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Les romanciers algériens : tout ce qui brille n’est pas or

Les romanciers algériens : tout ce qui brille n’est pas or

Chronique livresque. Tout vrai  critique est féroce. Salim Jay* n’échappe pas à la règle. Il est de la famille de notre meilleur critique littéraire, Abdelali Merdaci, qui descend lui-même, comme Jay, par le style et le poison du trait, de Saint-Beuve et Angelo Rinaldi qu’Alzheimer tue à petits feux, lui qui a tué tant d’écrivains.

Critique érudit et écrivain prolixe franco-marocain, l’auteur du « Dictionnaire des romanciers algériens » qui a déjà à son actif un dictionnaire des écrivains marocains, est une fine gâchette qui gâche parfois la justesse du propos par un excès à l’endroit de certains écrivains qu’il juge à travers leurs personnalités.

Il assume allègrement d’ailleurs, et dès l’introduction, sa subjectivité rehaussée par un style tout en finesse : « Quant aux jugements qu’il m’arrive d’émettre, enthousiastes, mitigés, ou même, quelquefois, hostiles, ils ne me font jamais oublier cette conviction de Maurice Nadeau, le fondateur de la collection Les lettres nouvelles où il publia le premier roman de Rachid Boudjedra : L’œuvre vaut toujours plus que le bien, ou le mal, qu’on dira d’elle. »

Bien sûr, cette invitation à l’humilité ne devrait conduire personne à se montrer d’une complaisance oiseuse lorsqu’un auteur est salué pour la seule raison que son éditeur multiplie les encarts publicitaires dans la presse alors que son succès repose sur le mauvais goût du public (cela peut arriver) ou sur son panurgisme. »

« Pitié, Yasmina ! »

À qui pense-t-il en écrivant ces mots ? À Khadra qu’il brocarde avec une délectation qui n’a d’égale que son rejet de l’œuvre et de l’écrivain. On arrive même à se dire que l’une est peut-être  une victime innocente de l’autre. De cet autre dont les déclarations peuvent irriter des rivaux, des critiques ou de simples lecteurs.

Faire l’éloge de soi-même est la forme de suicide la plus prisée par beaucoup d’auteurs qui se shootent à l’autocélébration. Mais laissons Jay jaillir sur Khadra dont il ne goûte guère la prose en s’étonnant de son succès : « Le roman de Yasmina Khadra, Ce que le jour doit à la nuit (Julliard 2008) a été élu meilleur livre de l’année par le mensuel LIRE. Lecture faite, on se pince pour croire à une telle récompense pour un tel livre ; le dilemme porte sur la question de savoir ce que le succès doit au radotage et ce que le radotage doit au succès. Nous ne trancherons pas. Voici un roman de 413 pages dont les deux-tiers sont carrément affligeants. Voyez un peu au risque de n’en pas croire vos yeux : « Ses yeux étaient sur le point de lui gicler hors de la tête tant ils semblaient accrocher chacun de ses propos » (…) le lecteur est enseveli sous un tombereau de gnangnanteries boursouflées. Cette réconciliation autour d’un verbe plus qu’incertain fausse constamment le jugement que Khadra porte sur les événements et les hommes, oscillant entre un éloge qui semble étrangement forcé de la lutte de libération du peuple algérien et la célébration paresseuse d’une rémanence obstinée entre victimes de l’histoire. »

Pour rester dans le ton de l’écrit, on dira que le style de Khadra lui sort par les yeux, au point qu’il lance exaspéré, devant ce qu’il appelle les aberrations, les incongruités et le grotesque : « Pitié, Yasmina ! ». Sur 4 pages, Jay dit tout le bien qu’il pense de l’homme et de son œuvre. Pas un grain de lumière ne vient atténuer ce torrent impétueux de boue qui recouvre l’écrivain algérien le plus célèbre et le plus traduit dans le monde, ce qui est pour Jay, n’en doutons point,  une faute de goût des lecteurs et des éditeurs !

Nous ne suivrons pas Salim Jay sur ce terrain. On peut ne pas aimer le style Khadra, mais on ne peut rester insensible à la beauté de certaines œuvres comme L’écrivain ou Les hirondelles de Kaboul. Notons que Yasmina Khadra n’a pas la cote avec certains écrivains algériens, notamment Boudjedra, et Marocain, Tahar Benjelloun en tête. Batailles d’égos ? Les haines d’écrivains ressemblent à un crêpage de chignons.

