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Les policiers face à la cyber-justice des manifestants

Les policiers face à la cyber-justice des manifestants

Depuis hier soir, son visage est partout sur Facebook. Le policier qui a gazé les manifestants depuis le toit d’un camion de police à la Grand Poste avant d’être éjecté par deux jeunes est virtuellement traqué : « C’est lui qui a gazé les manifestants en plein Ramdhan », « tu n’as pas honte »…

Le policier de la Grande Poste n’est pas le seul à être pris pour cible. Un officier, présenté comme le donneur d’ordre, est également pointé du doigt et sa photo partagée. « C’est cet officier qui a incité les policiers à charger les manifestants à la place de la Grande Poste ». Un autre policier est accusé d’avoir manqué de respect à une femme âgée : « Ce policier a tenu de gros mots à une vieille ».

Habitués à ficher les citoyens, les policiers sont désormais eux-mêmes traqués et désignés à la vindicte populaire par les internautes qui les ont vus à l’œuvre lors des manifestations. C’est une vraie psychologique qui leur est menée. « Les caméras du peuple sont partout », avertit d’ailleurs la légende d’une photo de policier prise hier à Alger.

Sur les réseaux sociaux de très nombreuses images de policiers en pleine action sont diffusées par des groupes ou des individus. Il s’agit de photos ou de vidéos où les « coupables » sont parfois clairement reconnaissables même sous leurs casques. Le but de la démarche est d’abord de les couvrir de honte aux yeux de leur entourage de sorte qu’ils n’aient plus à « récidiver ». Il faut inoculer en eux le sentiment de culpabilité afin de les inhiber, voire de favoriser chez eux  le sentiment d’insubordination. « Que diras-tu à ta maman quand elle verra ta photo où l’on te voit frappant les enfants de ta patrie dans le but de protéger la bande et les corrompus ? », est-il demandé à un policier en train d’arroser les manifestants de gaz lacrymogène.

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Chaque image soulève l’indignation. Elle est suive d’une avalanche de commentaires. Dans l’esprit de la « silmiya », il n’y a pas d’appels à la violence physique, au lynchage ou à la vengeance. Mais les insultes et les quolibets pleuvent. Il y a des bravades : « On n’a pas peur, la peur a changé de camp ». Il y a aussi des rappels éthiques et religieux pour réveiller la mauvaise conscience. Les manifestants affirment lutter aussi pour la dignité des policiers, « enfants du peuple » pareillement asservis et méprisés par la « issaba » au pouvoir.

Désormais, il sera difficile aux policiers de se saisir d’un lance grenade ou d’une lance à eau sans penser au risque d’être exposé au regard indigné et réprobateur des proches et des voisins. ce « bashing shaming » est une forme de justice populaire en attendant un jour hypothétique où ces images pourraient servir de preuves dans les procédures contre les violences policières comme cela se fait notamment aux États-Unis.

En France, c’est bien une vidéo prise par un jeune qui a fait chavirer le pouvoir du président français dont le garde de corps a été filmé en train de tabasser un manifestant. L’affaire Benalla est devenue un scandale d’État. La hiérarchie de la police est avisée : si la justice algérienne n’agit pas contre les dépassements de la police, la cyber-justice connait ses propres châtiments.

Le cyber harcèlement peut conduire à des drames. Pour avoir torturé un chat, un jeune Français a écopé de six mois de prison après avoir été filmé à son insu. Mais la vengeance digitale l’a poursuivi après sa libération : il a mis fin à ses jours.

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