Économie

Les retards de Sonatrach, Augusta, Anadarko, gaz de schiste : Attar dit ses vérités

Le ministre de l’Énergie Abdelmadjid Attar a dressé un constat morose de la situation de Sonatrach, faisant le portrait d’une compagnie pétrolière nationale naviguant à vue, sans stratégie et manquant de compétences pour faire face aux défis modernes auxquels elle est confrontée.

« La Sonatrach est une société pétrolière, elle doit construire sa propre stratégie. Elle doit être présente sur les marchés et faire de la veille stratégique », a estimé M. Attar dans un entretien accordé à Sputnik News, publié mercredi 20 janvier, précisant que « le groupe disposait d’une petite structure commerciale en Espagne mais elle a été dissoute pour des raisons que j’ignore ».

« Cette situation fait que nous sommes sur la défensive alors que nous devons être offensifs », a déploré le ministre, soulignant que « ce n’est que lorsque le GNL américain a commencé à nous prendre des parts de marché en Europe que nous avons compris qu’il fallait réagir ».

 « La vision commerciale des cinq prochaines années doit être tracée aujourd’hui, nous ne pouvons plus attendre », a affirmé M. Attar, qui a également mis en avant l’absence de maîtrise par la Sonatrach des transactions sur le marché spot.

« La compétition a imposé la vente en valorisation spot, au prix du jour. Cependant, la Sonatrach a continué à défendre les cessions à long terme. Les études disent que d’ici à 2025, plus de la moitié des quantités de GNL seront commercialisées sur le marché spot. Nous devons reconnaître que nous ne maîtrisons pas ce type de transactions. La Sonatrach aurait dû avoir une vision en matière de trading pour s’adapter au marché », a soutenu le ministre de l’Énergie.

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« La Sonatrach n’a pas réussi sa transition en la matière et elle ne dispose toujours pas de véritable stratégie de commercialisation », a tranché le ministre.

Abdelmadjid Attar a également fait état des carences de Sonatrach dans son déploiement à l’international, notamment sur le continent africain. « Nous avons raté beaucoup d’opportunités dans ce qui devrait être notre zone de prédilection car nous avons d’excellentes relations avec beaucoup de pays du continent », a-t-il estimé.

« Il ne faut pas oublier que l’Algérie a traversé une période de dix années d’instabilité politique qui a eu des conséquences sur l’économie du pays. Sans compter le turnover managérial à la tête de la Sonatrach. Lorsque vous avez un PDG par an, l’idée développée par le premier peut ne pas être retenue par son successeur. Et ainsi de suite », a déploré le ministre.

Le ministre de l’Énergie n’a pas manqué en outre de tacler l’accord de rachat par Sonatrach de la raffinerie d’Augusta en Italie, signé par l’ex-PDG Abdelmoumen Ould Kaddour.

« Il s’est avéré qu’Augusta ne pouvait pas raffiner de pétrole algérien mais du brut saoudien et azerbaïdjanais », a dénoncé M. Attar, confirmant qu’il « y a eu préjudice vis-à-vis de l’Algérie ».

 Le constat déplorable d’Abdelmadjid Attar ne s’est par ailleurs pas arrêté à la compagnie Sonatrach mais a également visé le ministère de l’Énergie dont il a pris la tête en juin 2020.

« En arrivant au ministère, en juin 2020, je n’ai trouvé aucun texte en préparation. En fait, l’anomalie était la suivante : cette loi a été élaborée par la Sonatrach. Les décrets d’application devaient également être préparés par la compagnie. Mais rien n’avait été fait », a critiqué le ministre, précisant que son équipe s’attèle depuis à rédiger les textes d’application de la loi sur les hydrocarbures. « Je considère que la mise en œuvre d’une loi est du ressort du ministère de l’Énergie, au même titre d’ailleurs que les décrets d’application », a-t-il indiqué dans ce cadre.

Le ministre de l’Énergie n’a également pas manqué de critiquer la décision prise en 2003 de vendre les actions Anadarko et Duke Energy sous le règne de l’ex-ministre Chakib Khelil.

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« J’étais contre la décision de vendre les actions Anadarko et Duke Energy lorsqu’elles avaient été proposées. Les bijoux de famille ne se vendent pas. Ces actions rapportaient des dividendes qui ont permis à la Sonatrach d’investir au Pérou et dans d’autres pays. Finalement elles ont été cédées », a déploré Abdelmadjid Attar.

« Il serait pertinent de savoir à quoi cet argent a servi. A-t-il été utilisé pour faire de la Sonatrach un gros producteur dans un État africain ou au Moyen-Orient, en Irak notamment où le potentiel est énorme ? Il est évident que non », a fustigé le ministre.

« Je ne veux pas faire de commentaire sur l’usage de cet argent. Je sais seulement que cette vente n’a pas été une bonne affaire pour l’Algérie. Ces actions auraient pu nous être utiles au sein même d’Anadarko mais elles ont été vendues. Nous devons les oublier », a soutenu M. Attar.

M. Attar a abordé aussi la question relative à l’exploitation du gaz de schiste. « Non, nous ne misons pas sur le gaz de schiste. Ce gaz est là, il s’agira de l’exploiter à l’avenir de façon rentable et en respectant l’environnement mais pour l’heure, cela n’est pas possible. Et ce n’est pas pour demain. La solution de l’Algérie est la réussite de sa transition vers les énergies renouvelables et les économies d’énergie », a-t-il dit, en affirmant qu’il n’est pas contre les énergies renouvelables.« Voilà plus de dix ans que je défends le développement des énergies renouvelables, seulement il ne faut pas le faire avec n’importe qui », a-t-il dit.

M. Attar tend la main à la compagnie russe Lukoil pour aider Sonatrach à pénétrer le marché irakien. « Lukoil fait partie des compagnies qui ont signé un mémorandum d’entente avec la Sonatrach (…) Les partenaires russes peuvent jouer un rôle important dans le pays. Gazprom et Lukoil, qui ont des moyens conséquents, peuvent parfaitement opérer avec la Sonatrach en Algérie et à l’étranger. Nous les encourageons à faire des propositions à la compagnie nationale. Sonatrach pourrait s’engager en Irak avec Lukoil, qui est très présente dans ce pays ».

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