Boudjedra : « Sa prose surpassait en splendeur celle du Coran »

Concernant Rachid Boudjedra à qui il consacre tout de même 13 pages, c’est dire l’importance qu’il revêt à ses yeux, Jay est plutôt bienveillant, caustique et même admiratif pour le roman  La répudiation : « Ce qui impressionna, à la parution du roman dont n’a pas faibli le pouvoir d’attraction, au-delà du récit des souffrances de la mère répudiée, c’est la voix comme hantée qui habite ce livre. »

Et puis, ces propos croustillants et taquins qui résument l’égo surdimensionné de Rachid Boudjedra : « Rachid Boudjedra ayant coutume d’évoquer ses confrères en stipulant qu’aucun d’eux ne lui arrive à la cheville, on ne privera pas le lecteur de quelques lignes puisées dans Le Monde à côté (Denoël, 2001) du romancier marocain Driss Chraïbi : « Rachid Boudjedra était parmi les invités. J’avais entendu dire qu’il écrivait d’abord en arabe et qu’il traduisait ensuite en français la version originale. Je lui adressai donc la parole en arabe classique pour m’enquérir de sa santé, de l’Algérie, de la littérature. Il me répondit à chaque fois dans la langue de Voltaire. (…) En veine de confidences, il me dit qu’il trouvait son inspiration dans une grotte, comme Mahomet. Les yeux dans les yeux, il m’affirma que sa prose surpassait en splendeur le style du Coran. Je lui donnai l’accolade en lui souhaitant une bonne santé. » Santé mentale s’entend.

Ce côté mégalo rend attachant et picaresque le personnage qui raconte à tout propos qu’après la sortie de La répudiation, son meilleur roman sans aucun  doute,  Mohamed Dib lui aurait dit : « Je peux mourir en paix. L’Algérie tient enfin un grand écrivain ! » À en mourir de rire…

Quant à Boualem Sansal, le chouchou de la critique française, avec Kamel Daoud, pour les mauvaises raisons que l’on sait (pourfendeur de l’Algérie et de l’islam), il n’impressionne pas l’auteur : « Sans doute a-t-on parfois le sentiment que l’écrivain en fait un peu trop dans Rue Darwin. Il force le trait et l’on doit se forcer un peu pour suivre les pérégrinations, les avanies, les remords et les détresses qu’il peint au couteau sans nous épargner un lot d’exagérations apparentes. »

Quand Camus dansait à Tipaza sous les yeux de Dib

C’est visible : Salim Jay n’aime pas trop les écrivains hyper médiatisés comme Khadra et Sansal. Pour lui, le talent prêté par les médias n’a rien à voir avec le vrai talent de l’œuvre. Il cite, à ce propos, une écrivaine inconnue des médias, Samira Sedira : « Beaucoup d’auteurs de bluettes gagneraient à lire une telle œuvre. C’est peut-être parce que Samira Sedira sort brillamment du lot que son nom n’est connu que des lecteurs les plus légitimement exigeants. »

Un auteur très médiatisé a droit, tout de même, à un traitement équilibré : Kamel Daoud. Juste un petit coup de griffe en guise d’avertissement sur les dangers des lauriers qui peuvent enterrer tout talent si on ne prend garde : « Il fut lauréat en 2015 de la bourse Goncourt du premier roman. Signalons, sans bien sûr faire reproche à Daoud de son acceptation, que le romancier joseph Andras refusa, lui, en 2016, cette même distinction attribuée à son roman De nos frères blessés (Actes Sud et Barzakh) consacré à Fernand Yveton, le seul Français guillotiné pour son soutien à la lutte armée du FLN. Andras s’expliqua dans sa lettre à l’académie Goncourt : « La littérature, telle que je l’entends en tant que lecteur et, à présent, auteur, veille de près à son indépendance et chemine à distance des podiums, des honneurs et des projecteurs. »

Pour Salim Jay, les meilleurs écrivains algériens sont ceux qui nous font entendre encore et toujours leurs voix à travers leurs œuvres : ceux qu’on pourrait nommer les classiques : Kateb Yacine, Mohamed Dib, Mouloud Mammeri et Mohamed Feraoun. Son regard est distancié, apaisé, compréhensif. On sent de l’émotion embusquée ici et là quand il parle de Kateb, Dib ou Mammeri. Il les aime autant qu’il déteste certains contemporains. Il y a même de la déférence d’un élève pour un maître quand il parle de Kateb Yacine :

« Notre auteur n’est pas seulement celui auquel des dizaines de milliers de pages sont consacrées par des thésards du monde entier. Pour chaque lecteur, et les écrivains en premier, Kateb Yacine est le nom d’une expérience absolument singulière et précieuse où la valeur de l’écrit équivaut à celle de la parole donnée. La puissance de la nécessité intérieure fonde l’œuvre. Lire Kateb Yacine nous confronte au prestige naturel et jamais présomptueux d’un sismographe à l’écoute de l’Algérie. S’il se disait « l’homme d’un seul livre », c’est qu’il était l’artiste d’une obsession unique : chanter dans la gorge de son pays natal.

