Économie

Les incohérences du pilotage de la filière automobile en Algérie

Décidément, le développement d’une filière automobile dans notre pays est loin d’être un long fleuve tranquille. Dans le but de réaliser à très court terme une économie en devises sur les importations et apparemment obnubilé par ce seul objectif, le gouvernement Bedoui vient de modifier une nouvelle fois, de façon radicale, les règles du jeu, qui avaient été définies par ses prédécesseurs voici un peu plus de 2 ans.

Après les licences d’importations introduites début 2016 qui ont été suivie par l’interruption totale des importations et l’élaboration des cahiers des charges de 2017, les récentes mesures viennent confirmer l’instabilité chronique qui caractérise le cadre réglementaire au cours des dernières années. Elles soulèvent à propos de la gestion du secteur par les autorités algériennes à la fois des problèmes de fond et des problèmes de forme.

2 milliards de dollars pour 4 constructeurs

Sur le fond, les informations révélées ces derniers jours par TSA permettent d’en savoir plus sur le contenu précis des dernières décisions du gouvernement et ses effets probables sur la production pour l’année en cours.

Le gouvernement a décidé de revoir à la baisse à la fois la production et le nombre de modèles à assembler. Il a plafonné à deux milliards de dollars le montant des importations de kits CKD/SKD à répartir pour les quatre constructeurs qui sont autorisés à assembler des véhicules de tourisme en Algérie : Renault, Volkswagen, Hyundai et Kia. L’usine de montage de la marque chinoise Baic, qui ne disposait d’ailleurs pas de l’accord du CNI, est exclue du dispositif et n’a plus le droit d’importer.

Renault a obtenu 660 millions de dollars, Sovac (Volkswagen) 600 millions, Gloviz-Kia 380 millions et TMC-Hyundai 360 millions. Le gouvernement ne s’est pas contenté de fixer les quotas d’importation de kits, il a également décidé de limiter les modèles à assembler : trois pour Renault ( Symbol, Clio et Sandero), quatre pour Sovac-Volkswagen (Caddy, Golf, Octavia et Ibiza), trois pour Kia (Rio, Cerato et Picanto) et six pour Hyundai ( Tucson, Santa fe, Accent RB, Sonata, I20 et Creta.)

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Des conséquences immédiates sur la production, l’emploi et les prix des véhicules

Dans l’immédiat, ces « mesures d’urgence » prises par le gouvernement pourraient avoir pour première conséquence la fermeture de l’usine Baic. On peut s’attendre également à une réduction significative de la production des 4 autres usines d’assemblage existantes avec, selon nos sources, de probables mises en chômage technique des travailleurs au second semestre de l’année en cours.

La limitation des importations de kits au montant de 2 milliards de dollars suggère que la production totale des usines algériennes devrait descendre à un niveau proche de 150 000 véhicules en 2019 contre 200 000 véhicules montés en 2018.

On doit sans doute s’attendre également à une forte pression sur les prix des véhicules neufs assemblés en Algérie dans les prochains mois. Les usines en cours de fonctionnement ne seront en mesure de fournir qu’une partie de la demande nationale qui est généralement estimée, selon les sources, entre 200 et 300 000 véhicules par an. Dans le but de préserver au moins en partie leurs marges et de rentabiliser les investissements déjà réalisés, les constructeurs seront sans doute fortement tentés d’augmenter les prix des véhicules disponibles.

Des mesures dépourvues d’ancrage juridique

De nombreuses interrogations pèsent également sur la forme qu’ont adoptée les mesures annoncées par le gouvernement. Fidèle à une habitude solidement ancrée au sein de l’administration algérienne, ces mesures draconiennes n’ont été précédées d’aucune concertation avec les opérateurs de la filière qui se plaignaient au cours des derniers mois de ne trouver « aucun interlocuteur au sein de l’administration ». La décision de fixer les quotas a été signée le 20 mai par le secrétaire général par intérim du ministère de l’Industrie et des mines et a été communiquée par courrier aux entreprises concernées.

Interrogé par TSA, c’est un juriste algérien Mohamed Chemloul, qui tente d’éclairer les enjeux. Pour ce spécialiste des questions d’arbitrage, « On ne peut pas interrompre du jour au lendemain une relation contractuelle. Les constructeurs sont en droit de contester une décision qui remet en cause les conventions conclues entre les opérateurs, ainsi que leurs partenaires étrangers, avec le Conseil national de l’investissement (CNI) ».

Mohamed Chemloul ajoute que « les conventions signées avec le CNI ainsi que les cahiers des charges sont basés sur des business plans des entreprises qui prévoient des investissements ainsi qu’une montée en régime progressive de la production. Le contingentement des importations est un paramètre qui est susceptible de remettre en cause complètement la viabilité des projets ».

Parmi les « préjudices » éventuels subis par les entreprises, M.Chemloul mentionne non seulement « une réduction de la rentabilité des investissements réalisés mais également des difficultés de remboursements des emprunts contractés auprès des banques ».

S’agissant plus spécifiquement des investisseurs étrangers engagés dans les usines de montages autorisées et signataires des conventions avec le CNI, le juriste algérien mentionne également un « risque de recours à des arbitrages internationaux rendu possible par l’existence des accords conclus par notre pays sur la protection réciproque des investissements ».

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L’ensemble de la filière automobile en danger

Le pilotage de la filière automobile par les autorités algériennes est plus que jamais caractérisé par l’instabilité du cadre réglementaire ainsi que l’absence de concertation avec les opérateurs. Ce mode de gestion fait désormais peser un risque réel sur la viabilité de cette industrie dans son ensemble.

À terme, outre la révision en forte baisse des objectifs de la production nationale pour les prochaines années et des fermetures d’usines, les mesures annoncées par le gouvernement Bedoui courent le risque de compromettre définitivement les chances de voir se développer une industrie de sous-traitance automobile dans notre pays.

Comment imaginer le « respect strict », réclamé par le gouvernement, des dispositions des cahiers des charges sur l’augmentation des taux d’intégration dans le cas d’une production nationale réduite à environ 150 000 véhicules assemblés en 2019 et répartis entre 4 constructeurs ?

C’est en réalité l’ensemble de la filière automobile algérienne qui pourrait ainsi péricliter et les espoirs placés dans son développement qui risquent de s’effacer avec des constructeurs installés, réduits pour la plupart à des quotas de production minimes, qui vont fonctionner en mode « survie » et pourraient abandonner leurs projets de développements au cours des prochaines années.

Quelles options pour l’avenir ?

Dans le but de consolider une filière automobile naissante, le gouvernement algérien était appelé depuis de nombreuses années par beaucoup de spécialistes à s’appuyer sur un nombre limité de grands constructeurs plutôt que de continuer à compter sur une multiplicité d’intervenants. Les résultats, catastrophiques, des choix effectués dans ce domaine par les derniers gouvernements, qui ont multipliés les agréments à de nouveaux constructeurs en dépit du simple bon sens, étaient prévisibles et annoncés de longue date. Ils sont désormais visibles en clair et en temps réel.

À quelque chose malheur est bon et il s’agira peut-être d’une occasion pour un futur gouvernement issu de la volonté populaire et constitué de réelles compétences de remettre à plat l’ensemble d’un dossier qui a trop souffert d’une gestion incohérente et à courte vue.

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