Économie

Les priorités de Tebboune face à la réalité économique de l’Algérie

Le premier conseil des ministres de la Présidence Tebboune, qui s’est tenu dimanche, n’a pas dissipé le flou qui entoure le programme économique du nouveau Chef de l’État.

Le communiqué officiel de la présidence de la république détaille bien une série de « priorités » qui doivent servir à la confection du programme du gouvernement Djerad. Mais ces orientations présidentielles donnent une forte impression de « déjà vu et déjà entendu » au cours des 20 dernières années.

Le président Tebboune a ainsi évoqué « l’impératif d’appliquer un modèle économique solide basé sur la diversification. Un modèle économique affranchi des entraves bureaucratiques, qui génère la richesse et absorbe le chômage, notamment parmi les jeunes et qui soit à même de garantir la sécurité alimentaire pour mettre les Algériens à l’abri de la dépendance de l’extérieur ».

Rien ne manque à la liste des secteurs prioritaires évoqués par le nouveau locataire d’El Mouradia. À commencer par « les énergies alternatives et renouvelables avec pour objectif l’exportation, la consolidation de la présence sur le marché énergétique et la relance des grands projets d’exportation ».

Le secteur ayant été érigé en « priorité nationale » depuis près d’une décennie avec pour résultat des niveaux de réalisation très médiocres, il faudra encore attendre le programme du gouvernement pour en savoir plus sur la manière dont le nouvel exécutif compte rattraper le retard relevé par tous les observateurs depuis de nombreuses années.

Le reste du programme économique présidentiel est de la même veine. Tout y est prioritaire, voire urgent. Le chef de l’État a ainsi souligné « la nécessité d’un plan d’urgence pour le développement de l’agriculture, notamment saharienne, de l’industrie agroalimentaire et de la pêche outre la relance du secteur du tourisme, tous sources de richesse pour peu que l’appui nécessaire leur soit accordé ».

Rien de bien nouveau non plus pour les moyens utilisés puisque cet « appui nécessaire de l’État » se traduira par des « incitations fiscales au profit des entreprises, notamment des startup et PME, en veillant à l’allègement de l’imposition des entreprises génératrices d’emplois ».

La liste des « secteurs prioritaires » ne s’arrête pas là et on y trouve aussi, de façon très classique, ceux de la santé et de l’éducation.

Dans ce domaine, le président Tebboune a mis en avant « la nécessité d’un plan sanitaire intégré garantissant les soins adéquats aux citoyens avec l’examen de la manière d’augmenter la part du secteur de la santé dans le produit intérieur brut (PIB) en vue de construire des centres hospitaliers et de nouveaux centres hospitalo-universitaires répondant aux standards internationaux et d’améliorer les infrastructures existantes ».

Dernier exemple de ces priorités ressassées au cours des dernières décennies, le président de la république a insisté, dans ses orientations au gouvernement, sur « l’importance d’établir un lien entre l’université et le monde du travail afin qu’elle soit la locomotive de l’édification d’une économie nationale solide, qu’il s’agisse de l’économie traditionnelle ou du savoir, et ce à travers la création de pôles d’excellence universitaires ».

La question des ressources passée sous silence

Tous les secteurs de l’économie sans exception étant réputés prioritaires, on peut s’interroger légitimement sur la nature et le montant des ressources financières qui permettront de réaliser le programme présidentiel. Sur ce chapitre, les orientations du président Tebboune sont remarquablement discrètes et le communiqué de la présidence ne trouve pas un seul mot pour évoquer la situation financière de notre pays.

En revanche, il ajoute de nouvelles perspectives de dépenses en assurant que « l’État sera aux côtés des classes moyennes et vulnérables de la société pour leur offrir une vie digne et augmenter le pouvoir d’achat de tous les citoyens, avec suppression de l’imposition des faibles revenus » ; une de ses promesses de campagne à laquelle Abdelmadjid Tebboune semble tenir particulièrement.

Une situation financière plus difficile en héritage

La réalisation de ce programme peu novateur mais très ambitieux risque malheureusement d’être contrariée par des ressources financières largement insuffisantes. Le nouvel Exécutif hérite en effet dans ce domaine d’une situation beaucoup plus difficile que celle de ses prédécesseurs.

Sur ce chapitre, le diagnostic des économistes algériens est à peu près unanime. Depuis plus de 5 ans, notre pays a vécu financièrement au dessus de ses moyens et a accumulé des déficits internes et externes considérables. Plombé par la baisse brutale des prix du baril qui a divisé par deux les recettes de la fiscalité pétrolière depuis juin 2014, le déficit du budget de l’État a dépassé le niveau astronomique de 15 % du PIB en 2015. Il est resté nettement supérieur à 10% au cours des dernières années. La loi de finance 2020 récemment voté par le parlement annonce encore un déficit réel de plus de 11 % du PIB pour l’année à venir.

Plutôt que de réaliser des ajustements économiques douloureux, les gouvernements algériens successifs ont préféré maintenir, voire même gonfler encore récemment, le niveau des dépenses de l’État en recourant notamment aux facilités de la planche à billet.

La situation n’est pas meilleure pour nos finances extérieures. Avec des déficits de la balance des paiements qui se situent à un niveau proche de 20 milliards de dollars au cours des dernières années, le calcul sur leur durée de vie probable est vite fait. L’année 2019 s’est achevée avec des réserves de change qui frôlent la barre des 60 milliards de dollars alors qu’elles étaient encore proches de 200 milliards voici à peine 5 ans.

Le risque est de plus en plus réel de voir s’épuiser rapidement les réserves en devises du pays accumulées au cours de la période faste des prix pétroliers supérieurs à 100 dollars.

Vers une relance de la planche à billet dès 2020 ?

Comment le président Tebboune et son gouvernement comptent-ils résoudre la contradiction entre des objectifs plus ambitieux et des ressources financières plus rares ?

À l’heure actuelle le scénario le plus réaliste et le plus probable est celui d’une poursuite de la politique financière menée par les gouvernements algériens depuis 5 ans. Au plan interne, cette continuité est d’ailleurs d’ores et déjà actée et encadrée par la loi de finances 2020.

Cette démarche axée sur la dépense publique n’apporte cependant encore aucune réponse à la question essentielle de la soutenabilité d’une politique économique qui va dans une première étape, probablement dès le deuxième semestre 2020, rendre nécessaire la prolongation du recours à la planche à billet.

Dans une seconde étape, vers 2022 selon la plupart des experts algériens, c’est une perspective beaucoup plus inquiétante qui se profile, celle d’une situation de cessation de paiements qui remettrait en cause l’indépendance de la décision économique nationale.

Pour l’instant les interventions du nouveau président et des membres de son premier gouvernement n’apportent aucune réponse convaincante à ces questions pourtant essentielles pour l’avenir économique immédiat de notre pays.

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