bestiaux, les éleveurs crient leur désespoir. En juin dernier, un éleveur de Tiaret confiait à Ennahar TV que « même el-farina [le blé tendre] atteignait les 4.000 DA ».

L’Office algérien des céréales (OAIC) cède le blé tendre d’importation aux industriels de la transformation au prix subventionné de 2.280 DA le quintal. Manifestement, une partie des quotas attribués aux propriétaires de moulins est détournée vers l’alimentation animale.

Les résultats de la recherche agronomique locale montrent que l’adjonction d’urée à l’orge peut permettre de réduire les quantités de ces grains tant recherchés par les éleveurs.

Méconnaissant l’intérêt d’une source d’azote ajoutée à la ration, ils forcent sur les quantités de grains distribuées aux animaux. Ce type de ration fortement déséquilibré donne une viande de piètre qualité car trop grasse.

En cette période de disette, des alternatives existent. Elles peuvent prendre la forme de bloc multi-nutritionnels et de mélanges de mélasse et d’urée coulés dans de simples seaux en plastique.

A l’étranger, l’utilisation de ce type de seaux polyvalents est courante dans les élevages. La mélasse peut même être versée avec un simple arrosoir sur de la paille ou du son.

Malgré la formation de centaines de techniciens et d’ingénieurs agronomes, on n’observe aucune action de vulgarisation dans ce sens sur les marchés aux bestiaux hebdomadaires où sont présents les éleveurs.

Comme quoi les bons chiffres des exportations hors-hydrocarbures peuvent parfois s’avérer être de fausses bonnes nouvelles.

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