Sur Mouloud Feraoun : « Mouloud Feraoun ne se prenait pas pour un génie mais il était habité par un désir passionné d’aboutir à l’expression juste et cela transparait dans toutes les pages que nous lui devons. »

Ah ! On allait oublier Albert Camus qui est considéré comme un écrivain algérien par Jay et par Dib qui nous en parle, par le biais d’un entretien avec l’auteur, d’une façon si touchante, si amicale, si tendre, qu’elle mérite qu’on s’y arrête. Les deux amis sont à Tipaza où Camus a invité Dib à déjeuner : « Et après le déjeuner, -c’était ça le plus beau-nous sommes sortis, le soleil tombait d’aplomb, même si c’était le printemps il y avait des journées où il faisait très chaud en Algérie, et voilà qu’il remarque un mur assez long, vestige d’une ruine romaine, de 60, 80 centimètres de haut, et voilà que Camus, d’un bond, est dessus, et que fait-il ? Il danse tout le long, les bras largement écartés, sans dire un mot. C’est une des plus belles images que je garde de Camus. »

Aussi belle que celles du colonialisme étaient hideuses.

Plus de 200 romanciers passés au peigne fin

Si l’actuel ministre de la Culture Azzeddine Mihoubi ne figure point dans ce dictionnaire, en revanche, d’autres écrivains qui ont été ministres y figurent d’une manière honorable : Zhor Ounissi, Leila Aslaoui et Hamid Grine. Amin Zaoui, qui fut une sorte de vice-ministre un certain temps, suscite l’étonnement de l’auteur : « Malheureusement, un léger voile d’invraisemblances recouvre trop souvent cette prose exaltée, si bien que l’incrédulité du lecteur s’installe et peine à s’effacer. » Zaoui, très médiatisé en Algérie, paye-t-il sa médiatisation ? Allez savoir.

L’un des doyens des écrivains algériens, Mouloud Achour, si modeste et si peu médiatisé, à la langue si belle, a droit à de belles pages. De même que Tahar Ouettar, Tahar Djaout et Assia Djebbar. Personne des écrivains qui comptent n’est oublié.

Quant à la génération des quinquas et plus, elles est largement représentée avec finesse et érudition : Benfodil, Amari, Lakhous, Kacimi, Mati, Laradj, Khellas, Mefti, Skif, Mosteghanmi, Magani, Sari, Balhi, Belamri, Bourboune, Bouaoui, El Mouhoub, Benheddouga, etc., On en redemande…

En tout , nous avons plus de 200 romanciers algériens (arabophones, francophones et même ceux d’origine française) passés au scanner de Salim Jay qui, heureusement, n’a pas entendu les commerciaux du Seuil : « Comme je présentais au public de l’Institut du Monde Arabe le roman de Louis Gardel La baie d’Alger (Seuil 2007), celui-ci m’informa à regret d’un bien curieux véto : « Les commerciaux du Seuil nous ont dit « Jamais les Algériens ne liront un dictionnaire des romanciers algériens écrit par un Marocain. »

Stupide et méchante prophétie qui laisse entendre que le Marocain est un ennemi alors que c’est un frère de sang. La preuve : ce dictionnaire magnifique est désormais une pièce indispensable, au même titre que ceux d’Achour Cheurfi et Abdelali Merdaci, à tout lecteur qui voudrait plonger dans les eaux pures et fécondes de la littérature algérienne. Et si ici et là, il trouve quelques oursins qui piquent quelques romanciers qu’il adore, c’est normal : entre frères on s’embrasse en se  mordant.

Un souhait : qu’un éditeur algérien le mette à la disposition du public de notre pays. Pour l’instant, le dictionnaire des romanciers algériens est disponible au stand du Maroc au SILA.


*Salim Jay
Dictionnaire des romanciers algériens
Editions La croisée des chemins

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